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Recherche en mobilité durable

Quand la géomatique se met au vélo

Le professeur Philippe Apparicio étudie la pratique du vélo urbain en sillonnant des villes à l'aide de vélos instrumentés.
Le professeur Philippe Apparicio étudie la pratique du vélo urbain en sillonnant des villes à l'aide de vélos instrumentés.

Photo : Michel Caron - UdeS

Le meilleur moyen de multiplier les adeptes du vélo utilitaire, c'est de le rendre aussi efficace et sécuritaire que l'auto. La pente de cette ambition vous paraît un peu raide? Les recherches du professeur de géomatique Philippe Apparicio sur le vélo urbain pourraient changer votre perception.

Dans le cadre de ses travaux, le professeur Apparicio a sillonné avec des étudiants et des étudiantes les villes de Copenhague, Paris, Lyon, Montréal, Toronto, Québec, Hamilton, Hô Chi Minh, Mumbai, Delhi, Mexico et Abidjan. Cinq continents. Des dizaines de milliers de kilomètres parcourus. Mais, surtout, une mine d’or d’information sur la pratique du vélo en ville.

Le professeur Apparicio et son équipe ont étudié les réseaux cyclables de 12 villes à travers le monde, dont Lyon, en France.
Le professeur Apparicio et son équipe ont étudié les réseaux cyclables de 12 villes à travers le monde, dont Lyon, en France.
Photo : Fournie

Je partais habituellement avec deux personnes étudiantes. À l’aide de vélos instrumentés équipés de capteurs, on parcourait de 80 à 120 kilomètres par jour. Les capteurs permettaient de mesurer le bruit, plusieurs polluants atmosphériques, la ventilation et la fréquence cardiaque. Nos vélos étaient également dotés de caméras pour enregistrer les trajets. Nous mesurions aussi les dépassements dangereux des véhicules à moins d’un mètre.

Pour mener ses études, le chercheur utilise des vélos équipés d'une variété d'instruments mesurant le bruit et la pollution atmosphérique, entre autres.
Pour mener ses études, le chercheur utilise des vélos équipés d'une variété d'instruments mesurant le bruit et la pollution atmosphérique, entre autres.
Photo : Fournie

Étalée sur cinq ans, l’étude a permis au chercheur et à son équipe de modéliser l’exposition des cyclistes aux dangers et aux nuisances sur les routes et les pistes cyclables, et de produire des cartes pour chaque ville visitée. Sans surprise, les résultats ont notamment révélé que de pédaler sur un axe majeur sans infrastructure cyclable augmente l’exposition au bruit et à la pollution atmosphérique et compromet la sécurité des cyclistes.

Nos données concourent avec le discours ambiant qui date depuis deux décennies, selon lequel il faut séparer le cycliste du trafic pour que son trajet soit plus agréable et que le vélo devienne un mode choisi sans crainte.

Professeur Philippe Apparicio

Philippe Apparicio est lui-même un adepte de vélo utilitaire, notamment pour ses déplacements à l'université.
Philippe Apparicio est lui-même un adepte de vélo utilitaire, notamment pour ses déplacements à l'université.

Les municipalités sont ainsi mieux éclairées lorsqu’elles souhaitent réduire les risques d’accident chez les cyclistes et mieux planifier leur réseau cyclable.

Or, s’il y a plusieurs bonnes raisons de délaisser l’auto pour le vélo ─ réduction des gaz à effet de serre, meilleure santé, et plus encore ─, ce mode de transport n’est pas adapté à la réalité de tout le monde. Le professeur Apparicio aimerait bien changer cela.

L’équité environnementale sur deux roues

Les réseaux cyclables de plusieurs municipalités québécoises ont connu une expansion considérable ces dernières années, mais, dans bien des cas, le développement s’est fait au détriment de certains groupes sociaux. À Montréal, par exemple, les enfants ont été peu pris en considération dans l’expansion du réseau cyclable :

À Montréal, bien que le réseau cyclable ait plus que doublé en 25 ans, les enfants représentent le groupe de population qui en a le moins bénéficié. Il reste difficile d’aller à l’école à vélo en raison de l’absence d’infrastructures cyclables. C’est un enjeu parce qu’on veut que nos enfants soient actifs. Ne pas favoriser la pratique du vélo chez les jeunes, c'est hypothéquer les chances qu’ils adoptent le vélo utilitaire plus tard.

Professeur Philippe Apparicio

Le chercheur s'intéresse à l'équité environnementale et à la justice en transport, deux volets importants pour le développement de réseaux cyclables adaptés à tous les groupes sociaux.
Le chercheur s'intéresse à l'équité environnementale et à la justice en transport, deux volets importants pour le développement de réseaux cyclables adaptés à tous les groupes sociaux.

Photo : Michel Caron - UdeS

De là l’importance d’aménager des pistes cyclables adaptées à tous les types de cyclistes : « Une partie de mes travaux relève de l’équité environnementale et de la justice en transport. Il s’agit de voir si certains environnements sont plus pollués que d’autres, et si certains groupes de la population définis selon l'âge, le genre, le revenu et l'appartenance ethnoculturelle sont plus exposés aux nuisances liées à la pratique du vélo, comme la pollution de l'air, le bruit ou les conflits routiers. Nous regardons aussi si ces groupes sont désavantagés du fait qu’ils sont plus éloignés des éléments positifs de la vie urbaine, comme la végétation, les parcs ou les services et équipements collectifs. »

En étudiant le vélo urbain sous la loupe de l’équité environnementale, le chercheur examine si l'âge, le genre, le revenu et l'appartenance ethnoculturelle constituent un frein au transport actif.

Pour celui qui se déplace à vélo depuis son enfance, la clé pour réussir à détrôner l’auto au profit du vélo dans les déplacements de tous les jours, c’est d’instaurer une culture cycliste. Et pour nous expliquer ce que c’est, il prend pour exemple… l’Université de Sherbrooke!

Sherbrooke, prochaine ville étudiée

Prêt de vélos, déneigement des pistes cyclables l’hiver, endroits sûrs pour verrouiller sa bicyclette : c’est le genre de mesures qu’on remarque au sein des municipalités et des organisations ayant une culture cycliste bien vivante.

Offrir un lieu sûr pour verrouiller sa bicyclette est une manière efficace de favoriser le vélo utilitaire, comme le fait l'UdeS en mettant des abris à la disposition de sa communauté.
Offrir un lieu sûr pour verrouiller sa bicyclette est une manière efficace de favoriser le vélo utilitaire, comme le fait l'UdeS en mettant des abris à la disposition de sa communauté.

Photo : Michel Caron - UdeS

« L’Université de Sherbrooke est un bel exemple », souligne le chercheur, en faisant référence notamment à la campagne Vélovolt qui, en collaboration avec Équiterre, encourage le personnel des trois campus à emprunter un vélo électrique pendant deux semaines au printemps. Plusieurs autres initiatives sont d’ailleurs en place pour encourager le transport actif sur les campus, comme l’installation d’abris à vélo sécurisés.

« À Sherbrooke, on remarque qu’une culture cycliste est bien présente. Mais il y a des enjeux », précise-t-il, en mentionnant certaines pistes cyclables vieillissantes et la géographie très accidentée. Avec ses nombreuses rues en pente, la ville de Sherbrooke pose un défi supplémentaire à celles et ceux qui aspirent à troquer l’auto contre le vélo.

Mais des pistes de solutions sont en route, puisque le professeur Apparicio prépare une étude sur la mobilité durable à Sherbrooke. « On veut voir ce qui fait en sorte que les gens utilisent ou non le vélo. On veut aussi se pencher sur la planification des pistes cyclables ─ qui est un enjeu que la Ville examine avec sérieux. »

À Sherbrooke, le réseau cyclable est très développé, avec de grands axes, comme celui bordant la rivière Saint-François ou celui vers Magog. Or, il sert surtout au récréotourisme. Il y a peu d'axes pour favoriser le vélo utilitaire.

Accompagné de personnes étudiantes, le chercheur enfourchera son vélo équipé d’instruments de mesure et sillonnera les rues de la ville afin de mesurer les nuisances à vélo et de repérer les endroits où elles sont le plus présentes. La qualité des pistes cyclables existantes sera également évaluée à l’aide de capteur mesurant les vibrations produites par la présence de trous dans la chaussée.

Le déneigement des pistes cyclables l'hiver est une condition essentielle à l'instauration d'une culture cycliste dans une municipalité.
Le déneigement des pistes cyclables l'hiver est une condition essentielle à l'instauration d'une culture cycliste dans une municipalité.

Photo : Michel Caron - UdeS

La culture cycliste sherbrookoise sera également étudiée de manière qualitative, à travers des entrevues et des groupes de discussion. « On souhaite travailler avec la Ville, des organismes et des regroupements de citoyens sur le vélo dans une logique de co-construction de résultats. » L’usage du vélo électrique pourrait également faire partie de l’étude, en raison de sa popularité grandissante dans nos rues.

Bref, tout est réfléchi pour qu’un jour, dans un horizon plus ou moins éloigné, le vélo devienne roi en tant que moyen de transport à part entière dans nos vies. Parce que, oui, remplacer la pédale d’accélérateur par le pédalier est un pari ambitieux, mais qui a dit qu’on devait monter la côte à vive allure?


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