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Quelle place pour Internet à l'école?
GABRIELLE GRANGER
Le 26 juin 1996, Pauline Marois annonce son intention de brancher toutes
les écoles avant la fin de l'année. Le projet éducatif est audacieux et l'on
croit avec ferveur qu'avec cette nouvelle technologie, on modernisera les
approches pédagogiques. Dix ans plus tard, les résultats se révèlent bien
moins probants que ce que l'on prédisait à l'époque, selon l'étude Mediappro
à laquelle ont pris part les professeurs Christian-Marie Pons et Jacques
Piette, du Département des lettres et communications.
Réunissant neuf pays européens, en plus du Québec, le projet
Mediappro s'est penché sur le phénomène d'appropriation d'Internet par les
jeunes. De ce côté de l'Atlantique, 1350 jeunes de 1re, 3e
et 5e secondaire ont été interrogés par les deux chercheurs dans
dix écoles des régions de Montréal, de Sherbrooke et de Magog. Comme tous
les spécialistes prenant part au projet Mediappro, Jacques Piette et
Christian-Marie Pons ont cherché à savoir comment les jeunes intégraient
Internet dans leurs habitudes de vie, et comment évoluait cette intégration
depuis 10 ans. En ce qui concerne l'école, les dernières observations des
deux chercheurs ont de quoi surprendre.
En effet, dans l'ensemble des pays, malgré les investissements majeurs et
les incitations pour intégrer Internet dans les activités pédagogiques, le
nouveau média est encore aujourd'hui très peu utilisé dans le contexte
scolaire, et sans doute moins, proportionnellement, qu'il y a dix ans.
«Quand on a commencé notre première recherche sur le sujet, en 1996, il y
avait un important programme québécois pour brancher les écoles, fondé sur
un grand rêve pédagogique où Internet allait changer le visage de l'école»,
explique Jacques Piette. On sentait à l'époque, particulièrement à
Sherbrooke, une grande volonté d'utiliser Internet pour moderniser ce lieu
d'apprentissage. Par exemple, si les enseignants étaient branchés à la
maison, une partie des frais étaient remboursés s'ils développaient des
scénarios pédagogiques.
Mais toute cette effervescence technologique s'est plutôt développée en
milieu domestique. «La tendance est comme ça dans tous les pays et l'écart
entre l'usage d'Internet à l'école et à la maison est grandissant, indique
le professeur. Au Québec, en 2000, deux tiers des élèves utilisaient
Internet à l'école et quatre élèves sur dix l'utilisaient sur une base
régulière, révèle le chercheur. Aujourd'hui, la majorité d'entre eux
déclarent ne pas utiliser Internet à l'école. Ce qu'on peut observer
aujourd'hui est encore plus accentué que ce qu'on pouvait envisager il y a
10 ans : non seulement la présence et l'usage d'Internet à l'école ne s'est
pas confirmée, mais elle a régressé, au profit de la maison.»
Quelques pistes peuvent expliquer cette sous-utilisation d'Internet. En
sondant les jeunes, il est apparu que le contrôle rigide à l'école irrite
les jeunes. Pour eux, ce nouveau média est un moyen de communication et de
divertissement et la plupart de leurs activités favorites, comme le
clavardage, les courriels, le téléchargement et les jeux, sont prohibées à
l'école, alors qu'ils ne vivent pas ces contraintes sous leur toit. De plus,
les utilisations d'Internet dans le cadre des cours ne les satisfont pas :
les seules applications ne se limitent trop souvent qu'à des recherches
documentaires simples, ce qui ennuie les élèves. La jeune génération
considère Internet comme un espace de liberté où l'on développe son
autonomie. Ces raisons, combinées au fait que plus de 90 % des foyers avec
des enfants sont branchés, peuvent expliquer cette utilisation domestique.
«Internet a cette particularité d'être le même dans un laboratoire
d'école qu'à la maison. La machine offre les mêmes possibilités, le jeune
peut donc faire des recherches scolaires chez lui exactement de la même
façon, affirme Christian-Marie Pons. On assiste à un certain éclatement des
murs, où ce n'est plus la peine d'être dans l'enceinte de l'école pour
accomplir certaines pratiques scolaires.»
Bien qu'ils soient réfractaires aux règles et aux utilisations actuelles
en milieu scolaire, les jeunes souhaiteraient que l'école leur apprenne
davantage sur les nouveaux médias : «D'une part, les jeunes ne sont pas
intéressés par Internet à l'école parce qu'ils sont trop contraints,
explique le professeur. Mais d'un autre côté, ce sont les premiers à
souhaiter qu'il y ait plus d'implication de la part des enseignants par
rapport à Internet.» Selon la dernière recherche des professeurs, les élèves
souhaiteraient, entre autres, qu'on leur fournisse des adresses de sites
intéressants, que l'on discute de la crédibilité de ces sites, qu'on leur
enseigne des méthodes de recherche efficaces et qu'on leur offre des
conseils concernant la sécurité autant pour eux-mêmes que pour leur matériel
informatique.
Malgré tout, les efforts et investissements n'auront pas été vains :
«L'école a pourtant joué un rôle important d'introduction aux technologies
pour tous les jeunes, révèlent les deux chercheurs. Dans notre dernière
étude, il n'y a plus de jeunes qui ne connaissent pas ou qui n'utilisent pas
Internet, et ceux qui ne peuvent pas pratiquer à la maison le font à
l'école.» L'école a donc servi de garantie à ce que tous aient accès à la
technologie.
Ayant complété la portion quantitative de leur étude en juin,
Christian-Marie Pons et Jacques Piette publieront officiellement les
résultats concernant le Québec à l'automne. À la lumière de leurs
recherches, les deux collaborateurs ont cerné plusieurs pistes
intéressantes, la plus significative consistant en la redéfinition du rôle
de l'école par rapport à Internet. «C'est une des grandes interrogations qui
reste et qui va générer nos préoccupations de recherche dans les prochaines
années», conclut Jacques Piette.
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