Fractures de fragilité osseuse
Des voleuses qu'il faut démasquer
Rose-Marie est une belle grand-maman. En décembre 2013, en contournant un obstacle dans son salon, elle s’est retrouvée étendue sur le plancher de bois. Résultat : fracture de l’épaule. Et il y a fort à parier que Rose-Marie subira d’autres fractures, même si elle ne sort pas beaucoup.
C’est que Rose-Marie n’en est pas à sa première mésaventure : une de ses chevilles s’est aussi retrouvée dans le plâtre après un incident semblable, quelques années auparavant. Elle souffre d’ostéoporose, une maladie causée par la détérioration de la masse et de la densité de ses os. Mais comme 75 % des personnes atteintes, Rose-Marie a cessé de prendre sa médication un an après avoir reçu le diagnostic. «Je ne vois pas la différence», confie-t-elle. Et parce que ses os sont fragilisés, Rose-Marie est à haut risque de subir encore d’autres fractures.
«Ces patients sont laissés pour compte», affirme Isabelle Gaboury, professeure au Département de médecine de famille et de médecine d’urgence. Avec sa collègue Hélène Corriveau, spécialiste de la prévention des chutes, Isabelle Gaboury dirige un vaste projet-pilote qui pourrait changer le cours des choses pour les personnes comme Rose-Marie.
Les fractures de fragilité surviennent chez des personnes aux os fragiles, telles que les personnes atteintes d’ostéoporose ou d’ostéopénie, après un événement mineur qui aurait été sans conséquence chez une personne en bonne santé osseuse : chute de position assise ou debout, chute de trois marches et moins, chute de position couchée (moins d’un mètre de hauteur), mouvement excédant l’axe normal de l’articulation ou lors de la toux. Comme Rose-Marie, une femme sur trois va souffrir d’au moins une fracture de fragilité osseuse. Chez les hommes, c’est un sur cinq. Ces événements sont débilitants pour les personnes qui les vivent. Dans certaines conditions, les conséquences peuvent être catastrophiques, conduisant parfois jusqu’à la mort.
L’ostéoporose : une bombe à retardement
Chaque année, des centaines de milliers de Canadiens subissent des fractures en raison de leur fragilité osseuse ou de leur ostéoporose qui n’est ni diagnostiquée ni traitée. Cette maladie, d’ailleurs, est souvent appelée «voleur silencieux», du fait que la perte osseuse s’opère lentement et sans symptôme.
Le risque de subir une fracture de fragilité osseuse, au Canada, est un des plus élevés au monde. Ces événements y sont plus fréquents que la crise cardiaque, l’accident vasculaire-cérébral et le cancer du sein réunis. Dans son livre blanc déposé en mars 2011, Ostéoporose Canada dénonce d’ailleurs ce qu’il appelle «l’écart thérapeutique» des soins postfracture de fragilité. En effet, plus de 80 % des Canadiens qui ont subi une fracture de fragilité osseuse ne se font jamais proposer d’évaluation ou de traitement pour leur ostéoporose. Pourtant, les tests, les médicaments et les traitements pour cette maladie sont couverts par les régimes publics.
«Pour prévenir les fractures, il faut d’abord prévenir les chutes», signale Hélène Corriveau, professeure à l’École de réadaptation. Le système de santé déploie des programmes de prévention des chutes dans toutes les régions du Québec; ces programmes visent notamment à maintenir et à améliorer la force des os et l’équilibre des patients. Et ces services sont gratuits. «Mais on dirait que personne n’est au courant», dit-elle.
Prévenir les fractures de fragilité
Isabelle Gaboury et Hélène Corriveau entendent bien faire en sorte que ces services soient utilisés. Implanté en janvier 2013 dans 11 hôpitaux et 8 régions du Québec, leur programme de recherche vise à intégrer deux approches existantes : la prise en charge médicale de l’ostéoporose et les programmes de prévention des chutes. «Nous investiguons les coûts et l’efficacité d’une approche intégrée», précise Isabelle Gaboury, qui s’intéresse particulièrement à l’organisation des soins de santé dans la perspective d’augmenter la collaboration entre intervenants et organisations impliqués. Isabelle Gaboury est aussi chercheuse au Centre de recherche Étienne-Le Bel du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke.
«La communication entre les divers intervenants du système de santé est une des clefs», souligne pour sa part Hélène Corriveau. Inspiré d’expériences vécues en Europe, le programme qu’elle dirige avec Isabelle Gaboury mise sur la valeur ajoutée d’infirmières agissant comme «agents de liaison».
Les agents de liaison
Bien au fait de la problématique des fractures de fragilité osseuse, ces «agents de liaison» documentent chaque cas, établissent des liens avec les médecins de famille concernés et accompagnent les patients vers les services disponibles. Les participants sont ainsi informés de la fragilité osseuse et de ses conséquences, de l’importance d’un suivi médical et d’un traitement rapide et prolongé. Le suivi, pour chaque personne recrutée, s’échelonne sur 18 mois et comprend des rencontres avec l’infirmière tous les 3 mois.
Le projet-pilote implique nécessairement la collaboration professionnelle entre orthopédistes, rhumatologues, infirmières et médecins de famille. «Nous faisons le pari que ces infirmières pivot, qui n’existent pas hors de notre projet de recherche, vont établir ces ponts de communication qui devraient bénéficier aux patients», affirme Isabelle Gaboury. À terme, en 2015, le projet devrait avoir recruté plus de 3000 personnes de 50 ans et plus ayant subi une fracture de fragilité au cours des 2 mois précédents.
Actuellement, le traitement des fractures de fragilité coûte chaque année deux milliards de dollars aux Canadiens. Dans 20 ans, si rien ne change, ce montant devrait avoir triplé.