Première mondiale en chimie
Réalisation du premier film moléculaire haute résolution
Le professeur André D. Bandrauk travaille dans un autre monde. Dans un monde infiniment petit et rapide. Non seulement il y observe le comportement des molécules, mais il arrive maintenant à les manipuler. Comment y arrive-t-il? Grâce à de savants algorithmes numériques, à un laser ultrarapide, au superordinateur Mammouth et bientôt à la voûte immersive.
L’équipe d’André D. Bandrauk s’est jointe à celle du professeur François Légaré du Centre énergie matériaux télécommunications de l'Institut national de la recherche scientifique (INRS) de Montréal. Grâce à un laser ultrarapide, ils sont arrivés à tourner le premier film moléculaire à haute résolution présentant comment la molécule d’acétylène, une molécule naturelle, se transforme en vinylidène, une molécule présente dans le plastique. Jusqu’ici, aucun microscope n’avait permis de voir ce genre de réaction chimique avec une telle résolution spatiale et temporelle. Il s’agit d’ailleurs d’une réussite internationale inédite, qui a fait l’objet d’un article en juillet dernier dans Nature Communications.
Concrètement, les applications pourraient avoir un impact considérable dans plusieurs domaines, notamment les technologies de l’information et la médecine, comme l’explique le chimiste : «Notre rêve ultime serait de pouvoir en arriver à manipuler et à modifier les molécules de la même façon qu’on réussit à manipuler les gènes. De cette façon, on pourrait traiter plus précisément encore les irrégularités dans les cellules».
Premier film expérimental
Tourner un film mettant en vedette des protons et des électrons demande un équipement supersophistiqué. De fait, un proton se déplace tellement vite qu’il faut le capter avec un laser qui produit des impulsions ultracourtes dont la durée est de l'ordre de quelques femtosecondes, soit à l’échelle du millionième de milliardième de seconde. Pour l’électron, il faut plutôt utiliser l’échelle de mesure nommée attoseconde, soit l’échelle du milliardième de milliardième de seconde.
Ainsi, l’INRS, avec son laser ultrarapide, a d’abord obtenu une série de données qui indiquent les différentes positions du proton durant son déplacement. Toutes ces données représentent en quelque sorte les séquences du film. Ensuite, André D. Bandrauk a utilisé Mammouth pour faire le «montage» des séquences par des calculs et ainsi produire le premier film expérimental.
«Les simulations ont été faites avec nos propres algorithmes numériques, un code pour étudier le mouvement quantique des électrons et protons, sur Mammouth, le superordinateur du Centre de calcul de l’UdeS, précise André D. Bandrauk, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en chimie computationnelle et photonique moléculaire. Le postdoctorant Emmanuel Penka Fowé et moi avons ainsi réussi à "imager" les résultats expérimentaux de l’INRS.»
Le Québec est en avance dans ce domaine grâce à deux sommités : André D. Bandrauk, théoricien, et François Légaré, expérimentateur – mentionnons au passage que ce dernier est diplômé de l’UdeS en chimie (1998, 2001 et 2004). Ensemble, en collaboration avec leurs étudiants respectifs, dont les diplômés de l’UdeS en chimie Samuel Beaulieu (2012) et Vincent Wanie (2013) maintenant étudiants à l’INRS, ils sont arrivés à voir et à imager des protons et des électrons dans les molécules.
Bientôt, ces travaux pourront être implantés dans la voûte immersive, cet environnement 3D virtuel en temps réel lancé en avril 2013 à la Faculté des sciences de l’UdeS. Ce nouvel outil de visualisation de mouvement quantique permettra de rendre les simulations du chimiste dynamiques afin d’obtenir une représentation spatiale de l’électron à l’échelle de l’attoseconde. En d’autres termes, l’équipe ne vise rien de moins que la réalisation du premier film moléculaire numérique.
André D. Bandrauk
Le professeur André D. Bandrauk est un pionnier et un leader mondial dans le contrôle et la transformation de la matière par la technologie du laser ultrarapide. Ses travaux sur le comportement des molécules en interaction avec les champs lasers ont eu un impact majeur, ici comme ailleurs, sur les développements expérimentaux et théoriques en chimie et en physique. La qualité et l’envergure de ses travaux de recherche ont été largement reconnues par la communauté scientifique.
En mai dernier, il a d’ailleurs été invité à présenter une série de conférences sur la photonique moléculaire à la suite de sa nomination comme FAST Fellow (FAST pour Femtosecond and Attosecond Science et Technology) du programme Molecular Ultrafast Science and Technology (MUST) du National Center of Competence in Research de l’École polytechnique fédérale de Zurich, l’université où Einstein a été étudiant, puis professeur.
Puis, il a coordonné un atelier de 9 semaines intitulé Frontiers of Intense Laser Physics qui s’est tenu du 21 juillet au 19 septembre 2014 à la Kavli Institute for Theoretical Physics de la University of California, à Santa Barbara, aux États-Unis. Ce programme sur les orientations de la physique des lasers intenses a réuni des théoriciens et des expérimentateurs sur des questions traitant des nouvelles frontières de la science du laser.