Recherche mondiale sur les polluants émergents
Des antibiotiques dans l’eau des pays défavorisés
Pour étancher la soif, quoi de mieux qu’un bon grand verre d’eau? Mais si l’eau que vous buviez contenait des antibiotiques et d’autres composés pharmaceutiques? Selon une étude internationale publiée récemment, c’est la réalité à laquelle font face les populations des pays défavorisés, dont le Kenya, le Ghana et le Mozambique.
Une équipe internationale, dirigée par le professeur Pedro A. Segura de la Faculté des sciences de l'UdeS, a mené une toute première étude comparative sur la présence mondiale d'antibiotiques dans l'environnement, publiée dans la revue Environment International. « Une telle étude à l’échelle globale est sans précédent », indique le professeur Segura.
Des échantillons à l’ensemble du globe
En collaboration avec des chercheurs du Japon, du Canada, du Ghana, du Kenya, du Mozambique et de l'Afrique du Sud, le professeur Segura a colligé les concentrations d’antibiotiques rapportées dans la littérature scientifique entre 1998 et 2014. « La plupart des études existantes ont été menées dans des pays à revenu élevé, précise le spécialiste du Département de chimie. Pour compléter notre base de données mondiale, mes collègues africains et japonais ont recueilli une soixantaine d’échantillons d’eau sur le continent africain et mesuré les concentrations de 19 antibiotiques. »
Puis, ils ont analysé l'impact des inégalités de revenus entre les pays sur la présence d'antibiotiques dans les eaux de surface, c’est-à-dire les lacs, les rivières, les fleuves ou les étangs. Rappelons que dans la plupart des pays en développement, les eaux de rivières et des nappes sont utilisées comme eaux de consommation, de baignade et pour l’irrigation des cultures maraîchères.
« Nos résultats ont montré que les concentrations d'antibiotiques dans les eaux de surface étaient significativement plus élevées dans les pays à faible revenu par rapport aux pays à revenu élevé, révèle le chimiste. Selon nous, ces résultats sont une conséquence de l’accès limité ou de l’absence de traitement des eaux usées dans les pays défavorisés. »
« Nous avons aussi observé que le prix des antibiotiques avait un impact sur leur présence dans les eaux des pays à faible revenu : les antibiotiques moins chers ont été détectés plus fréquemment et à des concentrations plus élevées que les antibiotiques plus coûteux. »
De nouveaux indicateurs environnementaux
« Cette étude est importante puisqu’elle nous a permis de confirmer que les pays à faible revenu sont plus vulnérables à la contamination causée par les antibiotiques, et possiblement par d’autres contaminants émergents, tels que les composés pharmaceutiques et les produits de soin personnel. »
La présence de contaminants émergents dans l’environnement comme les pharmaceutiques et les produits de soin personnel est directement reliée à la consommation de ces substances par la population. « Alors, je crois qu’il est important de sensibiliser la population à cette problématique émergente, souligne le professeur Segura. Il faut leur rappeler de toujours retourner les médicaments expirés à la pharmacie pour empêcher qu’ils ne se retrouvent à des concentrations de plus en plus élevées dans l’environnement. C’est un petit geste qui peut faire une différence. »
Selon le spécialiste, les contaminants émergents qui suscitent des inquiétudes, comme les antibiotiques, pourraient devenir de nouveaux indicateurs de dégradation de l'environnement. « Ils permettraient notamment d’évaluer l'état de développement des infrastructures de collecte et de traitement des eaux usées dans le monde », conclut le professeur de la Faculté des sciences.