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Portrait de diplômée 2024

L’étoile naissante : odyssée d'une âme courageuse

Kelsey Proulx et son amie de longue date, qui a été d'un grand soutien à travers toutes les épreuves
Kelsey Proulx et son amie de longue date, qui a été d'un grand soutien à travers toutes les épreuves

Photo : Michel Caron - UdeS

Kelsey Proulx, diplômée en communication appliquée de l’Université de Sherbrooke, incarne la résilience et la persévérance d’une jeune femme qui a dû se tirer d’affaire seule. Placée sous la responsabilité de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) à 15 ans, elle a déjoué les statistiques en se frayant un chemin jusqu’au baccalauréat. Derrière son calme et sa discrétion se dissimule une force tranquille, une fleur délicate qui a su percer la dureté du béton pour s'épanouir envers et contre tout.

Kelsey est la première de sa famille à obtenir un diplôme universitaire. Originaire de Granby, elle a grandi dans un environnement familial marqué par la violence et l’instabilité, un passé bouleversant dont l’emprise sur elle s'amenuise au fil des années.

Briser les chaînes des statistiques

« Je n’ai pas eu une enfance ordinaire », raconte Kelsey. Après avoir été retirée de son milieu familial avec ses frères et sœurs, elle a vécu chez sa grand-mère, une période qu’elle considère comme une chance dans ce parcours ardu. Dans le milieu, il est bien connu que peu d’enfants placés sous la protection de la DPJ poursuivent des études collégiales ou universitaires, les perspectives d’avenir étant souvent plus limitées pour ces jeunes.

De récentes données indiquent que seulement 37 % des enfants placés sous l'égide de la DPJ obtiennent leur diplôme d’études secondaires à l’âge de 21 ans, contre 86 % pour tous les autres jeunes.

Pourtant, Kelsey a défié ces probabilités. Elle est devenue la première jeune suivie par son intervenante à atteindre un niveau de scolarité universitaire, un exploit qu’elle attribue à sa force de caractère.

Kelsey à Noël 2018, accompagnée de son grand frère et de ses deux jeunes sœurs
Kelsey à Noël 2018, accompagnée de son grand frère et de ses deux jeunes sœurs

Photo : Fournie

Ainsi, malgré le maigre réseau d'entraide sur lequel elle pouvait compter, cette jeune étudiante a su puiser dans sa propre force intérieure pour continuer. Elle a poursuivi des études collégiales en arts et lettres, où elle s’est découverte.

Souhaitant poursuivre ce qu’elle avait commencé, elle s’est inscrite en littérature à l’UdeS. Après une seule session, elle a rapidement changé de cap et s’est réinscrite, cette fois, en communication. Pour elle, ce milieu offrait des perspectives plus concrètes, une manière de combiner sa passion pour l’écriture et son désir de toucher à plusieurs disciplines.

Naviguer dans les vents contraires : une quête universitaire

L’école a longtemps été un lieu sécurisant pour Kelsey. « Au primaire, au secondaire, l’école, c’était l’endroit où je me sentais bien et en paix. C’était facile, et c’est là que je me trouvais bonne », se souvient-elle. Son parcours universitaire, lui, n’a pas été sans embûches. En raison de son passé, elle a souvent ressenti un manque de connexion avec la vie étudiante, et n’a malheureusement pas réussi à forger de véritables liens d’amitié. « Je sentais que je devais cacher à tout prix mon histoire, qu’il fallait absolument que ça reste un secret sans quoi les regards allaient être différents, on allait me prendre en pitié. »

À cette lutte intérieure s’ajoutaient des doutes nourris par l’idée que, en tant qu’enfant de la DPJ, les attentes envers elle étaient basses. « Personne n’aurait été surpris si j’abandonnais », confie-t-elle avec une humilité désarmante.

Ses stages ont joué un rôle crucial dans cette évolution. Ils lui ont permis de voir concrètement qu’elle avait sa place quelque part, lui donnant peu à peu la confiance nécessaire pour avancer. Grâce à ces expériences, elle a commencé à croire en ses capacités et à tracer son propre chemin, au-delà des doutes qui l’avaient longtemps accompagnée. Le régime coopératif a également été d’une aide précieuse sur le plan financier, lui permettant de subsister lors de ses sessions d’études grâce à l’argent gagné durant ses stages. Cet avantage lui a offert une certaine stabilité, essentielle pour continuer son parcours universitaire.

Renaître des cendres de son passé : choisir de se reconstruire

Kelsey a également dû cheminer à travers une relation éprouvante avec sa mère, un aspect de son parcours qui l’a profondément marquée, la menant finalement à la décision déchirante, mais inévitable, de rompre tout contact. « C'est la chose la plus difficile que j'ai eu à faire, le deuil de ma mère », confie-t-elle. Dans un monde où l’on valorise souvent le lien maternel, Kelsey fait face à un dilemme déchirant, celui de devoir s’éloigner d’une figure qui aurait dû être un soutien. Chaque fête des Mères est un rappel de cette absence, ce qui la pousse à se protéger en évitant les réseaux sociaux où ce lien si précieux est largement célébré.

Elle décrit cette expérience comme une quête pour se choisir, malgré le vide que cela engendre. « Je trouve ça tellement injuste », admet-elle, reconnaissant le courage qu’il a fallu pour affirmer sa valeur personnelle face à cette situation. Cette décision, bien que lourde de répercussions, est devenue sa plus grande fierté : « Je sais que je ne serais pas la moitié de la personne que je suis aujourd'hui si je ne m'étais pas choisie. »

Conseils d’une étudiante vaillante

Le parcours de cette jeune femme a été marqué par des moments de doute et de stress, mais elle a su garder le cap. Toujours humble face à ses réalisations, elle admet : « C’est dur d’être fière de moi, mais je pense que je le suis un peu quand même. » Malgré cette fierté, un sentiment de culpabilité persiste en pensant à ses frères et sœurs, qui n’ont pas eu les mêmes possibilités. Pourtant, chaque étape franchie représente une victoire personnelle, une démonstration silencieuse de sa résilience.

Kelsey, finissante du secondaire, avec ses amies proches
Kelsey, finissante du secondaire, avec ses amies proches
Photo : Fournie

Derrière ses doutes, elle reconnaît qu’elle a accompli quelque chose d’extraordinaire. À ceux et celles qui traversent des épreuves similaires, Kelsey souhaite transmettre un message d’espoir. « Je dirais que c’est possible. J’ai longtemps pensé que ça ne l’était pas », confie-t-elle avec humilité.

Adepte de documentaires criminels et autres contenus similaires, elle se compare, avec une pointe d'autodérision, aux plus grands meurtriers qui ont souvent, comme elle, une enfance sombre et difficile. « Tout au long de mon bac., je me disais que je risquais plus de devenir tueuse en série que bachelière! » Maintenant, elle encourage ceux et celles qui se trouvent dans des situations similaires à persévérer, à croire en leur potentiel et à faire confiance au processus, aussi difficile soit-il.

À l’aube des possibles

Aujourd’hui, Kelsey travaille comme rédactrice chez Lemieux Bédard, une agence de publicité à Sherbrooke. Cette entreprise, où elle a réalisé ses deux derniers stages universitaires, représente un tournant dans sa vie : « Ce que j’aime le plus, c’est qu’ils ont décidé de me faire confiance et de créer un poste qui n’existait pas avant », raconte-t-elle avec reconnaissance. Ce geste de la part de son employeur a été pour elle une véritable preuve de valorisation de ses capacités, qui lui a permis de lancer sa carrière sur de solides bases.

Avec le temps, la diplômée a cultivé une persévérance discrète et a su créer un espace où elle se sent bien et estimée. « Je ne sais pas où je me vois dans dix ans, mais je ne ferme pas de porte », dit-elle. Elle aspire à devenir une stratège en communication, à être une référence pour les autres dans son milieu de travail, le tout en continuant de cultiver ses talents en rédaction.

De l’ombre à la reconnaissance

Kelsey Proulx est un modèle de résilience et de force intérieure. Il n’est jamais facile de savoir qui nous sommes lorsque nous n’avons ni outils ni réseau bienveillant pour révéler notre éclat et montrer nos vraies couleurs. Pourtant, cette diplômée de l’Université de Sherbrooke a réussi, à sa manière et à son rythme, à se bâtir et à se découvrir. Aujourd’hui, elle a trouvé sa place dans un milieu professionnel qui la soutient et l’apprécie à sa juste valeur.

Son histoire nous rappelle qu'il est possible de surmonter des obstacles éprouvants et de tracer sa propre voie.


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