Luigi Bouchard chercheur au Département de biochimie
Des liens épigénétiques entre le diabète de grossesse et l’obésité chez les enfants
On a généralement tendance à croire que l’hérédité est un facteur déterminant dans l’apparition d’une condition médicale chez une personne. C’est vrai, mais en partie seulement. Par exemple, des jumeaux identiques peuvent développer des maladies héréditaires différentes, même s’ils partagent le même bagage génétique. Il y a donc d’autres «facteurs moléculaires» qui régulent l’expression de ces gènes, comme l’épigénétique par exemple. Installé au Campus-conjoint de Saguenay, Luigi Bouchard est professeur au département de biochimie de la Faculté de médecine et des sciences de la santé. Il se spécialise dans l’étude des mécanismes qui modulent l'expression du patrimoine génétique en fonction du contexte environnemental. Ce champ de recherche est relativement récent, et Pr Bouchard est déjà une référence dans le domaine, avec des travaux pionniers, et des contributions internationales de fort rayonnement. Il s’intéresse particulièrement à l’identification des marques épigénétiques impliquées dans le développement de l’obésité, du diabète et des maladies cardiovasculaires.
Des « accents » génétiques
Les mécanismes épigénétiques sont peu connus et leur fonctionnement recèle encore bien des mystères. «On peut assimiler les mécanismes épigénétiques aux accents dans la langue française, illustre Luigi Bouchard. Par exemple, dans les mots ‘sucre’ et ‘sucré’, l’accent change la signification du mot, sans que la séquence de lettres ne soit changée. Les mécanismes épigénétiques sont des ‘accents’ chimiques –des molécules–, qui sans changer la séquence du gène, modifient sa signification, et donc la façon dont l’information génétique est interprétée.» Le chercheur s’intéresse plus particulièrement aux mécanismes épigénétiques dans un contexte de programmation fœtale. «C’est dans la vie fœtale que le programme épigénétique initial est établi et que les accents sont mis sur les gènes aux endroits là où ils devraient être. Par contre, si ces accents ne sont pas placés aux bons endroits, on pense que cela pourrait rendre ces personnes plus susceptibles de développer certaines maladies, dont l’obésité et le diabète.» Et pour élucider ces phénomènes, le diabète de grossesse apparaît comme une bonne source de renseignement.
Le diabète de grossesse dans la mire
En collaboration avec les professeurs Marie-France Hivert et Patrice Perron du département de médecine, Luigi Bouchard a participé à la constitution, depuis 6 ans, d’une cohorte – connue sous le nom Gen3G (Genetics of Glucose regulation in Gestation and Growth) – qui a inclus initialement environ 1000 femmes enceintes et l’équipe continue maintenant de suivre mères et enfants. Les mères ont été recrutées dès le 1er trimestre de la grossesse et les chercheurs ont répertorié systématiquement certains évènements, dont la présence du diabète gestationnel et son traitement. Ce travail se poursuit et fournit une base d’échantillons biologiques (sang, sang de cordon, placenta) qui permettent de mener diverses analyses biochimiques et épigénétiques. «On étudie le diabète gestationnel, parce qu’on sait que les enfants exposés à l’hyperglycémie de leur mère ont plus de risques de macrosomie –soit d’avoir un poids dépassant les 4 kg à la naissance. On voit donc que le diabète de grossesse a un effet tôt dans la vie, et on observe dans nos données préliminaires, qu’il peut y avoir d’autres conséquences, comme de l’obésité vers l’âge de 4 à 6 ans. Le risque de développer le diabète dans la vie adulte serait également plus grand selon d’autres études épidémiologiques.» Étant donné que les manifestations cliniques de ces maladies arrivent tardivement par rapport à l’exposition pendant la vie fœtale, les chercheurs font l’hypothèse qu’ils pourraient avoir affaire à une mémoire cellulaire. «On croit que les mécanismes épigénétiques sont une excellente façon de garder en « mémoire » un stress métabolique comme l’exposition à l’hyperglycémie maternelle.» On veut donc mieux cerner les mécanismes épigénétiques qui pourraient prédire les risques à court et à long terme pour la santé des bébés. Une première étude parue en 2010 dans la revue Diabetes Care, a ciblé un gène –la leptine– et a permis de mettre en lumière des différences épigénétiques chez les enfants exposés au diabète gestationnel.
L’UdeS dans une étude britannique de fort rayonnement– L’expertise développée par les chercheurs de l’UdeS, les a amenés à collaborer à une vaste étude dirigée par des chercheurs britanniques et parue dans le prestigieux Journal of the American Medical Association (lien en fin de texte). Cette recherche a pour thème la «Preuve génétique de relations causales entre les traits liés à l'obésité maternelle et le poids à la naissance». La cohorte sherbrookoise a contribué à cette vaste étude qui totalisait des données pour environ 30 000 mères et leurs enfants. L’étude a notamment montré un poids pré-grossesse plus élevé ou un taux de glucose plus élevé chez les mères entrainent la naissance de bébés de plus gros poids, alors qu’en revanche, l’hypertension chez la mère était liée à des bébés plus petits. Auparavant, ces phénomènes étaient connus, mais l’utilisation de technique d’analyses basées sur la génétique a permis de clairement l’établir et de supporter un lien causal. «Cette étude montre l’importance de circonscrire certains événements de santé maternelle et de prévoir des interventions ciblées pour ces événements particuliers. Il apparaît pertinent de se concentrer sur l’obésité, diabète et hypertension. Pour nous plus spécifiquement, ça confirme que le diabète gestationnel est une bonne cible dans nos recherches en épigénétique», estime Luigi Bouchard.
Dépister plus tôt le diabète de grossesse
À la lumière de ses travaux de recherches, Luigi Bouchard est persuadé qu’il y aurait des avantages à améliorer et dépister plus tôt le diabète gestationnel. Cette recommandation est également faite par l’Organisation mondiale de la santé, dans l’optique de prévenir l’obésité infantile. Au Québec, le dépistage universel est indiqué et survient généralement vers le 6e mois de grossesse. «Si on parvient à administrer les tests plus précocement, on pourrait réussir à atténuer les effets du diabète gestationnel par une diète (efficace chez la moitié des femmes) ou par l’injection d’insuline. Il reste du travail à faire, mais l’hypothèse que je défendrais, c’est que si on dépiste, diagnostique et traite plus tôt, on peut espérer être en mesure de prévenir les complications de santé sur le long terme pour les mères et les enfants.»