Maladie de Lyme
Le Québec est-il en voie de réformer son approche?
D’ici 2020, 8 personnes sur 10 au Canada seront exposées à la tique qui transmet la maladie de Lyme. En réponse aux récentes données scientifiques ainsi qu’aux critiques des associations de malades, certains pays comme la France revoient leur protocole national de diagnostic et de traitement de la maladie. Confrontées aux mêmes réalités, les autorités de santé publique du Québec amorcent-elles un virage ?
Au cœur des critiques : les méthodes retenues pour le diagnostic de la maladie, plus spécifiquement les tests sérologiques de dépistage appelés Elisa et Western blot. Certains les jugent fiables et efficaces, d’autres les estiment caducs et soutiennent qu’ils ne détectent pas plus que le tiers des infections. C’est sur la base de ces tests, notamment, que plusieurs pays comme la France, les États-Unis et le Canada fondent leurs protocoles nationaux de diagnostic et de prise en charge médicale.
Autre objet de discorde : le traitement à privilégier lorsque la maladie est détectée tardivement et que le traitement antibiotique s’avère inefficace. Compte tenu des symptômes persistants après le traitement, la maladie de Lyme a bel et bien une forme chronique, affirment certains, alors que d’autres réfutent cela.
Qu’est-ce que la maladie de Lyme?
La maladie de Lyme doit son nom à la ville du Connecticut où elle a été suspectée pour la première fois il y a 40 ans. Elle survient après une piqûre de la tique à patte noire (Ixodes scapularis), elle-même infectée par la bactérie Borrelia burgdorferi. Les symptômes, complexes, peuvent se révéler plusieurs jours après la piqûre et s’apparentent à une sévère grippe, souvent accompagnée d’une éruption cutanée. C’est la maladie à transmission vectorielle la plus répandue dans les climats tempérés.
La situation québécoise
Le Québec n’échappe pas à la progression de la tique porteuse de l’infection, ni à la controverse quant au diagnostic et aux diverses formes de la maladie. L’Association québécoise de la maladie de Lyme (AQML), qui rassemble des individus atteints, a recueilli plus de 9000 signatures à sa pétition réclamant une intervention du gouvernement ainsi qu’un plan d’action provincial en bonne et due forme. En début d’année, elle a été entendue.
C’est ainsi qu’en mars 2018, la Commission de la Santé et des Services sociaux de l’Assemblée nationale du Québec a tenu des audiences publiques devant un groupe d’experts, d’élus et de personnes atteintes par la maladie. Le 11 avril, elle publiait son rapport. La Commission conclut que le Québec doit faire plus et mieux pour traiter la maladie. Plus encore, elle décèle les signes « d’un véritable problème de santé publique » et souligne « la méconnaissance et la complexité de la maladie, qui rendent son diagnostic et son traitement difficiles ».
La commission formule trois recommandations au gouvernement : mettre sur pied une rigoureuse campagne de sensibilisation du public « d’ici l’été 2018 », bonifier le programme de formation des professionnels de la santé sur les formes de la maladie, son diagnostic et son traitement et, finalement, entamer des actions pour répondre aux conclusions du rapport au sujet des nouvelles modalités de traitement de la forme chronique de la maladie et de la recherche. Cet aspect avait déjà été confié, en 2017, à l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS), qui doit rendre un avis et des outils cliniques au printemps 2019.
François Milord est médecin et professeur au Département des sciences de la santé communautaire de la Faculté de médecine et des sciences de la santé. Ses recherches portent sur la maladie de Lyme et les autres maladies associées aux animaux. Médecin-conseil à la Direction de la santé publique de la Montérégie, il est membre d’un groupe d’experts sur les maladies transmises par les tiques et a participé à la rédaction de plusieurs dizaines de rapport sur le sujet. Il a accepté de répondre à quelques questions pour faire la lumière sur la situation québécoise.
Les États-Unis et la France, notamment, reconnaissent que le nombre de cas «enregistrés» sur leur territoire est sous-estimé. On parle ici d'un facteur 10. Depuis 2011 les autorités québécoises disent avoir enregistré un peu moins de 1000 cas. Si les pays qui «expérimentent» la maladie de Lyme depuis plus longtemps estiment que leurs bilans sont sous-estimés, cela ne devrait-il pas être aussi le cas pour le Québec?
Il faut savoir que la maladie de Lyme est une maladie à déclaration obligatoire depuis 2004. La sous-estimation des cas est un phénomène réel qui s’applique à toutes les maladies faisant l’objet d’une surveillance. Les systèmes de surveillance ne sont jamais parfaits. Dans le domaine des maladies infectieuses, la sous-estimation est généralement plus importante pour les maladies bénignes que pour les maladies graves. Il n’y a pas de données sur la sous-estimation des cas de maladie de Lyme au Québec ou en Ontario. Par contre, il est clair que la sous-estimation des cas est plus importante pour le stade précoce de la maladie (rougeur sur la peau) que pour les stades plus avancés (atteinte du système nerveux).
Même si en principe tous les cas d’infection doivent être rapportés, les autorités de santé publique n’ont pas le contrôle sur les médecins de manière individuelle. Certains médecins peuvent ne pas transmettre l’information car actuellement, la procédure est un peu lourde : ils doivent remplir un formulaire et le faire parvenir à la Direction de santé publique (DSP) de leur région. Par contre, dans les laboratoires, la transmission des données se fait de manière automatique et nous pensons qu’ils nous communiquent 100% des cas. Autre chose importante : parmi les cas déclarés à la DSP, tous ne répondent pas parfaitement aux critères officiels. Par exemple, l’érythème du patient doit mesurer 5 cm ou plus pour être retenu. On voit cependant que des médecins déclarent des cas où l’érythème ne fait pas plus de 3 cm. Les médecins, donc, se donnent une marge de manœuvre et prescrivent parfois des traitements même si les critères officiels ne sont pas rigoureusement rencontrés. C’est une avancée par rapport à la situation d’il y a 10 ans, alors que la maladie n’était pas très connue. Je pense que les médecins sont aujourd’hui davantage ouverts aux traitements d’essai, même si le patient ne présente pas tous les critères de la maladie.
Le rapport de la Commission de la Santé et des Services sociaux souligne « la méconnaissance et la complexité de la maladie, qui rendent son diagnostic et son traitement difficiles ». Quelle est la valeur accordée aux tests sérologiques au Québec?
Ce qu’on dit ici au Québec, c’est qu’on doit se baser sur trois informations pour faire le diagnostic. On investigue d’abord la possibilité d’une exposition à une tique lors d’activités extérieures récentes. On regarde évidemment s’il y a présence de symptômes compatibles avec la maladie, et puis on analyse les résultats des tests sérologiques. Dans de rares cas, il est possible de faire des tests supplémentaires appelés PCR, pour rechercher des traces de l’ADN de la bactérie. En somme, les médecins doivent se baser sur un ensemble d’infos, pas seulement les résultats de tests. Selon le stade de la maladie, par exemple le stade précoce, il y a plus de poids à mettre sur les aspects cliniques (symptômes et exposition) que sur les résultats des sérologies. Mais devant un stade plus avancé, disséminé, la sérologie a effectivement un poids plus important.
Maintenant, il est vrai que les tests sérologiques sont perfectibles. Ils peuvent être améliorés. Les autorités de santé publique des États-Unis et d'Europe pensent que ces tests sont relativement fiables. Au Québec, nous avons centralisés les efforts de dépistage de la maladie : toutes les sérologies sont envoyées au laboratoire du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS) ou au laboratoire de l’hôpital Charles-Le Moyne à Longueuil. Je veux souligner que ces centres utilisent des trousses diagnostiques de nouvelle génération, qui incluent non seulement le dépistage de la bactérie Borrelia burgdorferi mais également de la Borrelia afzeli et de Borrelia garinii qui sont rapportés d’Europe où ils causent la maladie de Lyme.
Ces tests sérologiques reposent sur des données scientifiques d’avant 2006. Des organisations comme le Center for Disease Control et le Département de la santé et des services sociaux, aux États-Unis, pondèrent la valeur de cette méthodologie et en France, les résultats de ces tests ne permettent plus d’écarter un diagnostic de Lyme depuis juin 2018. N’y a-t-il pas un décalage entre ce que dit la science et le discours des autorités québécoises?
La maladie de Lyme est un phénomène relativement nouveau dans notre environnement et il y a un délai avant que toutes les réponses se mettent en place. Avec la pétition déposée par l’AQML et les recommandations de la Commission, il y a quand même une forme de déblocage et d’ouverture au sujet du besoin de faire plus de recherche sur la maladie, les techniques de diagnostics, les traitements, etc. Je répète que les trousses de diagnostic en laboratoire se sont améliorées. Mais je suis d’accord sur le fond, les protocoles restent les mêmes.
Au sujet de la forme chronique, effectivement on réalise très bien qu’on ne connait pas tout de cette maladie-là. Malgré tout - c’est ma compréhension et ma croyance – les façons de faire actuelles sont en concordance avec les symptômes présentés chez la majorité des patients, avec les profils les plus fréquents. Pour les formes présentant des symptômes persistants, il faut plus de recherche.
Je veux rappeler qu’il y a quelques années, des pressions avaient été faites sur le gouvernement fédéral au sujet de la maladie de Lyme. Ces pressions ont entraîné des résultats et dans les prochains mois, le gouvernement du Canada devrait annoncer l’attribution de plusieurs subventions pour des recherches qui vont s’attaquer aux questions que vous soulevez. De l’extérieur, on peut trouver que les choses n’avancent pas rapidement, mais de l’intérieur, plusieurs interventions sont mises de l’avant.
Des recherches récentes démontrent une persistance des anticorps de la bactérie Borrelia burgdorferi chez des primates ayant été traités par antibiothérapie. Les autorités québécoises reconnaissent-elles qu’il est possible que la bactérie persiste dans l’organisme même après le traitement?
C’est un sujet d’étude actuellement. Les personnes qui sont dans cette situation devraient être référées à des médecins spécialisés en infectiologie ou en médecine interne. On peut s’attendre d’un médecin de famille qu’il élimine certaines maladies – les symptômes de la maladie de Lyme peuvent être confondus avec ceux de plusieurs autres maladies - mais selon moi ces cas sont du ressort du médecin spécialiste. Ceux qui pratiquent dans les régions où la maladie est la plus présente développent une expertise avec le temps. J’ai des contacts assez réguliers avec des infectiologues issus des régions les plus touchées et je sais qu’ils sont en mesure de faire ces liens complexes. Mais on manque d’outils pour traiter ces patients à l’heure actuelle. Somme toute, les études n’ont pas montré un effet convainquant des traitements antibiotiques prolongés pour ces malades. Je vois d’ailleurs plusieurs rapports au sujet d’importants effets secondaires de la longue antibiothérapie. Donc il faut se dire : quelles sont les autres approches? Nous sommes dans cette attente, malheureusement, et il y a beaucoup d’inconnus encore.
Jusqu’à maintenant, cette méconnaissance de la maladie et sa complexité ne semblent pas reflétées dans le discours des autorités. Cette assurance des autorités médicales, ou cette apparente assurance, frustrent les malades qui se disent incompris. Quelles informations scientifiques sont communiquées aux médecins par la formation?
Ce que je peux mentionner, c’est que des choix peuvent être faits au niveau des communications avec les médecins et la population. Nous, à la Direction de santé publique de la Montérégie, nous insistons sur la prévention de la maladie et les modalités de traitement des formes précoces. On choisit de mettre l’accent sur certains aspects plutôt que certains autres. Il est aussi important d’avoir un discours qui fait en sorte de ne pas inquiéter inutilement la population. Actuellement, on voit et entend des gens qui remettent en question leurs activités extérieures à cause du risque, et c’est ce que nous voulons éviter.
Une des recommandations formulées par le rapport de la Commission est de bonifier la formation des professionnels de la santé…
Tout à fait. Un groupe de médecins de la Montérégie a monté une formation en ligne destinée aux médecins de première ligne et elle est accessible depuis septembre 2017. On considère que cette formation couvre l’ensemble des symptômes que peut présenter un patient atteint de la maladie. On y présente aussi une grande variété de symptômes liés aux stades plus avancés de la maladie. Par exemple, on sait que le 7e nerf crânien est le plus affecté des nerfs du cerveau chez le patient atteint. Mais plusieurs autres nerfs crâniens peuvent également être affectés et c’est clairement dit.
Le Québec n’a pas de plan d’action national, malgré les demandes répétées des malades. Actuellement, chacune des Directions régionales de santé publique est responsable de définir les messages à la population et de mettre en place son propre plan d'action. Ne devrait-il pas y avoir une coordination/centralisation à l'échelle nationale pour une plus grande force d'impact et une meilleure gestion de la situation?
Chaque année, au mois d’avril, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) organise une réunion avec les DSP et l’Institut national de santé publique (INSPQ) pour présenter l’état de situation et les actions prévues. Cela permet un partage des idées et une coordination des efforts. Le MSSS prend en charge l’information générale, la mise à jour des outils pour les citoyens (ex. : information sur le portail santé mieux-être, dépliants) et les contacts avec les organismes provinciaux (ex. : Association des parcs ou des campings). Les DSP sont plus près des citoyens et peuvent répondre à leurs demandes spécifiques. Par exemple, les DSP des régions touchées vont rencontrer des élus locaux ou des groupes de citoyens pour parler des moyens de prévenir la maladie.
Concernant la prise en charge clinique, l’INESSS travaille sur ce mandat actuellement et plusieurs guides devraient voir le jour au printemps 2019. Ces travaux vont s’inspirer de tout ce qui est publié récemment en sciences, et on attend aussi la mise à jour des lignes de conduite de la Société américaine de maladies infectieuses. L’INESSS a une excellente réputation et on espère que son travail va renforcer les outils des professionnels de la santé pour la prise en charge des cas. Ces guides aborderont le diagnostic et le traitement des différentes formes de la maladie ainsi que la forme chronique.
Le Québec, cependant, a un très bon plan de surveillance des tiques et des personnes malades. Chaque été, des prélèvements de tique sont réalisés dans les boisés de 10 régions pour mieux connaître sa progression. C’est ainsi que depuis 2017, nous avons ajouté l’Outaouais parmi les régions les plus affectées, avec la Montérégie et l’Estrie.
Informations complémentaires
- Tests sérologiques : avis du Département américain de la santé
- Tests sérologiques pondérés par le Center for Disease Control aux États-Unis
- Au sujet de la persistance de Borrelia burgdorferi dans PLOS
- Au sujet de la persistance de Borrelia burgdorferi dans The American Journal of Pathology
- La maladie de Lyme - Institut national de santé publique
- eTick : plateforme publique d’identification d’images et de suivi des populations de tiques au Canada
- Rapport de la Commission de la santé et des services sociaux sur les auditions de mars 2018 concernant la maladie de Lyme