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Carnets de voyage

L'œil blanc du Ghana

Une vendeuse de vin de palmier
Une vendeuse de vin de palmier
Photo : Louis-Pierre Poulin

Finissant au doctorat en médecine, Louis-Pierre Poulin a mis à l'épreuve ses connaissances et son expérience à l'occasion de plusieurs voyages à l'étranger. Au cours de la dernière année, il a notamment voyagé au Ghana, en Haïti et à Taïwan. Il nous raconte son deuxième stage au Ghana.

Un deuxième voyage au même endroit est toujours moins surprenant. L'œil du néophyte se transforme; celui de l'habitué se développe et devient moins choqué, moins surpris. Il a déjà vu des enfants travailler, il a vu ces chèvres traîner derrière un vélo. Il sait ce que lui réserve sa douche avec un seau et l'eau du puits. Ses oreilles ont déjà entendu tous les villageois criant «yovo!» à son passage, ce qui signifie «Blanc».

La boucherie du village
La boucherie du village

C'est ainsi que je suis arrivé pour une deuxième fois à Accra, capitale du Ghana, en compagnie de Nicolas Demers Labrousse, étudiant en politique appliquée. Six autres étudiants sont venus nous rejoindre une semaine plus tard. Cette fois-ci, une mission différente m'était confiée. Je devais faire un stage dans un hôpital.

Organisation facultative

Je n'avais pas organisé grand-chose avant le départ. Mon premier séjour m'avait appris que rien ne sert de s'organiser au Ghana. Tout se concrétise dans la mesure du possible; il suffit de savoir parler un peu et de faire preuve d'imagination.

Louis-Pierre Poulin à l'orphelinat de Hohoe
Louis-Pierre Poulin à l'orphelinat de Hohoe

Je me dirige ainsi de nouveau vers Hohoe, un village au nord-est d'Accra. Mêmes visages, mêmes vendeurs, même atmosphère. Grande amélioration cependant : la rue principale autrefois crevassée de nids-de-poule est maintenant pavée! La même ambiance y règne : marchands et marchandes, taxis, musique assourdissante, animaux, odeur nauséabonde, policiers, villageois. Tous ces ingrédients formant une ambiance homogène me rappellent ce qui m'a tant manqué…

Les jeunes du quartier
Les jeunes du quartier

Je refais très rapidement le tour du village, me dirigeant vers l'orphelinat où nous avions travaillé précédemment. Après presque deux ans, je m'attendais à voir les enfants considérablement changés. J'ai eu une certaine déception lorsque je me suis aperçu que tout semblait comme auparavant. Quelques orphelins ont quitté, ayant été adoptés. La plupart des enfants semblent de même taille et de même poids… Ainsi la malnutrition et les carences affectives ont probablement fait leur œuvre. Le sourire des enfants est cependant le même; sourire magique, sourire de rêve, sourire sincère, récompensant tous les efforts investis dans ce voyage.

Cueillette d'eau de pluie à l'orphelinat
Cueillette d'eau de pluie à l'orphelinat

Après quelques accolades, les enfants retournent chacun à leurs tâches. Certains vont chercher l'eau à la rivière pour boire et se laver, d'autres servent la nourriture. L'événement m'ayant le plus ému est ce jeune gamin de cinq ans qui a pris un t-shirt en guise de filtre pour recueillir la pluie dans un seau, sachant que cette eau est plus pure que celle qu'il boit au quotidien. Personne ne lui a demandé de le faire, il sait, c'est tout.

Malaria et morsures de serpent

L'urgence de l'hôpital
L'urgence de l'hôpital

Mon travail à l'hôpital consiste principalement à faire la tournée des patients hospitalisés et ensuite passer à la salle de consultation. On y traite des cas variés, de la malaria aux morsures de serpent.

J'ai été étonné de constater l'accessibilité des soins de santé dans cette ville. Il y a environ trois ans, le Ghana a mis en œuvre une assurance maladie accessible à moindre coût. Grâce à cette assurance volontaire, les patients n'ont pas besoin de payer pour une consultation ou une opération, et plusieurs médicaments sont couverts. De plus, tous les patients se présentant en consultation sont vus la journée même.

Une infirmière donnant des médicaments à un patient
Une infirmière donnant des médicaments à un patient

Ce qui m'a le plus frappé est sans doute à quel point les diagnostics sont posés de façon hâtive. Je dirais même que les examens physiques et les examens de laboratoire sont «facultatifs»! Pour être médecin à Hohoe, il est primordial de retenir les trois diagnostics principaux : malaria, malaria et… malaria!

Une unité d'hospitalisation
Une unité d'hospitalisation

La définition de professionnalisme n'est pas la même par ailleurs. Il est normal pour le médecin de répondre au téléphone alors qu'il est en consultation. Anecdote humoristique, un chasseur fait son entrée en pleine entrevue pour vendre au médecin une bestiole morte ressemblant à une marmotte. Un peu de marchandage et le médecin prend l'animal dans un sac, puis le dépose dans le coin du cabinet en me disant que c'est de la très bonne viande… Tout ça devant le patient, qui ne semble pas surpris du tout de ce genre de comportement. Il est par ailleurs dommage de constater la non-scolarisation du peuple. Une femme au gros ventre n'ayant pas eu ses règles depuis sept mois se demande ce qu'elle peut bien avoir…

Chaque dollar compte au Ghana. Il est désolant pour moi de voir notre voisine utiliser ses dessins d'école comme papier de toilette, car chaque sou est compté. C'est ainsi que nous acceptons volontiers de donner 1 $ à Malowè pour qu'elle puisse aller à l'école cette semaine…

Un peuble accueillant

Une marchande de pain
Une marchande de pain

Le peuple ghanéen est certainement le plus accueillant, le plus chaleureux et le plus honnête que j'ai rencontré jusqu'à présent. Combien de gens m'ont proposé leur aide, m'ont demandé d'être leur ami. Je me suis senti chez moi au Ghana, même avec mes cheveux blonds, mes yeux bleus et ma peau blanche comme neige.

Nicolas Demers-Labrousse et Louis-Pierre Poulin à l'orphelinat
Nicolas Demers-Labrousse et Louis-Pierre Poulin à l'orphelinat

Aller en Afrique de l'Ouest, pour moi, c'est comprendre l'entraide, comprendre le partage, comprendre qu'il faut se soucier des autres, bien avant de penser seulement à sa personne. Tout le monde y est traité comme un membre de la famille, personne n'est laissé de côté. Vivre en communauté prend ainsi tout son sens; l'individualisme et l'égoïsme n'existent tout simplement pas.

Je ne peux décrire dans cet article toutes les inégalités vécues. Peuple ghanéen, vous êtes fort, vous êtes courageux. Je remercie encore ce pays de m'avoir ouvert les yeux sur un mode de vie différent et de m'avoir accueilli à bras ouverts pour une deuxième fois, et de m'avoir encore fait sentir comme chez moi, et non comme un étranger. Merci de m'avoir fait comprendre encore une fois que nous sommes tous frères et sœurs, et peu importe notre couleur de peau, notre statut social ou notre origine, nous sommes humains avant tout.