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Un texte de l'historien Guy Laperrière

Andrée Désilets : la grande dame de l'histoire

Andrée Désilets, professeure émérite de l'Université de Sherbrooke, est décédée le 9 mai dernier.
Andrée Désilets, professeure émérite de l'Université de Sherbrooke, est décédée le 9 mai dernier.
Photo : Fournie

Andrée Désilets nous a quittés. La grande dame de l’histoire n’est plus. Depuis quelques années, on ne l’entendait plus… Elle qui avait été si présente parmi nous. C’est que, comme bien d’autres, elle a dû écouler les dernières années de sa vie à l’hôpital, en centre d’hébergement. Pendant plusieurs années, elle y a égayé son étage par sa vivacité, sa délicatesse, sa distinction. Puis, vint le temps du recul, du silence. Aujourd’hui, elle nous quitte, à 89 ans. Mais quel œuvre immense elle laisse derrière elle, elle qui a été si attachée à l’histoire de Sherbrooke qu’elle en est devenue comme la personnification vivante!

La formation d’une historienne

Nous ne pouvons retracer ici tout son parcours. Quelques étapes, seulement. Elle est née à Sherbrooke, sur la rue London, avant de déménager sur Portland. Elle entre chez les sœurs de la Congrégation de Notre-Dame et complète à l’Université Bishop’s un mémoire de maîtrise sur « Le nationalisme chez Honoré Mercier ». Elle sera dès lors religieuse enseignante dans des collèges de Montréal et au Cégep de la Gaspésie, région à laquelle elle resta toujours attachée.

En même temps, elle poursuit à l’Université Laval des études de doctorat avec Jean Hamelin, un maître qui la marque profondément, notamment en l’orientant vers la biographie historique. C’est ainsi qu’elle produit une thèse de licence sur un de ses ancêtres, François-Xavier Lemieux (1964), puis un doctorat sur Un père de la Confédération canadienne, Hector-Louis Langevin (1967). Elle écrit par la suite un nombre impressionnant de biographies pour le Dictionnaire biographique du Canada, dirigé justement par son maître et ami Jean Hamelin.

À l’Université de Sherbrooke

Quittant la vie religieuse, elle est engagée comme professeure au Département d’histoire de l’Université de Sherbrooke en 1970, en même temps que Micheline Dumont et Bernard Chaput. Elle y demeure pendant vingt ans et devient l’une des premières directrices de département de l’Université. Comme directrice, elle promeut vigoureusement la recherche, organisant en particulier des séminaires de maîtrise et publiant les meilleurs mémoires préparés sous sa direction.

Elle prend une part active à la vie de l’université, en même temps qu’au rayonnement de la discipline historique. S’intéressant particulièrement à la toponymie, elle fait partie de la Commission des lieux et monuments historiques du Canada, échappant de peu à la mort lors de l’accident d’avion du 23 juin 1978 à Terre-Neuve dans lequel périssent quatre autres membres de cette commission.

Elle est très active au comité de rédaction de la principale revue d’histoire scientifique au Québec, la Revue d’histoire de l’Amérique française, qu’elle dirige de 1982 à 1985. Elle devient ensuite présidente de l’Institut d’histoire de l’Amérique française, de 1985 à 1989, le principal regroupement des historiens du Québec et du Canada français.

À l’origine de l’essor de la Société d’histoire

Seule professeure du Département d’histoire originaire de Sherbrooke, elle a à cœur de renouveler les études en histoire régionale. Mais c’est surtout son action en faveur de la Société d’histoire de Sherbrooke que les Sherbrookois retiennent et reconnaissent. Elle en est la présidente de 1981 à 1992. Que d’efforts n’a-t-elle faits pour revigorer la vénérable Société d’histoire des Cantons de l’Est, née un an avant elle, en 1927!

Elle multiplie les activités et cherche en particulier à loger la Société dans des locaux convenables. Dans un premier temps, elle réussit à obtenir des salles modestes au domaine Howard, mais par la suite, après avoir coordonné les efforts de trois organismes culturels, le Musée du Séminaire, le Musée des Beaux-Arts et la Société d’histoire, elle fait emménager la Société dans les magnifiques locaux de la rue Dufferin, dans ce qui fut à l’origine le Bureau de poste de la ville, puis sa bibliothèque.

Ces locaux sont gracieusement mis à la disposition de la Société par la Ville, après les efforts que l’on devine de la part de la présidente. Elle a été puissamment secondée dans cette tâche par une proche collaboratrice, Louise Brunelle-Lavoie, qui devient plus tard présidente de la Commission des biens culturels du Québec.

L’inauguration de cet édifice comme Centre d’interprétation de l’histoire de Sherbrooke a lieu en 1992, année du 200e anniversaire de la création des cantons de l’Est et année où elle peut laisser la présidence en disant : mission accomplie! Cette même année, l’Université Bishop’s lui décerne un doctorat d’honneur.

De nombreuses publications sur Sherbrooke et sa vie culturelle

N’essayons pas d’énumérer ici les publications d’Andrée Désilets sur sa ville : la liste est trop longue. Signalons au moins quelques pièces marquantes. Les vingt-cinq ans de l’Université de Sherbrooke, 1954-1979, en collaboration avec son collègue Jean-Guy Lavallée et Louise Brunelle-Lavoie. Toujours avec cette dernière, une histoire de Caritas-Sherbrooke, L’action sociale à Sherbrooke, 1957-1982. Madame Désilets a toujours manifesté un grand intérêt pour la toponymie, témoin son ouvrage sur Les noms de rues à Sherbrooke (1825-1980). La vie culturelle de la ville la passionne, comme le montre La vie musicale à Sherbrooke, 1820-1989. Enfin, couronnement de tout cet œuvre, un bel album, magnifiquement illustré : Sherbrooke, 1802-2002 : deux siècles d’histoire, publié d’abord en 1998 et repris en 2001 pour le bicentenaire de la Ville.

Une femme attachante

Au-delà de ces diverses réalisations, c’est d’une femme attachante que nous nous souviendrons. Elle avait une passion pour le travail bien fait, ses textes étaient toujours soignés et élégants. C’était aussi une femme de relations : elle a su, par exemple, établir entre la Ville de Sherbrooke ou le journal La Tribune et la Société d’histoire des rapports plus que cordiaux qui ont porté des fruits qui durent encore aujourd’hui. La Société d’histoire lui doit beaucoup : aussi a-t-elle nommé sa salle d’exposition principale Salle Andrée-Désilets. Sa mémoire reste ainsi parmi nous. On est heureux de rendre hommage à cette femme pionnière, visionnaire et passionnément attachée à l’histoire.


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