ÉTAT EXOTIQUE : LE LIQUIDE DE SPIN QUANTIQUE
La mécanique quantique permet l’émergence de nombreux états exotiques de la matière. Le liquide de spins quantique, par exemple, est un état fondamental d’un système magnétique où les spins sont hautement intriqués et donnent lieu à des excitations magnétiques émergentes. Plusieurs types de liquides de spins présentent des quasi-particules fractionnaires dîtes spinons : des excitations fermioniques qui portent un spin-1/2 (comme un électron), mais qui ne portent aucune charge électrique.
Arash Akbari-Sharbaf, Aimé Verrier et Jeffrey Quilliam ont participé à l’étude d’une série de matériaux, les Li2In1- xScxMo3O8, parmi lesquels se trouve un exemple de cette phase surprenante. Dans ce cas, les spinons ont un comportement métallique selon les mesures de chaleur spécifique, malgré que ces matériaux soient des isolants électriques !
Ayant étudié ces matériaux avec un ensemble de techniques expérimentales, les chercheurs proposent que ce soit l’interaction des degrés de liberté de spin et de charge sur un réseau hautement frustré – le réseau kagomé – qui est à l’origine du liquide de spins. Plus précisément, cette famille de matériaux peut être considérée comme un réseau kagomé « respirant » d’ions de molybdène, où les triangles ascendants et descendants ont deux tailles différentes. Dans les composés Li2In1-xScxMo3O8, le paramètre respiratoire (λ), défini comme le rapport des longueurs de liaison longue et courte, change de façon non monotone avec la concentration de Sc (x), permettant le passage du système d’un antiferroaimant conventionnel pour grand λ en un liquide de spins quantique pour petit λ. Lorsque λ est grand, les électrons sont confinés sur les petits triangles formant des amas de spin-1/2 sur un réseau triangulaire avec une interaction d’échange antiferromagnétique entre eux, ce qui conduit à un ordre antiferromagnétique à longue portée. D’autre part, lorsque λ est petit, les électrons ne sont plus confinés à des triangles individuels mais peuvent résonner autour d’un hexagone, ce qui conduit à un nouvel ordre de charge de plaquette (PCO). Les mesures thermodynamiques et de rotation de spin muon (μSR) suggèrent que la phase PCO coïncide avec un degré élevé de frustration de spin menant à un liquide de spins.
Ainsi, en jouant sur les degrés de liberté de charge, il est possible d’augmenter ou de diminuer la frustration magnétique et donc ajuster le système entre un état conventionnel et un état exotique, c’est-à-dire le liquide de spins quantique.
Ces recherches, réalisées en collaboration avec deux groupes de recherche situés en Chine et aux États-Unis, ont abouties à un papier dans le journal Physical Review Letters en mai 2018.