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16 février 2023 Communications IQ
Dans nos laboratoires

À Sherbrooke, on déjoue les inégalités de Bell depuis plus de 15 ans!

Dans les laboratoires du Département de physique

Photo : Karine Couillard UdeS

C’est dans nos laboratoires d’enseignement du Département de physique que ça se passe.  En effet, on y reproduit une version modifiée de la célèbre expérience du professeur Alain Aspect (début des années 80), récipiendaire du Nobel de physique 2022.

Pour réaliser notre expérience, nous avons besoin d’utiliser des cristaux non linéaires qui peuvent fractionner un photon violet en une paire de photons infrarouges, chacun avec la moitié de l’énergie du photon initial. Un premier cristal permet de générer des paires de photons polarisés verticalement alors qu’un second génère des paires de photons polarisés horizontalement.  Si ces deux cristaux sont assez minces, accolés l’un derrière l’autre, et le photon violet qui les excite est polarisé à 45o, ils devraient permettre de générer des paires de photons qui ne sont ni polarisés verticalement, ni horizontalement, mais dans une superposition quantique de ces deux états de polarisation. C’est ce qu’on appelle une paire de photons intriqués. Deux polariseurs serviront ensuite à la mesure de la polarisation de chacun des photons d’une même paire afin d’en mesurer leur degré de corrélation.

La physique quantique prédit depuis longtemps l’existence de ces paires de photons intriqués en polarisation.  Elle stipule que la mesure de l’état de polarisation d’un photon de cette paire donne un résultat complètement aléatoire. Cependant, si un des photons de la paire est mesuré avec une certaine orientation de polarisation, alors l’autre photon de la paire se retrouve instantanément polarisé dans cette même direction. De plus, cela se produit peu importe la distance entre les deux photons de la paire. Ce dernier point contrariait grandement Einstein, car l’idée qu’une mesure de l’état d’un des photons perturbe instantanément l’état du deuxième semblait défier la théorie de la relativité.

Pour Einstein, la physique quantique était une théorie incomplète, il fallait que le résultat de la mesure de l’état d’une particule ne soit pas probabiliste, mais déterministe, et lié à des propriétés des particules impossibles à observer directement : des variables cachées. Les photons d’une paire devraient donc être polarisés verticalement ou horizontalement, mais jamais les deux en même temps, la polarisation étant dictée par la valeur de la variable cachée attitrée à la paire mesurée.

Son contemporain Niels Bohr lui s’opposait à cette vision déterministe et prétendait que la physique quantique était une théorie complète, mais également une théorie non locale où des objets distants peuvent avoir instantanément un effet l’un sur l’autre. Ce débat entre la physique quantique et la théorie à variables cachées était vu, pendant longtemps, comme un débat purement philosophique entre ces deux géants de la physique.

C’est John Bell qui énonça en 1964 une inégalité mathématique que doivent respecter les mesures sur des paires de photons intriqués dans l’hypothèse d’une théorie déterministe locale à variables cachées (Einstein).  Ses inégalités imposent une limite supérieure au degré de corrélation entre les photons d’une paire dans le cadre d’une telle théorie. On dispose donc alors d’un puissant outil permettant de trancher la question à savoir qui de Bohr ou Einstein a raison.

Faute de sources efficaces pour générer des paires de photons intriqués, les premières expériences effectuées en 1972 n’ont pas vraiment été concluantes. C’est Alain Aspect (1982) qui a élucidé le débat en déjouant les inégalités de Bell, confirmant l’existence de ces fameux états intriqués et l’interprétation de Bohr de la théorie quantique.

L’expérience d’Aspect était vraiment un tour de force expérimental, car lui ne disposait pas d’une source de photons intriqués très intense. Il utilisait une cascade radiative dans les atomes de calcium. Aujourd’hui, l’utilisation de cristaux non linéaires permet d’obtenir des flux de photons intriqués très élevés et de simplifier grandement l’expérience.

« Chaque fois que je reproduisais cette expérience avec nos étudiants de troisième année, je leur disais qu’à mon humble avis, Alain Aspect était nobélisable pour son accomplissement. C’est maintenant chose faite » explique Guy Bernier coordonnateur de laboratoire et concepteur de l’expérience.

Guy Bernier, coordonnateur de laboratoire au Département de physique

Au sujet du travail de Guy Bernier, le Pr Jeffrey Quilliam avait ceci à dire « Nous sommes très chanceux d’avoir Guy Bernier comme coordonnateur du laboratoire d’enseignement. C’est quelqu’un de passionné qui s’est souvent investi dans le développement de nouveaux travaux pratiques. Il a vraiment fait un travail extraordinaire avec notre expérience d’inégalités de Bell. Elle permet aux étudiants de revivre une expérience révolutionnaire qui affirme l’étrangeté de la mécanique quantique et qui a récemment été récompensée par le prix Nobel.»

 

 

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