En quête d’algorithmes pour mieux simuler les grandes molécules

Par Simon Ducharme, étudiant au baccalauréat en sciences de l’information quantique et stagiaire à l’AlgoLab été 2023

Même si les ordinateurs quantiques sont encore imparfaits, on peut déjà tenter de les mettre à profit pour effectuer certains calculs impossibles à réaliser avec un ordinateur classique. Par exemple, en chimie, on cherche à s’en servir pour simuler des molécules afin de trouver leur énergie à l’état fondamental, c’est-à-dire à l’état où leur énergie est minimale.

Pour ce faire, on peut recourir à des algorithmes variationnels tels que le Variationnal Quantum Eigensolver (VQE), qui tire parti à la fois de l’ordinateur quantique et de l’ordinateur classique, en exploitant les forces de chacun. Cependant, cet algorithme présente certaines limites qui le rendent inapte à la résolution de problèmes de grande taille. La recherche sur les variantes du VQE est un domaine en plein essor qui vise à contourner ses limites. ADAPT-VQE est un exemple de variante du VQE qui, en théorie, permet de surmonter certains de ces obstacles.

Préparer le terrain

Pour calculer l’énergie d’un système, il faut estimer la valeur moyenne d’un opérateur mathématique appelé l’Hamiltonien. Ce calcul de valeur moyenne doit être fait pour un état quantique donné, et cet état doit d’abord être préparé. Pour ce faire, il est nécessaire de fournir à l’algorithme un circuit quantique appelé ansatz, où chaque qubit représente une orbitale de la molécule. Ce circuit contient des portes logiques avec des paramètres ajustables, qui modifient les probabilités de trouver des électrons dans différentes orbitales de la molécule. L’aspect variationnel de l’algorithme consiste à ajuster ces paramètres avec l’objectif de minimiser la valeur moyenne de l’hamiltonien du système moléculaire. Le choix des paramètres à essayer est fait par un optimiseur classique qui est guidé par les estimations précédentes. La figure 1 illustre cette boucle d’optimisation, alors que la figure 2 montre l’énergie résultante après chaque itération.

En résumé, le calcul de l’énergie est effectué grâce à l’ordinateur quantique et c’est un ordinateur classique qui procède à l’optimisation des paramètres en explorant différentes combinaisons.

Figure 1- Représentation schématique de l’élaboration d’un VQE

 

Limites des VQE standards

Le premier problème auquel est confronté l’algorithme VQE, c’est qu’il n’y a aucune garantie qu’un ansatz arbitraire puisse préparer l’état quantique recherché. L’espace des états électroniques d’une molécule étant exponentiellement grand avec le nombre d’orbitales, il est nécessaire d’utiliser un nombre tout aussi exponentiel de paramètres pour l’explorer complètement. Pour contourner ce problème, on doit utiliser un ansatz capable de préparer l’état quantique voulu, mais avec un nombre limité de paramètres. Par ailleurs, plus un circuit quantique est long, plus il est sujet à la décohérence, c’est-à-dire à la perte d’information due à la nature imparfaite des qubits. Comme cela mène à des résultats moins précis, il est préférable d’identifier un ansatz le plus court possible.

L’algorithme VQE est également susceptible à un autre problème, soit celui des « barren plateaus ». Ce problème survient lorsque le calcul de l’énergie retourne constamment la même valeur malgré les changements apportés aux paramètres de l’ansatz. Cela rend alors le processus de minimisation parfaitement inefficace. De récents résultats montrent que ce phénomène est d’autant plus important lorsque le système implique un grand nombre de qubits et de paramètres.

Figure 2 – Précision de l’énergie du VQE en fonction du nombre d’itérations d’optimisateur classique pour LiH

 

Repousser les limites

Pour faire face à ces problèmes fondamentaux, ADAPT-VQE est une approche où l’ansatz est construit progressivement pendant la minimisation de la valeur moyenne. Pour commencer, on définit un ensemble de portes de logiques paramétrées permettant de simuler le déplacement des électrons de la molécule depuis certaines orbitales vers d’autres. À n’importe quel moment de la minimisation, chacune de ces portes peut potentiellement faire descendre l’énergie du système. Ce potentiel peut être calculé à l’aide du commutateur entre celle-ci et l’hamiltonien de la molécule. La porte logique offrant le plus grand potentiel pour minimiser l’énergie est identifiée comme étant celle associée au plus grand commutateur et est ajoutée à l’ansatz. Ensuite, les paramètres de l’ansatz sont optimisés à l’aide de la procédure de VQE de sorte à minimiser l’énergie. Si cette étape est bien effectuée, le potentiel de minimisation de la porte utilisée est épuisé. Il faut alors choisir une nouvelle porte, l’ajouter à l’ansatz et répéter ce processus jusqu’à ce que le potentiel de toutes les portes soit épuisé. Ce processus est illustré à la figure 3 où chaque itération correspond à l’ajout d’une porte à l’ansatz.

Figure 3- Précision de l’énergie de ADAPT-VQE en fonction du nombre d’itérations pour LiH

 

En ajoutant progressivement des portes à l’ansatz et en optimisant les paramètres à chaque itération, on s’assure d’avoir un circuit court qui contient peu de paramètres au début de la procédure, tout en étant capable d’optimiser les paramètres du circuit pour minimiser l’énergie. À priori, cette approche permet de limiter le phénomène des « barren plateaus » en s’assurant qu’à chaque itération, l’opérateur choisi permette une variation de l’énergie. Elle limite également l’impact de la décohérence, car elle produit des circuits relativement courts par rapport à d’autres méthodes. De plus, puisque le circuit se construit lui-même progressivement, il n’est pas nécessaire de poser le bon circuit dès le début afin de minimiser l’énergie. En revanche, rien ne garantit que cette procédure ne mènera pas à un minimum local, et donc à une réponse erronée.

En résumé, ADAPT-VQE est une variante qui surmonte certains problèmes du VQE en construisant progressivement l’ansatz, ce qui le rend plus apte pour traiter des molécules de plus grandes tailles. Cependant, d’autres améliorations devront encore être apportées aux algorithmes du type VQE pour que ceux-ci soient vraiment utiles, car la méthode optimale pour simuler des molécules en informatique quantique demeure encore inconnue.

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