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Percer les mystères des matériaux quantiques avec les champs magnétiques les plus intenses
Seyed Amirreza Ataei, doctorant en physique, en compagnie de Cyril Proust, directeur de recherche au CNRS et Louis Taillefer, professeur au Département de physique.
Photo : Michel Caron - UdeS
Prédire et observer de nouveaux phénomènes, et élucider de nouvelles propriétés des matériaux figurent parmi les grands défis de la physique. C’est aussi le fondement du projet « matière ultra-quantique », un des quatre grands projets porteurs de l’Institut quantique, auquel participe le Pr Louis Taillefer. La publication Electrons with Planckian scattering obey standard orbital motion in a magnetic field, réalisée grâce à Amirreza Ataei, étudiant au doctorat, et Cyril Proust, directeur de recherche au CNRS en France, approfondit notre compréhension du comportement des électrons dans les matériaux que l’on qualifie de « métaux étranges », comme les cuprates supraconducteurs.
Dans ces matériaux, les électrons sont en collision entre eux à un rythme qui semble dicté par la constante de Planck, suggérant qu’on touche ici à une nouvelle loi fondamentale de la physique quantique. Ce qui est observé en laboratoire, c’est une dépendance linéaire de la résistivité électrique avec la température – alors que la théorie standard prédit une dépendance quadratique. Dans une publication précédente, les scientifiques du groupe du Pr Taillefer ont démontré que le temps de collision entre électrons est bel et bien « planckien » – une découverte qui a été choisie par Québec Science comme l’une des 10 découvertes de l’année 2021.
Dans la présente publication, l’équipe de scientifiques explore comment la dynamique des électrons dans les métaux étranges est affectée par un champ magnétique. Pour répondre à cette question, il faut mesurer la résistivité en fonction du champ magnétique.
Réunir les expertises
La réussite de telles mesures repose tout d’abord sur la qualité des échantillons utilisés. Les matériaux choisis étaient des cuprates supraconducteurs à haute température à base de lanthane et de strontium – Nd0.4La1.6−xSrxCuO4 et La2−xSrxCuO4. Ces matériaux quantiques, pour ce projet de recherche hautement collaboratif, ont été synthétisés dans les laboratoires de recherche de collaborateurs aux États-Unis, au Japon et en Allemagne.
En plus de collaborer avec trois groupes de recherche chevronnés qui ont synthétisé les monocristaux, Amirreza Ataei a eu recours à l’expertise de collègues en France. « Nous devons appliquer les champs magnétiques les plus élevés possibles pour vraiment tester le comportement des électrons. C’est ici que la collaboration avec Cyril Proust du LNCMI (Laboratoire national des champs magnétiques intenses) à Toulouse en France prend tout son sens. Dans ce laboratoire, il est possible de soumettre nos échantillons à des champs allant jusqu’à 85 teslas, un champ parmi les plus intenses au monde. » Cette collaboration Sherbrooke-France s’inscrit dans les activités du Laboratoire “Frontières Quantiques”, un International Research Lab (IRL) du CNRS basé à Sherbrooke.
Mesures et simulations
Amirreza nous offre quelques explications : « Dans nos mesures, nous avons appliqué le champ magnétique de diverses façons, que ce soit perpendiculairement à la direction du courant, ou encore parallèlement à la direction du courant. Nous avons constaté qu’on peut calculer et simuler quantitativement la magnétorésistance sur la base de la théorie existante des solides et des paramètres extraits des mesures précédentes sur des échantillons similaires. Si une phrase devait résumer l’article, c’est le fait que le temps de collision des électrons ne dépend pas du champ magnétique appliqué dans ces matériaux – alors qu’il dépend très fortement de la température, d’une façon encore incomprise qui fascine les scientifiques. »
Choisir Sherbrooke
La possibilité d’avoir accès à un réseau de chercheurs et de chercheuses et des expertises variées est ce qui a motivé Amirreza à choisir l’Université de Sherbrooke après des études de premier cycle à l’Université de technologie d’Ispahan en Iran.
« J’étais attiré par la combinaison de spécialistes des matériaux quantiques, de l’information quantique, et du génie quantique. Dans le domaine des matériaux quantiques, en particulier, nous avons à Sherbrooke des chercheurs reconnus de calibre mondial tant du côté théorique qu’expérimental, avec des laboratoires et des installations de pointe. Ce qui fait de l’Institut quantique un endroit unique.»
L’étudiant dans le groupe du Pr Taillefer a la chance de concevoir et de développer différentes techniques de mesure dans des conditions extrêmes et de faire diverses collaborations académiques qui peuvent collectivement faire progresser la compréhension des différentes phases mystérieuses des matériaux quantiques.
Parcours diversifié
Amirreza explore l’entrepreneuriat et il profite de son expérience. « En 2021, j’ai fondé Chemia Discovery Inc., une entreprise pour la découverte des matériaux avancés, y compris les matériaux quantiques. » Avec une équipe interdisciplinaire de 8 autres étudiants et étudiantes de l’Université de Sherbrooke en plus d’Amirreza, Chemia développe un réseau intelligent et intégré de microfours et de microanalyseurs pour accélérer la découverte de matériaux avec une vitesse sans précédent. Ils ont récemment terminé avec succès le prototypage d’un microfour et effectuent actuellement des tests de fonctionnement. « La possibilité d’améliorer la recherche de nouveaux matériaux m’a motivé à travailler sur la startup en parallèle de mon doctorat. »
« À Chemia, nous visons à découvrir des matériaux quantiques qui dans certains cas auront les performances aux limites physiques possibles. Notre approche est alimentée par l’expérimentation mais guidée par des simulations physiques, similaire à mes travaux de recherche doctorale mais à une échelle totalement différente. »
Amirreza apprécie également la culture conviviale, collaborative et confiante du groupe de recherche du professeur Louis Taillefer qui a joué un rôle positif clé dans des travaux de recherche créatifs et originaux.