Nouvelles
Quarante ans de BB84
En 1984, le professeur Gilles Brassard et son collègue Charles H. Bennet ont développé le premier protocole de cryptographie quantique qu’ils ont nommé BB84 (pour Brassard Bennett 1984). Quarante ans plus tard, Gilles Brassard a été invité à l’Université de Sherbrooke afin d’y présenter deux conférences sur la cryptographie et la science quantiques.
Le 11 décembre, dans le cadre des Grandes Conférences de l’UdeS, Gilles Brassard a présenté « L’art du secret dans un monde quantique » aux quelque 400 personnes rassemblées au Centre culturel pour saluer les 40 ans de BB84.
Les sciences quantiques sont-elles une bénédiction ou une malédiction pour la confidentialité des communications? Gilles Brassard, qui se décrit comme un défenseur de la vie privée, craint que la partie ne soit pas encore gagnée.
Les premiers pas de la cryptographie quantique
Avant de songer à la cryptographie quantique, il faut s’intéresser à la cryptographie traditionnelle et même à ces prédécesseurs. La cryptographie est un outil stratégique permettant de communiquer dans le secret. Si le besoin pour cette confidentialité remonte à l’antiquité, l’arrivée de l’informatique a représenté un tournant important dans l’histoire de la cryptographie. Une grande part des données aujourd’hui transmises par le biais de l’informatique sont chiffrées, afin de les protéger des regards indiscrets.
L’art du secret dans un monde quantique
Les ordinateurs quantiques promettant une vitesse de calcul bien supérieure aux ordinateurs classiques, les calculs nécessaires pour décrypter les protocoles traditionnels pourront être réalisés rapidement et les secrets qu’ils recèlent, révélées au grand jour. Si la science quantique peut rimer avec la fin des protocoles traditionnels, c’est aussi dans cette science que Brassard et Bennett ont cherché la solution.
BB84 en est probablement l’un des premiers exemples. Il s’agit d’un système de distribution quantique de clés (QKD). C’est-à-dire qu’on distribue une clé de chiffrement grâce aux concepts de la physique quantique. Le protocole BB84 permet d’abord d’établir une clé commune entre deux utilisateurs.
Pour créer cette clé, on se base sur la propriété qu’ont les photons d’être polarisés selon un axe déterminé. Au cours du protocole BB84, des photons sont envoyés un à un à travers un câble de fibre optique. Ces photons sont reçus à l’aide de séparateurs de faisceaux. Les deux utilisateurs useront ensuite d’un canal de communication classique pour comparer leurs résultats respectifs et créer, à l’aide du protocole défini, une clé identique.
Aspirer à repousser les frontières de la connaissance
La cryptographie quantique ouvre la porte à une potentielle garantie de confidentialité impossible à atteindre avec les présentes approches classiques. Puisque la fiabilité des communications est au cœur de l’ère numérique, la cryptographie quantique devient un domaine de recherche prometteur et d’un grand intérêt. Les travaux de Gilles Brassard ont été reconnus maintes fois. En 2018, on lui a décerné, avec Charles Bennett, le prestigieux prix Wolf de physique, pour leur travail collaboratif à l’origine des bases de la cryptographie quantique. L’année dernière, il recevait le Breakthrough Prize in Fundamental Physics pour son travail en information quantique.
Et si Einstein avait eu raison malgré tout ?
Le 12 décembre, l’Institut quantique a reçu Gilles Brassard pour une seconde conférence destinée à ses membres dont le titre, Et si Einstein avait eu raison malgré tout ?, promettait d’intéressantes réflexions. Rappelant qu’un Einstein sceptique avait qualifié « d’action fantomatique à distance » le phénomène de l’intrication des photons théorisé par Erwin Schrödinger en 1935, le professeur à l’Université de Montréal est revenu sur cette possibilité que nous vivions dans un univers non local, c’est-à-dire que des évènements qui se produisent en un point de l’univers pourraient avoir un effet instantané sur un point arbitrairement éloigné.
« Toute théorie réversible de la physique qui ne permet pas la possibilité de communication instantanée (par exemple la théorie quantique unitaire) peut s’expliquer dans un univers local et réaliste pour autant que l’on accepte la définition de localité donnée par Einstein en 1949 », a-t-il conclu devant un auditoire d’étudiantes, d’étudiants, de professeures, de professeurs et d’autres spécialistes fascinés.