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13 septembre 2019 Hugues Vincelette

Trouver de nouvelles particules au coeur de matériaux supraconducteurs

Gaël Grissonanche

Photo : Martin Blache - UdeS

Parfaire la compréhension du comportement des électrons dans les cuprates ne répond pas qu’au défi de contribuer à l’avancement de la science. En effet, ces connaissances pourraient avoir une incidence bien concrète sur nos vies quotidiennes, notamment en matière de transport et de stockage de l’électricité. Les questions environnementales occupant une place prépondérante dans les débats publics, cette quête prend toute son importance et chaque avancée scientifique dans le domaine qui nous rapproche de la supraconductivité à la température ambiante, mérite l’attention.

La récente publication dans Nature de Gaël Grissonnanche, stagiaire postdoctoral à l’Institut quantique, contribue à l’avancement des connaissances dans ce domaine. L’énigmatique phase pseudogap des cuprates supraconducteurs est le centre d’intérêt de ces travaux. « Ce que nous apportons de nouveau avec cette énième étude des cuprates, c’est une approche expérimentale novatrice à l’aide d’une technique exigeante que peu de groupes maitrisent, il s’agit de l’effet Hall thermique. On parle ici de signaux thermiques de l’ordre du millidegré Celsius qui requièrent une stabilité en température exceptionnelle » nous explique Gaël, qui fait ses travaux dans le groupe du Pr Louis Taillefer.

L’effet Hall thermique est l’équivalent thermique de l’effet Hall électrique découvert en 1879 par le physicien américain Edwin Hall. Cet effet est l’apparition d’une différence de potentiel électrique entre les faces latérales d’un barreau conducteur sous l’influence d’un champ magnétique lorsque celui-ci est parcouru par un courant électrique. Ce phénomène est en réalité dû au mouvement des électrons dans le matériau qui souhaiteraient se déplacer selon la longueur du barreau, c’est-à-dire dans la direction du courant, mais qui sont forcés par le champ magnétique (et parce que les électrons ont une charge !) à courber leur trajectoire vers les bords du barreau. Ceci entraîne une concentration plus importante d’électrons sur l’un des côtés du barreau, créant ainsi un potentiel électrique perpendiculaire au courant.

L’effet Hall thermique est simplement son équivalent thermique : pour un barreau conducteur soumis à un champ magnétique et parcouru par un courant de chaleur, il va se développer une différence de température entre les faces latérales de ce barreau. Cet effet est également dû aux électrons (dans la majorité des cas, mais pas dans l’expérience ici rapportée dans Nature !), parce qu’ils ont une charge qui se couplent au champ magnétique et parce qu’ils transportent la chaleur.

Ce qui a été observé

La façon dont le groupe du Pr Taillefer en est venu à développer la technique de l’effet Hall thermique dans son laboratoire est amusante. C’est en conférence il y a presque 10 ans, que le Pr Taillefer a été mis au défi de faire parler cette technique pour résoudre un conflit d’opinions entre chercheurs. C’est ce que son groupe a rapidement fait et s’est distingué dans ce débat. Au fil de son doctorat, puis postdoctorat, Gaël n’a eu de cesse de développer et raffiner cette technique, jusqu’à en venir au résultat qui nous intéresse aujourd’hui. « Ce que nous avons décidé de faire, c’est d’étudier les signatures de l’effet Hall thermique dans différentes phases existantes au sein des cuprates. Nous avons débuté par l’endroit où nous savions, a priori, que les cuprates se comportent comme des métaux conventionnels. Nous avons mesuré l’effet Hall thermique et nous avons observé le signal attendu pour un métal, soit un signal positif dans ce cas-ci, traduisant bien que ce sont les électrons qui sont à l’origine de l’effet Hall thermique dans cette région du diagramme de phase. Jusqu’ici, il n’y avait rien de bien surprenant. »

Cependant c’est en procédant aux mesures d’effet Hall thermique dans la phase pseudogap des cuprates, une phase qui après trente années de recherche n’a toujours pas révélé sa vraie nature mais qui pourrait bien être la clé du mystère de la supraconductivité dans ces matériaux, que l’équipe a obtenu des résultats tout à fait inattendus. « Lorsque nous avons effectué les mêmes mesures dans la phase pseudogap, l’effet Hall thermique a subitement changé de signe, il devenait à présent négatif. Ce changement de signe est dramatique et apparait immédiatement lorsque l’on pénètre la phase pseudogap. C’est donc une nouvelle signature complètement inattendue de cette phase. Mais attention, ce n’était pas encore le plus spectaculaire. » relate le chercheur.

Le chercheur poursuit son explication. « En s’engouffrant profondément dans la phase pseudogap on rejoint une phase électriquement isolante de la matière, les électrons vont d’une certaine façon s’immobiliser. Plus on progressait dans la phase, et plus la valeur de l’effet Hall thermique négatif devenait grande. C’est toute l’étrangeté de la chose car conventionnellement ce sont les électrons qui en se déplaçant dans le champ magnétique contribuent à l’effet Hall thermique, mais là, c’est désormais impossible car ils ne bougent plus, et pourtant, il y a bien des particules en mouvement qui sont déviées par le champ magnétique et qui nous donnent un signal grand et négatif. Ça ne peut donc pas provenir de particules conventionnelles, mais de particules exotiques confectionnées par les interactions fortes régnant au coeur des cuprates. Nous avons donc possiblement observé pour la première fois les excitations fondamentales de la phase pseudogap, c’est un pas de géant pour décrypter la nature profonde de cette phase. »

L’article suscite déjà un intérêt certain puisque Gaël a été invité à en présenter les résultats à plusieurs reprises au cours des derniers mois et le nombre d’articles théoriques pour tenter d’expliquer ce résultat ne cesse de croitre. « L’effet Hall thermique dans les cuprates révèle une facette jusqu’alors inconnue de cette phase pseudogap si énigmatique, je suis curieux de voir quels modèles théoriques pourront expliquer ce qui jusqu’à maintenant paraissait impossible. » Du beau travail en perspective pour les théoriciens.

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