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Un système modèle pour la supraconductivité non-conventionnelle
Olivier Gingras
Photo : Institut quantique
La supraconductivité est un état quantique de la matière qui pourrait aisément révolutionner des technologies comme la distribution de l’électricité et les ordinateurs. Présente dans certains domaines spécialisés, comme l’imagerie médicale, l’usage plus répandu de la supraconductivité est limité par la nécessité de refroidir les matériaux à des températures cryogéniques proches du zéro absolu (- 273,15o C) afin de faire apparaître leurs propriétés supraconductrices. Cela implique de nombreuses complications techniques et donc une explosion de coûts, rendant ce phénomène peu accessible dans la vie quotidienne.
On classifie les supraconducteurs selon deux catégories. La première est appelée “conventionnelle” et est omniprésente dans les métaux refroidis à suffisamment basse température. La compréhension de ce type de matériaux a été réalisée en 1957 par l’avènement de la théorie de Bardeen-Cooper-Schrieffer qui a valu aux chercheurs qui en sont à l’origine le Prix Nobel de physique en 1972.
La seconde catégorie, simplement dite “non-conventionnelle”, est beaucoup plus riche et mystérieuse. Cependant, la physique qui permet l’émergence de la phase supraconductrice est extrêmement complexe et encore hautement débattue dans la communauté. La compréhension et l’explication de ce phénomène, un problème théorique extrêmement stimulant et intéressant en soi, pourraient par le fait même permettre de découvrir des matériaux susceptibles de révolutionner entièrement la technologie.
Parmi les supraconducteurs non-conventionnels, on retrouve la sous-catégorie des cuprates, une classe de matériaux à base de cuivre pouvant manifester leurs propriétés supraconductrices à des températures de loin supérieures à celles des conventionnels.
En 1994, un matériau avec exactement la même structure que les cuprates mais avec du ruthénium plutôt que du cuivre a été découvert comme étant supraconducteur. Bien que sa température supraconductrice soit très basse, l’avantage de ce matériau est qu’il peut être synthétisé de manière extrêmement pure. Sa ressemblance avec les cuprates ainsi que sa pureté ont ainsi justifié un grand nombre d’études et ses propriétés sont aujourd’hui bien cataloguées, dans à peu près toutes les conditions. L’engouement est d’autant plus fort qu’initialement, ce matériau avait été prédit comme un candidat utile à la création de l’ordinateur quantique.
Ce matériau, le Sr2RuO4, également connu sous le nom de ruthénate de strontium, devrait ainsi être aisément compris et représenter un cas idéalisé de matériau supraconducteur, dont la physique serait parfaitement comprise. Certains chercheurs prétendent même qu’il serait inutile de chercher une théorie pour d’autres supraconducteurs non-conventionels, si on ne parvient pas d’abord à expliquer la supraconductivité dans ce matériau. Comble de malheur, les différentes expériences faites sur ce matériau sont tellement en désaccord que même la caractéristique la plus fondamentale de l’état supraconducteur, la symétrie du paramètre d’ordre, reste un mystère.
Dans cet article, la symétrie du paramètre d’ordre supraconducteur du ruthénate de strontium est déterminée à l’aide de simulations numériques. Comme la supraconductivité est un phénomène très sensible aux détails du matériau, une approche qui découle de principes premiers est utilisée pour obtenir une description minimalement biaisée des électrons qui forment ledit état quantique. À partir de cette description, la supraconductivité a été étudiée en supposant le mécanisme le plus prometteur dans ce contexte: la théorie des fluctuations de charge et de spin.
Les résultats contredisent les attentes initiales, en particulier la possibilité que ce matériau soit utile pour le calcul quantique. Parmi ces résultats, deux nouvelles familles d’états quantiques jusqu’ici très peu discutées dans le contexte de ce matériau ont été obtenues, ce qui ouvre la porte à de nouvelles possibilités fort intéressantes du point de vue fondamental. Le type de supraconductivité le plus probable, dans le cadre de cette approche, est le même que celui observé dans les cuprates. Ce résultat est en accord avec des expériences antérieures du groupe du professeur Taillefer et avec des expériences récentes de spectroscopie par effet tunnel.
Un peu sur l’auteur principal: Olivier Gingras
Olivier étudie au doctorat en physique dans le groupe de Michel Côté au Département de physique de l’Université de Montéal. Il est co-supervisé par le professeur André-Marie Tremblay de l’Université de Sherbrooke et par le professionnel de recherche Reza Nourafkan, tous deux membres de l’IQ. Olivier a commencé ses études supérieures en janvier 2015 et terminera à l’automne prochain. Il a obtenu une bourse du CRSNG pour ses études de maitrise et une bourse du FRQ-NT pour ses études de doctorat. Plus récemment, il a été le récipiendaire de la prestigieuse bourse “Excellence Hydro-Québec” de l’UdeM d’une valeur de 20 000$.