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Une Nobel de physique, Donna Strickland, fait la lumière… sur la lumière
Pre Donna Strickland
Photo : Michel Caron UdeSL’Institut quantique de l’Université de Sherbrooke a eu l’honneur de recevoir, le 11 janvier, la première Canadienne à remporter le prix Nobel de physique, la professeure Donna Strickland.
L’histoire de la découverte du laser
Élément fondamental de la vie sur notre planète, la lumière est au coeur d’une journée internationale de l’UNESCO (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization) pour son rôle important dans la science, la culture et l’art, l’éducation et le développement durable, et dans des domaines variés comme la médecine, les communications et l’énergie. Dès le XIe siècle, Ibn Al-Haytham (Alhazen) y consacre des travaux de recherche et elle continue d’intéresser les scientifiques.
Plus près de nous, Einstein démontre théoriquement qu’il est possible de stimuler la lumière. Townes et Schawlow publient pour la première fois les bases théoriques du laser (acronyme de «light amplification by stimulated emission of radiation ») dans un article (Infrared and Optical Laser) publié dans Physical Review en 1958. Chacun méritera d’ailleurs un prix Nobel : Townes en 1964 et Schawlow en 1981.
C’est finalement en 1960 que l’ingénieur et physicien Theodore Maiman réussi pour la première fois à émettre un faisceau de lumière très concentrée grâce à l’émission stimulée produite dans un cristal de rubis. Depuis, l’instrument s’est raffiné au point de faire partie de notre quotidien à l’épicerie ou au concert. Les technologies laser sont aussi de plus en plus appliquées dans le domaine des chirurgies oculaires. C’est d’ailleurs pour rappeler ce jour de 1960 que l’UNESCO a déterminé que le 16 mai serait la journée internationale de la lumière.
Prix Nobel en 2018
Première Canadienne et troisième femme à remporter le prix Nobel de physique, notre invitée, la professeure à l’Université de Waterloo, Donna Strickland inscrit ses travaux de recherche directement dans cette lignée scientifique qui se consacre à la compréhension et à l’utilisation de la lumière.
En effet, la publication à l’origine du prix Nobel de physique 2018 est le résultat de travaux de doctorat effectués sous la direction du Pr Gérard Mourou à l’Université Rochester en 1985, également lauréat du prix Nobel. Ensemble, ils sont les instigateurs de l’amplification d’impulsions pulsées (chirped pulse amplification), une méthode qui permet de créer des impulsions lasers ultracourtes et de très haute énergie.
Lorsque l’on cherche à amplifier une impulsion ultrabrève dans un milieu non-linéaire, la puissance crête de cette impulsion laser est limitée par le seuil de dommage du cristal amplificateur. La technique mise au point par Strickland et Mourou en 1985 a permis de contourner cette limitation physique, par une astuce de répartition judicieuse de l’énergie lumineuse dans le temps. Dans une première étape, les impulsions laser sont étirées temporellement, à l’aide de technologies classiques de dispersion en fréquence. Les impulsions peuvent alors être amplifiées dans le milieu de gain (sans causer de dommage à celui-ci), puis recomprimées à la sortie du cristal amplificateur avec les mêmes technologies matures de dispersion en fréquence.
Une influence jusque dans les labos de l’UdeS
Plusieurs groupes de recherche à l’Université de Sherbrooke utilisent des technologies laser tirant profit de cette technique « d’amplification d’impulsions sources mises en forme par dérive en fréquence ». À la Faculté des sciences et à la Faculté de génie, ces technologies laser sont couramment utilisées pour produire par effet non-linéaire des impulsions ultrabrèves pouvant couvrir une large gamme de fréquences, de l’infrarouge lointain à l’ultraviolet. Mentionnons que le Pr André Bandrauk, du Département de chimie, est l’un des pionniers du domaine de la photonique moléculaire utilisée pour l’étude du mouvement des électrons au sein des molécules et pour la production d’impulsions attosecondes, de très grandes énergies. Denis Morris, professeur au Département de physique et membre de l’Institut quantique, explique que les travaux de la Pre Strickland ont eu une influence déterminante sur le domaine et sur le développement des systèmes laser compacts (dits « table-top » en anglais).
« J’utilise ces systèmes laser couramment pour la réalisation de mes expériences de type pompe-sonde visant à étudier les propriétés optiques et électroniques de matériaux avancés, ainsi que pour l’étude des phénomènes ultrarapides dans les solides (relaxation de l’énergie des porteurs chauds dans des nanostructures, conversion spin-charge, couplage électron-phonon, etc.)» explique le Pr Morris
De son côté, Paul-Ludovic Karsenti, coordonnateur des laboratoires de photonique au Département de chimie, utilise un dérivé des travaux de la Pre Strickland. « Deux semaines après avoir débuté ma maîtrise à l’Université de Montréal, mon directeur de recherche Carlos Silva me mandatait déjà de préparer une courte présentation sur le chirped pulse amplification. L’idée était de nous faire comprendre non seulement comment obtenir les intenses impulsions femtosecondes que nous employions, mais aussi d’apprécier avec quelle élégance il était possible de manipuler spectralement et temporellement des impulsions laser. Ça fait maintenant plus de 15 ans que j’utilise quasi quotidiennement des lasers femtosecondes amplifiés pour mettre sur pieds différents montages expérimentaux afin de sonder les dynamiques électroniques ultrarapides dans tous types de matériaux.»
La méthode présentée par la Pre Strickland basée sur une compréhension encore plus fine des interactions entre la matière et le laser a permis un bond prodigieux pour le laser. Les avancées techniques utilisées pour la chirurgie de la cornée au laser ou le micro-usinage du verre utilisé dans les téléphones cellulaires ne sont que quelques exemples de l’influence certaine sur notre quotidien des travaux de recherche sur la lumière.