Le nombre de Chern modifierait les propriétés de la propagation des ondes sonores
Dans la dernière décennie, la découverte des isolants, des semi-métaux et des supraconducteurs topologiques a abouti à une nouvelle façon de comprendre des matériaux en termes de la mécanique quantique et de la topologie. Dans ces matériaux dits topologiques, les énergies et les fonctions d’onde des électrons sont caractérisées par des nombres entiers non nuls appelés des invariants topologiques. Ces invariants se manifestent physiquement à travers des états électroniques très particuliers localisés à la surface du matériau. Certaines des propriétés de ces états de surface permettent d’envisager des applications vers des dispositifs magnétoélectriques à faible dissipation et vers des ordinateurs quantiques tolérants aux fautes.
À ce jour, la plupart des études théoriques et expérimentales des invariants topologiques dans les matériaux se sont concentrées sur les propriétés de transport des électrons. En 2019, une équipe de recherche de l’IQ souhaitait déterminer le comportement des vibrations des atomes (des phonons) dans les semi-métaux de Weyl, une famille de matériaux topologiques. Depuis, l’équipe a prédit un effet magnétochiral des phonons, qui est proportionnel au nombre de Chern, un invariant topologique. Cet effet est potentiellement mesurable pour les ondes sonores longitudinales dans les semimétaux de Weyl chiraux. Une publication résulte de ces travaux de recherche : Phonon magnetochiral effect in chiral Weyl semimetals. L’équipe de recherche est composée de Sanghita Sengupta, postdoctorante en physique et Mohamed Nabil Yacine Lhachemi, étudiant au baccalauréat en physique ainsi que le Pr Ion Garate, professeur au Département de physique et directeur du projet.
La prédiction d’une manifestation sonore
Un des résultats les plus prometteurs de cette recherche est la prédiction d’une manifestation sonore du nombre de Chern dans les matériaux topologiques. Nabil Lhachemi explique ce phénomène : « Si le champ magnétique et l’onde sonore sont parallèles, on obtient une vitesse qui est légèrement différente de celle émise dans une direction antiparallèle au champ magnétique. » Cette différence est connue sous le nom de l’effet magnétochiral. Proportionnel au nombre de Chern et à l’intensité du champ magnétique, l’effet magnétochiral est plus fort pour les phonons longitudinaux en raison de l’anomalie chirale, un autre phénomène d’origine topologique.
Une approche théorique originale
L’équipe l’IQ a développé une théorie semi-classique pour la vitesse et l’atténuation des ondes sonores dans les matériaux abritant des invariants topologiques non nuls. Cette théorie permet d’incorporer les effets des impuretés, du nombre de Chern, ainsi que des champs magnétiques modestes. Les trois ingrédients sont importants. En particulier, « effectuer nos calculs dans un champ magnétique au premier ordre s’avère crucial pour trouver l’effet magnétochiral des phonons », ajoute Sanghita.
Poser les bases théoriques pour de futures recherches
La première observation des semi-métaux de Weyl dans les laboratoires n’est survenue qu’en 2015. « Les semi-métaux de Weyl chiraux sont encore plus récents », confirme Sanghita. La contribution du groupe de recherche de l’IQ ouvre la porte à la possibilité que cette théorie puisse être applicable à d’autres matériaux. Le Pr Garate nous explique la suite qu’il envisage : « Maintenant que nous avons découvert un effet magnétochiral d’origine topologique, nous souhaitons explorer d’autres matériaux avec des invariants topologiques autres que le nombre de Chern. Il pourrait également être intéressant d’explorer l’influence de l’effet magnétochiral dans le transport thermique. » La prédiction de l’effet magnétochiral constitue un résultat de la physique fondamentale. « En ce qui concerne les applications, il serait possible d’étudier si la vitesse du son peut être contrôlée dans un matériau. Cette recherche serait importante puisque, tout comme le son, la chaleur contrôle les vibrations des matériaux. Supposons qu’on puisse contrôler le son par le champ magnétique; par le même champ magnétique, on pourrait potentiellement contrôler le flux de la chaleur. Cependant, bien que l’effet magnétochiral du phonon ouvre la porte à cette recherche, le tout demeure très préliminaire », ajoute Sanghita. Le groupe de recherche planifie de valider sa théorie dans les laboratoires de l’IQ.