La finance quantique
Par Charles-Antoine Jauron, étudiant au M.Sc Finance
Pour plusieurs, les marchés financiers sont surtout associés à une plateforme permettant aux investisseurs et aux gestionnaires d’actifs financiers de transiger des actions d’entreprises, ou encore des titres de dette souveraine comme les obligations émises par les différents paliers de gouvernement. Cependant, les marchés financiers permettent la transaction d’un éventail très large d’actifs financiers, notamment les produits dérivés. Déterminer un prix pour ces produits est une opération ardue. Ainsi, de nombreux intervenants de la finance de marché s’intéressent aux solutions inédites que l’ordinateur quantique pourrait offrir à ce problème.
Les produits dérivés représentent une vaste gamme de contrats financiers. Bien qu’ils permettent aussi l’allocation de capital aux entreprises et aux projets d’investissement les plus prometteurs, les produits dérivés offrent des opportunités que les actifs financiers plus conventionnels ne permettent pas. Ils sont utilisés par une multitude d’investisseurs institutionnels, comprenant entre autres les compagnies d’assurance, les caisses de retraite et les fonds de couverture.
Les produits dérivés permettent aux acteurs économiques de se répartir certains risques et d’en faire la gestion. Par exemple, un investisseur canadien pourrait, grâce aux produits dérivés, assumer le risque que les précipitations sur un territoire agricole européen dépassent un niveau précis durant l’été, mettant en péril des récoltes. Pour les producteurs, de fortes précipitations peuvent avoir un impact lourd sur leur revenu tiré exclusivement de l’agriculture. Cependant, pour l’investisseur canadien, ces précipitations n’entraînent pas des conséquences aussi néfastes sur sa situation financière. Ce dernier est donc prêt à prendre ce risque en échange d’une rémunération de la part du producteur qui s’assure ainsi un certain niveau de revenus, peu importe l’effet des précipitations sur la récolte.
Mettre en place de telles structures de répartition du risque nécessite des ressources considérables, surtout sur le plan technologique. Les progrès réalisés au cours des dernières décennies dans le domaine des technologies de l’information ont rendu possible la transaction de produits dérivés de plus en plus complexes et nichés, répondant aux besoins précis de certains agents économiques. Toutefois, ce niveau de complexité signifie qu’il est aujourd’hui indispensable de se doter de méthodes qui permettent de déterminer de manière efficace et efficiente la valeur de ces contrats afin que les agents puissent transiger entre eux.
Les méthodes Monte Carlo, basées sur la simulation du marché financier, se sont imposées depuis plusieurs années dans l’évaluation (ou le pricing) de ces instruments. Bien que ces méthodes soient robustes et applicables à d’innombrables produits dérivés, ce sont des approximations numériques dont la convergence est relativement lente et qui requièrent des ressources de calcul considérables. Bref, il est difficile de réduire l’incertitude (l’erreur type) liée aux prix des contrats obtenus avec les méthodes Monte Carlo.
L’informatique quantique représente une avenue prometteuse pour l’accélération du pricing des instruments dérivés. Plus précisément, un algorithme quantique pour lequel les financiers manifestent beaucoup d’intérêt est l’estimation d’amplitude. Cet algorithme promet une accélération quadratique de la vitesse de convergence de l’erreur type. Dans le contexte des produits dérivés, l’estimation d’amplitude est la méthode utilisée pour extraire de l’amplitude d’un ou de plusieurs qubits la valeur du produit dérivé considéré.
Les opérations quantiques utilisées dans cet algorithme sont bien connues. On mentionnera, entre autres, la transformée de Fourier quantique, de même que l’estimation de phase. Néanmoins, un des défis qui restent à relever est la préparation d’un état quantique représentant une distribution des prix d’un actif financier. Pour ce faire, il faut procéder à l’application de fonctions et d’opérations arithmétiques au sein-même de l’ordinateur quantique.
Le pricing de produits dérivés nécessite donc de s’intéresser à différents algorithmes quantiques qui peuvent produire un état utilisable dans le cadre de l’estimation d’amplitude.
Plusieurs approches peuvent être explorées à cette fin. Par exemple, les réseaux antagonistes générateurs quantiques (qGAN), qui s’inspirent des réseaux de neurones artificiels, pourraient être en mesure de générer des états quantiques présentant des caractéristiques appropriées pour les modèles utilisés.
Une autre avenue à considérer consiste à simuler la fonction d’onde d’une particule quantique dans un potentiel donné. Cette méthode se résume à identifier un potentiel dans lequel la fonction d’onde d’une particule prend exactement la forme de la distribution recherchée. Il est alors possible de préparer cette distribution dans l’état des qubits en simulant le comportement de la particule à l’aide de l’ordinateur. La fonction d’onde découlant de cette simulation peut alors représenter la distribution de prix d’un actif financier.
Au cours des dernières années, plusieurs chercheurs ont réussi à construire des circuits de taille réduite permettant de faire le pricing d’instruments dérivés sur de véritables ordinateurs quantiques. Les méthodes utilisées sont évolutives et elles sont donc très prometteuses. Avec le développement de processeurs quantiques comptant de plus en plus de qubits ainsi que le développement des algorithmes de correction d’erreurs de calcul, on peut se permettre d’imaginer des simulations Monte Carlo où plus de prix ou trajectoires stochastiques coexistent simultanément dans un ordinateur quantique. Les possibilités qui en découleraient pourraient inclure la transaction de produits dérivés très sophistiqués permettant à la société de faire face aux enjeux contemporains tels que les changements climatiques et l’instabilité des marchés financiers mondiaux. Les opportunités sont aujourd’hui plus nombreuses et variées que jamais grâce à la finance quantique.