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Liaison, 22 février 2007
Le défi d'éliminer un million
de tonnes de CO2
PIERRE MASSE
Quelques millions de tonnes de gaz à effet de serre en moins... voilà un
vrai défi! C'est celui que le professeur Carmel Jolicœur, son équipe de
recherche et ses collaborateurs industriels ont relevé avec succès
récemment.
Professeur au Département de chimie de la Faculté des sciences de
l'Université de Sherbrooke, Carmel Jolicœur est un spécialiste de la chimie
des bétons à haute performance depuis une vingtaine d'années.
Recycler les poussières des centrales thermiques
Récemment, ce domaine a connu
plusieurs développements significatifs, dont l'introduction de cendre
volante comme composant actif du matériau cimentaire. Conformément à l'image
que son nom évoque, la cendre volante est une poussière émise des cheminées
lors de la combustion du charbon, principalement dans les centrales
thermiques. Pour des raisons environnementales, les centrales doivent
collecter les poussières et soit les enfouir, soit les valoriser. En
Amérique du Nord seulement, la quantité de cendre volante produite
annuellement dépasse les 75 millions de tonnes!
Fort heureusement, plusieurs travaux de recherche ont démontré que la
cendre volante pouvait être incorporée dans le béton, en remplacement
partiel du ciment. La cendre volante confère au béton une amélioration
marquée de ses propriétés, en particulier, sur le plan de la durabilité.
L'industrie a vite compris l'importance de cette percée technologique et a
favorisé l'utilisation croissante de la cendre volante dans le béton depuis
déjà plusieurs années. Mais il y a plus.
Diminuer la quantité de ciment… donc de CO2
La fabrication du ciment nécessite une calcination de la pierre calcaire,
procédé qui libère dans l'atmosphère près d'une tonne de CO2 par tonne de
ciment fabriqué. Puisque l'utilisation de cendre volante réduit la
consommation du ciment, elle réduit d'autant les émissions de CO2. Autrement
dit, chaque tonne de cendre volante utilisée donne une tonne de CO2 en
moins! Augmenter la qualité du béton tout en réduisant les gaz à effet de
serre et en valorisant la cendre volante qui était une nuisance
environnementale : pouvait-on espérer mieux? C'était trop beau pour durer…
Une cendre devenue inutilisable…
La réglementation environne-mentale de plus en plus sévère
imposée aux centrales thermiques a
nécessité des modifications de leurs équipements et de leurs conditions
d'opération. Ces modifications ont engendré une détérioration progressive de
la qualité des cendres volantes, en raison notamment de la présence de
quantités excessives de carbone résiduel. Un nouveau problème est apparu car
au-delà d'une certaine teneur en carbone, la cendre volante devient
inutilisable dans les bétons. On estimait récemment que le carbone résiduel
exclut environ la moitié de la cendre volante disponible des applications
pour le béton. Ce revirement plutôt décevant comportait, par ailleurs, un
défi de recherche fort intéressant : neutraliser l'influence néfaste du
carbone dans la cendre volante.
La solution : masquer le carbone
Depuis 2000, l'équipe de recherche du professeur Jolicœur imagine des
approches pour contrer cette influence du carbone. Grâce à une meilleure
compréhension des phénomènes chimiques en jeu, elle identifie des systèmes
chimiques capables de «masquer» le carbone, donc de neutraliser son action
néfaste dans le béton. Ces résultats sont rapidement pris en charge par les
partenaires industriels, Produits Chimiques Handy de Montréal et Boral
Materials Technologies de San Antonio au Texas, qui développent une nouvelle
technologie de traitement chimique de cendre volante. La cendre traitée
redevient alors utilisable dans le béton, quel que soit son niveau de
carbone résiduel.
L'implantation de cette technologie démarre aux États-Unis dès 2003. À
l'été 2006, les partenaires industriels rapportent que plus d'un million de
tonnes de cendre volante avait déjà été traitée selon cette nouvelle
technologie. Un million de tonnes qui a pu être utilisé dans le béton,
diminuant d'autant les émissions globales de l'industrie cimentière.
Voilà! Un premier million de tonnes de CO2 en moins, et ça continue.
Un milliard de tonnes de
cendre volante générée
annuellement
Les partenaires industriels poursuivent leurs efforts pour élargir la
portée et les applications de cette technologie, ce qui porte à croire
qu'elle s'étendra à d'autres régions dans le monde. À l'échelle de la
planète, on rapporte que près d'un milliard de tonnes de cendre volante est
générée annuellement, et une fraction importante de cette cendre est
impropre à l'utilisation pour le domaine des bétons. Il y a donc un
potentiel de réduction additionnel de plusieurs autres millions de tonnes de
gaz à effet de serre! Et la recherche alors?
Malgré les progrès déjà accomplis, la recherche sur la valorisation
chimique de la cendre volante doit impérativement se poursuivre. Ironie de
la situation, plus les contrôles environnementaux sur les centrales
thermiques sont resserrés, plus la qualité des cendres volantes se
détériore! Il faudra donc innover continuellement pour assurer la
compatibilité des cendres avec les composants des matériaux cimentaires.
Mais l'économie de quelques millions de gaz à effet de serre vaut bien un
petit effort!
Thi Cong To, professionnelle de recherche et chargée
de projet, collabore avec le professeur Carmel Jolicœur.
Photo : Roger Lafontaine
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Éliminer une tonne de CO2 ; pourquoi pas un million de tonnes? Voilà
le vrai défi auquel s'est attaqué le professeur Carmel Jolicœur,
spécialiste de la chimie des bétons à haute performance depuis une
vingtaine d'années. Son équipe de recherche et ses collaborateurs
industriels ont relevé ce défi avec succès récemment, entre autres
en valorisant les cendres volantes rejetées par les usines qui
brûlent du charbon.
Thi Cong To, professionnelle de recherche et chargée de projet
Carmel Jolicœur
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