Comprendre le phénomène polygame au Canada
Dans le cadre d’une recherche soutenue par le Secrétariat aux affaires intergouvernementales canadiennes, le professeur David Koussens et la doctorante Lorraine Derocher, tous deux de la Faculté de théologie et d’études religieuses de l’Université de Sherbrooke, se sont rendus à l’Université de Moncton afin de poursuivre une collaboration de recherche que la Chaire sur les religions en modernité avancée avait engagée avec la professeure Marie-Andrée Pelland depuis plus d’un an.
Cette recherche, qui porte sur la polygamie au Canada, s’inscrit dans un contexte occidental où, depuis une dizaine d’années, le droit pénal est de plus en plus souvent convoqué pour lutter contre des religiosités dont l’expression semble incompatible avec les valeurs démocratiques : délit de «manipulation mentale» pour lutter contre les sectes en France (2002) ; interdiction du voile intégral en France (2010) et en Belgique (2011); débat sur la criminalisation de la polygamie en Colombie-Britannique (2011); jugement allemand associant la circoncision à une blessure corporelle (2012).
Pour ce qui concerne spécifiquement la polygamie, en janvier 2007 des perquisitions de la Gendarmerie Royale du Canada dans la communauté polygame de Bountiful ont conduit au dépôt d’accusations criminelles contre ses dirigeants en 2009, des accusations qui ont par la suite été abandonnées. Ces événements ont relancé le débat sur le mariage pluriel au Canada. Ainsi, bien que certaines communautés polygames « traditionnelles » (Mormons, Adventistes) soient présentes depuis des décennies sur le territoire nord-américain, la polygamie semble plus que jamais apparaître aujourd’hui comme un problème social interpelant les acteurs sociaux, politiques et juridiques. Ce phénomène a d’abord suscité un intérêt médiatique croissant et plus de 400 articles de journaux canadiens y ont été consacrés de 1990 à 2004. Cet attrait des médias a probablement légitimé l’entrée de cette question dans le champ politique, la polygamie ayant fait l’objet de plusieurs rapports gouvernementaux au cours des dix dernières années. Cet intérêt récent des pouvoirs publics pour une question polygame qui interroge et bouscule les catégories juridiques existantes a, par ricochet, rejailli dans la sphère juridique. Dans ce contexte, à la demande du gouvernement de la Colombie-Britannique, la Cour suprême de cette province a dû se prononcer en octobre 2011 sur la constitutionnalité de la criminalisation de la polygamie au regard de la Charte canadienne des droits et libertés et ces débats juridiques ont, à nouveau, alimenté les débats publics.
Dans ce contexte, les professeurs David Koussens et Marie-Andrée Pelland ont organisé le 27 mars 2013 à l’Université de Moncton un atelier rassemblant des représentants des milieux religieux et communautaires, mais aussi des membres de familles polygames, afin de mieux comprendre la réalité de cette pratique en contexte religieux non sectaire. Cet événement faisait suite à un premier atelier de recherche qui avait été organisé en janvier 2013 au Campus de Longueuil. Ce premier atelier, auquel participaient le Conseil du statut de la femme, le Mouvement laïque Québécois, la Sureté du Québec, l’Association des Musulmans et des Arabes pour la Laïcité au Québec, Info-Secte ainsi que des représentants des milieux religieux, dressait un premier portait des enjeux sociaux, politiques et juridiques soulevés par la pratique polygame.
Au cours de ce séjour d’une semaine, David Koussens et Lorraine Derocher ont également participé à un cycle de conférences intitulé « La religion hors-la-loi » où ils ont présentés leurs travaux les plus récents sur le voile intégral et sur les défis suscités par la protection de la jeunesse en milieu sectaire.
Les collaborations de la Chaire sur les religions en modernité avancée avec l’Université de Moncton se poursuivront pour l’année universitaire 2013-2014.