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Genre, travail et société au Moyen-Orient et en Afrique du Nord : un ouvrage sous la direction de la professeure Osire Glacier
L'ouvrage Genre, travail et société au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, sous la direction de la professeure Osire Glacier (U. Athabasca), membre partenaire du SoDRUS, est paru aux éditions Le Manifeste. Pour nous, elle évoque la genèse et la portée de cet ouvrage collectif aux enjeux pluriels.
Professeure Osire Glacier, l’ouvrage Genre, travail, et société au Moyen-Orient et en Afrique du Nord que vous avez dirigé vient de paraître. Comment est née la collaboration avec vos collègues sur cette thématique ?
Lorsque j'enseigne un cours sur le statut des femmes dans la région du MENA, ou que je donne une conférence sur le sujet, je constate un écart entre la réalité telle qu'elle est vécue par les femmes dans ces sociétés et la perception de cette réalité par le public en général, et certains hommes en particulier. En effet, certains contestent le caractère alarmant de la situation des femmes, tandis que d'autres s'interrogent sur les sources et les chiffres afin de mieux comprendre une réalité qui leur semble parfois exagérée. Pourtant, selon les études quantitatives du Forum économique mondial, les sociétés du MENA figurent parmi les moins performantes au monde en matière d’égalité entre les sexes [1]. Les pratiques discriminatoires les plus saillantes envers les femmes incluent les inégalités d’accès à l’éducation, au marché du travail et aux soins de santé ; la féminisation de la pauvreté et de la dépendance économique ; les inégalités au sein de l’institution du mariage ; l’infériorisation dans la sphère privée et une participation jalonnée d’embûches dans la sphère publique ; diverses formes de violence basée sur le sexe ; la banalisation de ces violences ; la dévalorisation du potentiel humain des femmes ; et ultimement, le déni du respect de leur dignité humaine.
Je constate donc que la production de connaissances dans le domaine des femmes, du genre et de la sexualité ne parvient pas à atteindre le grand public dans les sociétés du MENA. Certes, plusieurs raisons expliquent cet état de fait. En tant que chercheuse, je ressens fréquemment la nécessité de produire davantage dans ce domaine et de diffuser les connaissances au sein du public. C'est ainsi que j'ai lancé un appel aux contributions pour un ouvrage sur les réseaux spécialisés dans la thématique « femmes, genre et sexualité » dans la région du MENA.
Quels sont les principaux constats que votre ouvrage dresse sur les questions de genre et de travail au Moyen Orient et en Afrique du Nord ? Ces constats sont-ils inédits ?
Cet ouvrage a sollicité la contribution de quatorze universitaires, autrices et auteurs, qui se sont penchés sur l'une des facettes de la problématique « femmes, genre et sexualité » dans la région MENA. En adoptant une approche pluridisciplinaire, ces chercheuses et chercheurs ont élaboré une réflexion autour de trois axes : le marché du travail, et plus précisément les liens de cause à effet entre la dévalorisation du travail rémunéré des femmes et les construits du féminin et du masculin ; le marché matrimonial, en particulier les construits genrés du corps, de la beauté, de la séduction et des attentes dans les relations amoureuses hétérosexuelles ; et enfin, les stratégies de résistance adoptées par les femmes pour surmonter les discriminations qui pèsent sur elles, sous forme d'actions individuelles et collectives, notamment dans le cadre des mouvements féministes.
Cet ouvrage s'inscrit dans la continuité des recherches antérieures sur la thématique des femmes, du genre et de la sexualité dans la région du MENA. Il repose sur les études théoriques et les recherches de terrain menées par les chercheurs et chercheuses dans ce domaine. Cependant, il se distingue des écrits précédents à plusieurs égards, notamment :
1) L’ensemble des textes et des recherches de cet ouvrage collectif soulève des questions de genre universelles. Entre autres, pourquoi, bien que les femmes acquièrent des droits, ces gains ne parviennent-ils pas à défaire les construits de genre ? Pourquoi, même si les femmes excellent dans leurs études et dans leurs carrières, les postes de prise de décision sont-ils confiés à des hommes dans la majorité écrasante des cas ? Quel est l’impact des construits du féminin et du masculin sur la hiérarchisation des sexes aussi bien dans la sphère publique que dans la sphère privée ? Pourquoi les politiques gouvernementales en matière d’élimination des discriminations à l’encontre des femmes tendent-elles à être inefficaces ? Et comment les femmes, en tant qu’individus et en tant que groupe social organisé, se mobilisent-elles pour dénoncer, déstabiliser et surmonter les structures patriarcales ?
2) Les textes de cet ouvrage collectif abordent des sujets d’actualité qui démontrent que les sociétés du MENA sont résolument ancrées dans la contemporanéité. Parmi les recherches de terrain, une étude s’est penchée sur la carrière des femmes officières de la marine marchande au Maroc, une autre sur les chirurgies de comblement fessier chez les femmes marocaines, et une autre sur les impacts genrés de la pandémie de la COVID-19 sur les couples travaillant à domicile. Dans ce contexte, les obstacles rencontrés par les femmes dans leur progression vers la modernité ne révèlent pas la persistance des traditions en matière de construction des genres, mais plutôt leur recul.
3) Cet ouvrage est le fruit à la fois d'auteurs et de chercheuses bien établis ainsi que de celles qui débutent leur carrière. Cela signifie que les textes ont été sélectionnés en fonction du mérite des auteurs et chercheuses, tout en évitant les biais de la méritocratie qui, dans les structures patriarcales, ont souvent été utilisés pour exclure les jeunes femmes du marché du travail.
Comment cet ouvrage s’inscrit-il dans vos projets de recherche actuels ou à venir ?
J’ai partagé mes terrains de recherche et de résidence entre le Québec et le Maroc, pendant de longues années à chaque fois. Comme chercheuse, je suis en mesure de voir ce qui rassemble, mais également ce qui distingue, tant nos sociétés que nos postures de recherche. Aujourd’hui, j’aspire fortement à pouvoir lier ces expériences approfondies de part et d’autre de l’Atlantique, à créer autant de ponts que possibles en particulier entre nos communautés savantes. Cet ouvrage n’est sans doute que l’une des premières réflexions en la matière.
L'ouvrage est disponible en version électronique au Canada.
[1] World Economic Forum, The Global Gender Gap Report 2021 (Rapport mondial sur l’écart entre les genres 2021), 10,
https://www3.weforum.org/docs/WEF_GGGR_2021.pdf