La place du père en 1995

par Alain Rochon*

Aux États-Unis, on a découvert que l'un des moyens de réduire la délinquance dans les ghettos était de faire reprendre contact aux prisonniers avec leur rôle de père. Entre autres mesures, il était convenu d'amener les jeunes enfants au pénitencier, non seulement en visite, mais pour qu'ils y passent un certain temps avec leur père. L'idée derrière cette mesure était de mettre ces hommes en contact avec une partie d'eux-mêmes qu'ils négligent : leur rôle de père. Au quotidien, à travers de petites obligations banales comme faire manger son enfant, l'habiller ou jouer avec lui, les hommes ont appris d'autres façons d'être que la violence...

Toujours aux États-Unis, il existe des groupes de travailleurs de rue appelés Mad fathers qui interviennent auprès de jeunes délinquants. Ils ont 40 ou 50 ans, ils ont été délinquants et s'en sont sortis et ils interviennent auprès de gars qui pourraient être leurs fils. Les Mad fathers font en quelque sorte office de pères pour ces jeunes.délinquants, qui sont souvent des garçons qui n'ont pas eu de père ou qui ont été abusés par lui. Et l'impact de leur intervention est tout à fait positive.

Ces deux exemples démontrent bien comment la relation du père avec ses enfants est importante. Des études ont prouvé qu'il est rare que des enfants fiers de leur père sombrent dans la violence et la délinquance. Non seulement le père, en jouant pleinement son rôle de père, peut influencer favorablement le comportement de son enfant, mais les relations d'un père avec son enfant peuvent avoir des conséquences positives sur le comportement du père.

Papa s'en vient

Il y a 25 ans, quand les femmes ont voulu entrer sur le marché du travail, les hommes ont résisté. Les femmes ont dû jouer du coude pour prendre leur place. La lutte de pouvoir qui s'est à ce moment déroulée dans le monde du travail est en train de se transporter à la maison. Si les femmes croient que l'homme doit prendre sa place à la maison, certaines d'entre elles ont de la difficulté à les laisser faire. Les rôles des hommes et des femmes sont en transformation et leurs rapports s'en trouvent bouleversés.

Actuellement, certains hommes sont prêts à jouer leur rôle à la maison, que ce soit pour les tâches domestiques ou pour s'occuper des enfants. Mais ils veulent en même temps avoir leur espace physique dans la maison. La maison est un lieu typiquement féminin. Les hommes y ont peu de place et sont souvent confinés au garage, au sous-sol ou à la cour. Les hommes règnent sur l'atelier, la tondeuse et le barbecue, tandis que leurs épouses s'occupent de ce qui se passe à l'intérieur de la maison.

Jeune fille, la mère a été éduquée comme étant celle qui accueille, qui accepte, qui comprend, qui jase... Elle est plus habituée que l'homme de parler de ses émotions et de celles des autres. Elle a été valorisée parce qu'elle avait beaucoup d'amies et qu'elle réussissait à bien s'entendre avec elles. De son côté, le jeune garçon a été valorisé parce qu'il était bon dans les sports ou à l'école.

Les rôles sont distribués très tôt. C'est pour cette raison qu'il faut intervenir dès l'enfance. On doit d'abord amener les garçons à démontrer davantage de respect dans les relations qu'ils ont avec les filles et les femmes. Il faut aussi leur présenter des modèles d'hommes-pères, leur montrer qu'il n'y a pas seulement Arnold Schwarzenneger et Rambo dans la vie, mais qu'il existe Michel Rivard, qui parle régulièrement de ses enfants, Jacques Rougeau, qui abandonne la lutte pour être plus près des siens, Jean Béliveau, qui refuse un poste de sénateur parce qu'il préfère son rôle de père et de grand-père.

Apprendre le métier de père

La mère devient mère dès la conception, parfois même avant. Le père, lui, ne devient père qu'à la naissance de l'enfant et même parfois deux ou trois ans plus tard, quand il commence à avoir du plaisir avec lui. Il faut donc se préoccuper de réveiller le père qui dort chez les hommes avant que l'enfant naisse, dès le début de la grossesse. Pour cela, les hommes doivent retirer du plaisir dans ce rôle, et pas seulement des questionnements et des inquiétudes...

Les hommes ont souvent peur de la paternité. Bien sûr, être père apporte des moments extraordinaires. Mais c'est difficile à imaginer. Ce qui vient à l'esprit des futurs pères c'est : "Est-ce que je vais être à la hauteur? Est-ce que je vais perdre ma liberté?" Ils voient d'abord les aspects négatifs. Pour leur faire connaître les joies de la paternité, il faudrait que les futurs pères puissent rencontrer d'autres pères, par exemple dans les cours prénataux.

À partir de là, il suffirait de continuer à faire participer le père. À l'accouchement, le père soutien son épouse, bien sûr. Mais il est aussi là pour accueillir l'enfant, être la première personne à toucher son enfant, être celui qui le pose sur le ventre de sa mère. Tout de suite après la naissance, à la pouponnière, les infirmières se feraient un devoir de mettre l'enfant dans les bras de son père chaque fois que c'est possible, de manière à l'habituer au plus vite à le porter sans avoir peur.

De retour à la maison, le père pourra continuer à intervenir auprès de son enfant et, petit à petit, développer des liens affectifs avec lui. Beaucoup de choses peuvent survenir à travers de petits gestes de tous les jours comme faire manger, habiller, soigner ou aider à faire les devoirs. Afin de motiver les hommes à persévérer, il serait aussi intéressant de tenir des rencontres de nouveaux pères. Et de reprendre ces rencontres au passage des différentes étapes de la vie des enfants : entrée à l'école, adolescence...

Les papas, quossa donne?

Le couple est composé de trois parties inégales : l'individu lui-même, le couple et le parent. Lors d'une naissance, la partie parent de la femme prend toute la place, l'homme se concentre sur ses besoins et désirs individuels et le couple passe au second plan. C'est entre autres pour cette raison qu'un grand nombre de divorces et de séparations surviennent peu après la naissance d'un enfant. Si le père partage les plaisirs et les inconvénients inhérents à la fonction de parent, cela donne plus de temps à la mère pour s'occuper d'elle et du couple. Le couple se prémunit ainsi contre le burn out ou la dépression de la mère et réduit les risques de séparation et de divorce. La participation positive du père à la vie familiale a aussi des répercussions sur le taux d'agressions sexuelles, sur la violence familiale et sur les cas de négligence.

Des recherches récentes, dont une réalisée en Estrie par Gilles Tremblay, suggèrent que ce n'est pas la quantité d'heures passées avec l'enfant, ni le type de garde convenu entre parents séparés qui compte, mais bien la perception affective qu'a l'enfant de son père. Il faut que les pères développent un lien affectif avec leurs enfants. Ils doivent demeurer à l'écoute de leurs enfants et leur montrer que leur père est une personne humaine comme eux, avec des qualités et des défauts. Bien sûr, aucune étude scientifique n'a prouvé hors de tout doute qu'instaurer une communication authentique avec ses enfants est un gage de succès. Mais c'est une tendance actuelle et elle semble réussir. Il ne faut pas non plus tomber dans l'excès et tenter de devenir le meilleur ami de son enfant. Une communication ouverte n'empêche en rien de fixer des limites aux enfants. Ils en ont besoin et se fient sur leurs parents pour leur en imposer.

* Alain Rochon a obtenu une maîtrise en sciences cliniques avec une spécialisation en santé communautaire en 1983. Il oeuvre maintenant comme agent de santé publique de l'Estrie. Il est membre du RÉSEAU-PÈRES, le regroupement d'échanges pour le soutien des expériences et actions utiles en faveur des pères engagés et responsables envers leurs enfants.