SOMMITÉS

Deux fois diplômé en économique, titulaire d'un baccalauréat obtenu en 1971 et d'une maîtrise, obtenue en 1973, Léandre Nadeau a fait carrière au sein du secteur public québécois depuis 1977. D'abord économiste à l'Office de planification et de développement, puis au Conseil du trésor et à l'Association des hôpitaux québécois, il est maintenant à la tête de la Direction du développement du Secrétariat à la famille. Petit à petit, l'économiste a délaissé les grands modèles macroéconomiques pour se consacrer à la plus petite institution de nos sociétés. Cela ne l'empêche pas de voir grand et de penser économie.

Leçons d'économie familiale

par Bruno Levesque

Il peut sembler curieux qu'un économiste se retrouve à travailler au Secrétariat à la famille. On y imaginerait plus facilement des sociologues ou des psychologues. Les questions d'éducation préscolaire, de garderie, de logement ou de pension alimentaire semblent éloignées des préoccupations habituelles d'un économiste. Mais Léandre Nadeau se sent tout à fait à l'aise au Secrétariat à la famille. Il n'a rien oublié de ce qu'il a appris au Département d'économique et aborde la famille avec des yeux d'économiste. Pour lui, la famille constitue la base de notre société. "L'économie québécoise a longtemps été axée sur les richesses naturelles, explique-t-il. Mais ce n'est plus vrai aujourd'hui. Avec le phénomène de la mondialisation de l'économie, les ressources humaines sont devenues notre ressource-clé. Les principales ressources sur lesquelles le Québec peut compter, celles qui peuvent forcer la localisation d'une entreprise ici plutôt qu'ailleurs, ce sont nos ressources humaines."

Et la famille, dans ce contexte économique? "La famille constitue la plus petite unité sociale et peut être l'une des plus importantes. C'est la famille qui, en premier lieu, assure le développement des personnes. C'est elle qui donne le premier soutien à ses membres. Plusieurs études ont démontré que les conditions familiales sont des facteurs déterminants du développement de l'enfant. Elles sont à la base de son succès scolaire et social."

Et économique, aurait pu ajouter le directeur du développement au Secrétariat à la famille. Car il est bien connu que la réussite scolaire est un gage de succès dans le monde du travail. Ainsi, des familles en santé jouant bien leur rôle deviennent un atout majeur pour la formation d'une main-d'oeuvre de qualité. Si cette main-d'oeuvre constitue la base de l'économie des pays développés, le succès de l'économie du Québec passe par celui des familles québécoises. "Seules les connaissances et la créativité de notre main-d'oeuvre peuvent nous permettre de concurrencer les économies à bas salaires", ajoute l'économiste.

Grands défis, petits moyens

Relevant de la ministre responsable de la Famille, le Secrétariat à la famille a été créé par le gouvernement du Québec en 1984. Onze ans plus tard, l'organisme fait face à un grand défi. Avec la dette des gouvernements et les compressions qui s'annoncent, il n'est bien sûr pas question d'injecter des millions de dollars supplémentaires dans le soutien à la famille. Pourtant, Léandre Nadeau est convaincu : la famille a besoin d'aide, et vite. Selon lui, les données ont grandement changé depuis une trentaine d'années. Pas question pour lui de vouloir revenir au passé, mais il note que les familles d'aujourd'hui ont besoin de plus de soutien que celles d'hier.

En 1991, 62 p. 100 des mères d'enfants de cinq ans et moins sont sur le marché du travail, comparativement à 22 p. 100 en 1971. Conséquence : il manque de places en garderie. Actuellement, seulement 15 p. 100 des enfants peuvent trouver une place dans une garderie régie par l'Office des services de grde à l'enfance.

L'absence d'expérience des jeunes parents avec les bébés constitue un autre facteur qui fait augmenter les besoins en services à la famille. Contrairement à leurs parents, ils sont nés dans des familles peu nombreuses et n'ont pas eu l'occasion de s'occuper d'un petit frère, d'une petite soeur ou de garder un neveu ou une nièce. Ils ont donc besoin d'appui pour savoir comment réagir avant et après la naissance de leur enfant.

Le vieillissement de la population est un autre facteur qui va accroître les pressions sur la famille, surtout s'il se trouve conjugué à des compressions gouvernementales en matière d'hébergement pour les personnes âgées. Même chose pour l'objectif du ministre de la Santé de réduire la durée des séjours à l'hôpital. Si les services à domicile ne sont pas développés, qui, sinon sa famille, s'occupera d'un patient à sa sortie de l'hôpital?

Pour répondre à ces nouveaux besoins, pour donner au Québec une famille en santé, le Secrétariat à la famille compte sur des moyens restreints. Son personnel compte moins d'une vingtaine de personnes et il dispose, pour cette année, d'un budget d'à peine 1,5 million de dollars. Avec ces moyens, le Secrétariat à la famille doit veiller à ce que le sort des familles s'améliore, de faire en sorte que le plus possible de familles québécoises puissent jouer leur rôle efficacement.

La force du réseau

"Il est bien évident que nous ne pouvons pas tout faire seuls, explique Léandre Nadeau. Notre stratégie consiste à travailler en partenariat avec les gens concernés." Au sein même du gouvernement, le Secrétariat à la famille s'est allié une vingtaine de personnes qui sont devenues les gardiennes et les promotrices de la politique familiale dans leurs ministères et organismes respectifs. À l'extérieur, il compte sur l'appui d'un grand nombre d'organismes et d'organisations : syndicats, associations patronales, commissions scolaires, municipalités, organismes communautaires, etc.

Le Secrétariat à la famille compte aussi sur certains partenaires pour réaliser des études portant sur la famille, notamment les chercheuses et chercheurs universitaires. Il s'est associé au Fonds pour la formation de chercheurs et l'aide à la recherche, le Mouvement Desjardins et le Conseil de la famille pour financer le développement des connaissances sur la famille et une meilleure diffusion des résultats de la recherche. En collaboration avec le Conseil québécois de la recherche sociale et quatre institutions universitaires, il a élaboré un projet de recherche sur la famille et la dynamique intergénérationnelle.

"Comme disent les Africains, ça prend un village pour élever un enfant", lance Léandre Nadeau, faisant allusion au fait qu'il faille au Secrétariat à la famille l'appui de tout le monde pour réussir son mandat. Récemment, le Secrétariat s'est doté d'un plan d'action pour 1995, 1996 et 1997. Ce programme est le résultat de plus d'une année de rencontres et de négociations avec une foule de partenaires.

Lors du Forum sur la famille que le Secrétariat à la famille a organisé en février, 70 ministères et organismes divers étaient représentés. Ensemble, ils ont pris quelque 370 engagements traitant de la conciliation travail-famille, du soutien financier aux familles, de l'action préventive et du milieu de vie des familles.

Pour la plupart, ces engagements n'ont rien de très spectaculaire. Ils visent souvent à sensibiliser des groupes de personnes à une facette ou à l'autre de la vie familiale, qu'il s'agisse de promouvoir les comportements non sexistes et non violents dans les écoles, d'initier les jeunes à la résolution pacifique des conflits ou de diffuser le Guide sur la conciliation travail-famille dans les milieux de travail.

Léandre Nadeau cite un autre exemple d'engagement : "Dans le domaine de la petite enfance, Pauline Marois, la ministre responsable de la Famille, a pris l'engagement de s'asseoir avec nos partenaires pour voir comment il serait possible de mettre en place une politique sur les services à la petite enfance." Selon le directeur du développement, il s'agit d'une très bonne nouvelle, puisque les familles québécoises ne reçoivent pas beaucoup de services pour leurs jeunes de zéro à cinq ans : "Parmi les pays industrialisés, nous sommes à peu près au dernier rang sur une vingtaine en termes d'activités de développement des enfants. Pourtant, la petite enfance est une période-clé. Les experts ont prouvé qu'une intervention en bas âge a beaucoup plus de chance de régler un problème qu'une intervention tardive."

Voilà donc un autre défi pour Léandre Nadeau et l'équipe du Secrétariat à la famille. Ils ne manqueront d'ailleurs pas de travail jusqu'à la fin de 1997 puisque, en plus de cette politique de services à la petite enfance, ils devront d'ici là mettre en application une vingtaine de mesures qui relèvent du Secrétariat, en plus d'assurer avec les partenaires la réalisation de l'ensemble des engagements pris lors du forum. Sans compter que la famille et la société québécoises risquent de se transformer d'ici là, créant ainsi de nouveaux besoins.