Un an après son annonce par le gouvernement québécois, le virage ambulatoire que négocie le système de santé demeure un mystère. Les médias ont annoncé des fermetures et des fusions d'hôpitaux. Les syndicats dénoncent les nombreuses abolitions de postes et prédisent une dégradation de la qualité des services. On parle de salles d'urgence engorgées, de délais administratifs inexpliqués et de la motivation du personnel qui chute à toute allure vers le zéro absolu.

D'autres observateurs sont convaincus que le virage ambulatoire du ministre Rochon correspond tout à fait à ce que la situation exige. Le système de santé fonctionnait mal et coûtait trop cher. Le virage ambulatoire était la seule solution permettant d'améliorer l'état des choses tout en économisant de gros sous.

Qu'en est-il au juste? SOMMETS a demandé à une infirmière de se prononcer.

Pour un engagement collectif face à la santé

par Linda Bell*

Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a entrepris, depuis environ un an, ce que le titulaire de ce ministère, Jean Rochon et plusieurs à sa suite, appellent le virage ambulatoire. Le gouvernement et le ministre Rochon présentent le virage ambulatoire comme une réforme de la prestation des services de santé ayant essentiellement trois objectifs :

- mieux répondre aux besoins changeants de la population en profitant notamment des perspectives offertes par les nouvelles technologies;

- réorganiser le système en fonction de services davantage intégrés, continus et complémentaires;

- mettre l'accent sur les activités de promotion de la santé et de prévention des maladies.

Des principes tout à fait louables

Certains groupes, à l'intérieur même du réseau, réclament depuis longtemps des changements semblables dans les valeurs véhiculées au sein du système de santé. Plusieurs études ont démontré les impacts favorables des mesures promotionnelles et préventives en santé. Les déterminants de la santé sont de mieux en mieux connus et l'on sait maintenant que les principales causes de morbidité et de mortalité sont liées aux habitudes de vie des personnes, à leur environnement socioéconomique et physique ainsi qu'à la performance du système de prestation des soins de santé. Des recherches ont aussi prouvé que l'hospitalisation en elle-même comporte des risques, notamment la chronicité chez les personnes souffrant d'une maladie mentale et certaines infections. Les hôpitaux sont également sévèrement critiqués pour leur lourdeur administrative, les délais interminables qu'ils génèrent parfois ainsi que la mécanisation de leurs services.

Tel que présenté par le ministre Rochon, le virage ambulatoire apparaît souhaitable. Il tient compte de ces études, répond adéquatement aux reproches adressés au système de santé et constitue un effort réel pour mieux répondre à la diversité des problèmes et s'adapter aux différents contextes qui caractérisent notre époque.

Les grands principes et les gros sous

De la façon dont s'opèrent les changements actuellement, les réformes que l'on connaît semblent plus l'expression d'une urgence politique occasionnée par l'appauvrissement de l'État qu'une opération centrée sur l'amélioration de la réponse aux besoins sociaux. De ce fait, il n'est pas surprenant que les transformations soient longues à mettre en place, qu'elles rencontrent des résistances importantes et qu'elles ne soient pas toujours adaptées aux réalités des milieux. On a aussi le sentiment que l'État se dégage de sa responsabilité de protéger l'équité et la justice sociale. Le doute plane qu'il pourrait exister un système à deux vitesses, un pour les riches et un pour les pauvres, ce qui va à l'encontre de nos valeurs de société en matière de santé. Mais ce qui inquiète le plus est certainement que les compressions budgétaires exigées du réseau ne cessent d'augmenter et que des coupures additionnelles sont à prévoir au cours de la prochaine année. La pression exercée sur le système surpasse sa capacité de s'adapter et ne lui accorde pas le temps nécessaire pour consolider sa transformation.

Ne pas perdre nos principes de vue

Le gouvernement présente le virage ambulatoire comme une opération visant à améliorer la qualité des soins offerts à la population. Mais, dans les faits, cette réforme ressemble davantage à une série de mesures essentiellement budgétaires. Ce message incohérent suscite de la résistance et rend perplexe autant les acteurs du système que les prestataires de soins.

Pour être fidèle à sa mission, notre système de santé doit être véritablement axé sur l'augmentation de la conscience sociale face à la santé et sur le financement des mesures de promotion de la santé et de prévention des maladies et des problèmes sociaux, surtout chez les jeunes. Il doit démontrer sa capacité à répondre à la demande sociale de soins humanisés et globaux et non seulement reproduire son fonctionnement mécaniste dans nos maisons. Si le virage ambulatoire a pour principe de réserver l'hôpital aux gens les plus malades, il doit aussi assurer que les prestataires qui demeurent dans leur milieu bénéficie des mêmes expertises médicales, médicaments et soins. Le ministre et ses délégués doivent aussi évaluer et diminuer l'impact de leurs décisions sur la santé même des travailleuses et travailleurs touchés par les réformes.

Enfin, les responsables du système de santé doivent mettre en place des mesures pour éviter de surcharger les proches des personnes malades. Cette dernière préoccupation est d'autant plus importante que c'est principalement à des femmes qu'incombera la tâche de veiller sur un parent, un enfant ou ami malade. Ajouter sur les épaules des femmes l'obligation de soigner leurs proches pourrait remettre en cause la place, déjà souvent précaire, qu'elles occupent sur le marché du travail.

La santé et le bien-être doivent demeurer une responsabilité collective et c'est le maintien et le renforcement de cet engagement collectif qui est nécessaire pour mobiliser suffisamment de ressources pour garantir l'accès à la santé et aux soins de santé pour tous.

* Diplômée en 1989, Linda Bell est infirmière, étudiante au doctorat en sciences cliniques (sciences infirmières) et professeure chargée d'enseignement au Département des sciences infirmières de l'Université de Sherbrooke.