Ingénieur à l'Agence spatiale canadienne

Yvan Soucy garde les deux pieds sur Terre

par Bruno Levesque

Quand les médias s'intéressent à l'Agence spatiale canadienne (ASC), c'est le plus souvent pour des raisons fort éloignées de sa mission première. À la fin des années 80, avant même sa création officielle, beaucoup d'encre a coulé à propos de sa localisation à Saint-Hubert et du transfert des fonctionnaires que sa création impliquait. Plus récemment, l'Agence spatiale a fait parler d'elle parce que l'un de ses satellites, Radarsat, a fourni des images-satellites pour aider à retrouver Gerry Roufs, un navigateur canadien disparu en mer.

Il se passe pourtant beaucoup de choses à l'intérieur des murs de l'ASC, mais le public n'en est que peu informé, ce qui contribue à créer un certain mystère autour de l'Agence. Y prépare-t-on des missions interplanétaires? Y construit-on des fusées? Qu'y fait-on, mis à part Radarsat et le fameux bras canadien?

Yvan Soucy travaille à l'Agence spatiale canadienne depuis sa création. Jusque-là, il oeuvrait au ministère des Communications. Il a fait partie des employées et employés provenant d'autres ministères qui ont été mutés à l'ACS en 1989. <<Tout de suite après avoir terminé ma maîtrise en génie civil, j'ai travaillé au Laboratoire David Florida du ministère des Communications à Ottawa. Mon travail consistait à faire des tests au sol sur les composantes de satellites de communication, se rappelle Yvan Soucy. J'ai été muté à l'Agence spatiale canadienne quand elle a été créée. Je suis resté à Ottawa pendant quatre ans, puis on m'a demandé de venir travailler à Saint-Hubert.>>

De l'importance des tests au sol

L'Agence spatiale canadienne a pour mandat principal de faire progresser les connaissances de l'espace et d'appliquer ces connaissances. Il s'y poursuit des recherches dans des domaines aussi variés que l'astronomie, la haute atmosphère, l'étude des matériaux, la vie dans l'espace, etc. Pour faire avancer ces recherches, pour recueillir des données, les chercheuses et chercheurs de l'Agence créent aussi des appareils appelés à parcourir les grands espaces, que ce soit de façon autonome ou fixés à des satellites ou à des stations spatiales lancées par d'autres. Généralement, ces appareils de mesure sont le fruit de longues années de recherche et de développement technologique. Ils coûtent donc très chers et sont plutôt fragiles. Dans ces conditions, il n'est pas question de les lancer dans l'espace sans savoir s'ils sont capables de résister au traitement qu'ils sont appelés à y subir. Comme Yvan Soucy le dit lui-même, il est préférable que les composantes électroniques des satellites et autres objets volants fassent défaut avant le lancement. Dans l'espace, le coût des réparations est beaucoup trop élevé.

Même au sol, procéder à des tests sur des appareils aussi sophistiqués coûte très cher. Yvan Soucy fait partie d'une équipe d'une vingtaine de chercheuses et chercheurs rattachés à la direction de la mécanique spatiale du Groupe de technologie spatiale. Leur rôle consiste à mettre au point de nouvelles techniques, de nouvelles méthodes de tests plus efficaces et moins coûteuses.

<<L'idée à la base de nos recherches est que, pour toute structure, que ce soit un satellite ou une composante de satellite, il existe un modèle mathématique pouvant représenter sa façon de se comporter dans l'espace, explique l'ingénieur civil. Mais il faut toujours vérifier si ce modèle mathématique correspond réellement à la structure. C'est mon travail. Je procède à différents types d'essais pour vérifier si les modèles représentent bien ce qu'ils sont censés représenter.>>

Une des façons de tester les modèles est de procéder à des essais dynamiques. Il suffit de faire vibrer la structure à étudier avec des excitateurs. L'ingénieur mesure la force appliquée et l'accélération à l'aide de capteurs de force et d'accéléromètres. Toutes ces données sont enregistrées par un ordinateur et, par la suite, il est possible d'analyser le comportement de la structure étudiée. Enfin, il suffit de comparer les données obtenues avec celles provenant du modèle mathématique. <<S'il y a discordance entre les deux, ajoute Yvan Soucy, je procède aux ajustements nécessaires sur le modèle.>>

Les projets actuels

Procéder à ce type de tests au sol sur un véritable satellite constitue toute une aventure. Fragiles, très flexibles, conçus pour être extrêmement légers, les satellites s'écrouleraient tout simplement. Il faut donc les supporter, sans que cela ait d'effet sur les données. Des supports existent pour ce genre d'exercice, mais coûtent terriblement cher. Actuellement, Yvan Soucy tente de mettre au point des supports à la fois économiques et efficaces. Il mise sur des supports comportant des articulations stratégiquement localisées et orientées. Actuellement à leurs débuts, les tests se font avec des structures très simples fixées à un support comportant peu d'articulations. <<Petit à petit, nous allons complexifier le type de matériau testé et ajouter des supports, puis nous vérifierons comment la technique fonctionne, explique le chercheur. Après avoir établi le comportement dynamique de chaque sous-structure, nous pensons qu'il sera possible d'agencer tous ces comportements dynamiques ensemble pour synthétiser les propriétés dynamiques d'un satellite en orbite.>>

Yvan Soucy et ses collègues conçoivent aussi d'autres façons de procéder à des tests. Par exemple, ils ont mis au point un système de mesures sans contacts. Ils se sont procurés un vibromètre au laser, appareil servant à émettre un faisceau laser. Les spécialistes en sciences des matériaux savent qu'en projetant un faisceau laser sur la structure à un certain point, une certaine quantité de cette lumière sera réfléchie, ce qui permet de mesurer le comportement dynamique de cette structure. L'avantage d'une telle méthode est qu'il n'y a ni contacts entre l'appareil et la structure étudiée, ni capteurs fixés sur la structure à tester, d'où l'obtention de données crédibles. <<Nous avons mis au point un système qui nous permet d'avoir plusieurs points de mesure à partir d'un seul vibromètre, raconte Yvan Soucy. Nous avons fait passer le faisceau laser par des lentilles et des miroirs, ce qui a permis de diviser le faisceau de départ en 36. Tout cela est contrôlé par ordinateur et redirigé en des points précis par un jeu de miroirs. Nous avons donc la possibilité de prendre 36 mesures en même temps.>>

Toutes ses recherches, Yvan Soucy les réalise sur la terre ferme, à l'intérieur des laboratoires de l'ACS, à Saint-Hubert.<<Après, dit-il, les réparations deviennent très compliquées à réaliser, donc très coûteuses.>> Yvan Soucy est donc la preuve qu'on peut contribuer de façon significative à l'avancement des connaissances sur l'espace en demeurant les deux pieds sur terre.