SUR INVITATION

À propos de la génération X

SOMMETS a demandé à cinq personnes de se réunir pour parler de la jeunesse, de ses caractéristiques et de ses espoirs et discuter des résultats du sondage réalisé par Jean-Herman Guay et son équipe. Jacques Alary, professeur au Département de service social et chercheur membre du groupe de recherche sur la famille Arrimages, et Bruno Roy, diplômé en psychologie en 1990 et 1992 et intervenant au Centre objectif travail de l'Estrie, ainsi que trois jeunes, Caroline Cloutier, diplômée en biologie en 1993 et en environnement en 1996, Sylvie Dupont, étudiante au baccalauréat en enseignement au secondaire, et Pascal Gemme, étudiant à la maîtrise en littérature, ont accepté de partager leurs réflexions avec les lectrices et lecteurs de SOMMETS.

Propos recueillis par Bruno Levesque

Quelques chiffres importants

- Dans laquelle des catégories suivantes se retrouve votre revenu annuel net?

0 $ - 10 000 $ : 44,0 %

10 0001 $ - 15 000 $ : 15,5 %

15 001 $ - 25 000 $ : 16,7 %

Plus de 25 000 $ : 25,8 %

- Avez-vous déjà participé à une activité bénévole?

oui 78,8 %

non 21,2 %

- Avez-vous beaucoup, assez, un peu, pas du tout confiance en...

Beaucoup Assez Un peu Pas du tout

Les tribunaux 7,2 % 44,3 % 44,4 % 36,8 %

L'armée 9,6 % 35,7 % 34,6 % 20,1

La police 11,8 % 49,7 % 29,1 % 9,4

Les grandes entreprises 10,0 % 45,4 % 31,7 % 12,9

Les syndicats 8,3 % 34,5 % 36,1 % 21,1

Pour commencer, j'aimerais savoir s'il y a un chiffre dans les résultats de ce sondage qui a particulièrement attiré votre attention.

Jacques Alary : Le fait que les jeunes, à plus de 50 p. 100, fassent confiance à la police, à l'armée et aux tribunaux, le fait aussi qu'ils accordent leur confiance aux entreprises m'a beaucoup étonné. Ce sont des instances qui représentent la force et l'autorité.

Pascal Gemme : Ça m'a jeté par terre de voir que les 18-35 ans accordaient leur confiance à l'armée, malgré tous les scandales révélés récemment. Je ne peux m'empêcher de lier cela avec le discours de droite qui ressort fortement de l'ensemble de ce sondage.

J. A. : La cote de confiance en l'armée se situe à 45 p. 100. Ça veut aussi dire qu'il y a 55 p. 100 des jeunes qui n'y font pas confiance.

Bruno Roy : Malgré cela, le sondage semble indiquer que la loi et l'ordre règnent en maîtres chez cette génération. Le degré de confiance en la police grimpe à 61 p. 100. Il se situe à 55 p. 100 pour les grandes entreprises et à 52 p. 100 pour les tribunaux.

J. A. : J'ai essayé de comprendre ce qui motivait les jeunes à penser ainsi. À mon avis, ça traduit un besoin d'ordre et de sécurité dans une société pleine de violence et d'incertitudes. La confiance dans les entreprises et dans les forces de l'ordre, de même que la croyance en Dieu tiennent de la même logique. Les jeunes vivent dans une société où il y a beaucoup d'incertitudes. Leur propre avenir est incertain. Ils ont besoin d'imaginer un pouvoir suprême, Dieu, ou de se raccrocher à des modèles qui fonctionnent. D'où leur confiance en la grande entreprise qui, pour eux, est la preuve qu'il y a des choses qui marchent bien.

Y a-t-il autre chose qui vous a frappés?

J. A. : Une des premières choses que j'ai notées, c'est le 80 p. 100 de jeunes de 18 à 35 ans qui font du bénévolat. Ce chiffre est très révélateur.

Caroline Cloutier : Les jeunes ne descendent peut-être pas dans la rue pour faire changer le monde, mais ils sont 80 p. 100 à faire du bénévolat. L'action ne se fait plus en groupe, mais de manière plus individuelle, plus locale.

J. A. : Je suis d'avis que le bénévolat correspond à un engagement, à des valeurs de cette génération. Les jeunes croient davantage à l'entraide et à la solidarité qu'à des grands changements qui résulteraient de manifestations et de contestations.

B. R. : Je crois que le bénévolat constitue une bouée de sauvetage pour les jeunes sans emploi. Pour eux, c'est une façon de prendre part à la vie de leur communauté. C'est peut-être une façon de prendre de l'expérience, de savoir à quoi ressemble le monde du travail, mais c'est aussi une porte de sortie, parce que rester chez soi est loin d'être une solution.

Sylvie Dupont : Le marché du travail étant plutôt fermé, les jeunes peuvent de moins en moins se réaliser dans leur travail. Prenons par exemple une femme qui, après ses études universitaires, est obligée de travailler comme serveuse à temps partiel dans un restaurant pour gagner sa vie. Elle ne se réalise pas nécessairement dans son travail. Le fait de faire du bénévolat répond peut-être à ce besoin de réalisation personnelle. Au fond, elle ne fait pas du bénévolat pour aider l'humanité, elle le fait pour elle. C'est de cette façon qu'elle peut se réaliser, qu'elle peut grandir.

On présente souvent les jeunes comme plutôt amorphes. Contrairement à la génération qui les a précédés, les causes collectives ne semblent pas les intéresser. Ils sont plutôt centrés sur eux-mêmes et leurs proches. Est-ce que ce portrait correspond avec la perception que vous avez de la jeunesse?

J. A. : D'abord, il est faux d'affirmer que la génération des baby-boomers était toujours à manifester dans la rue, qu'elle était très critique sur le plan social et politique. Les contestations dans les cégeps n'ont duré qu'un an ou deux. Il y a eu des temps forts de la contestation, mais ce n'est pas toute une génération qui a fait ça.

B. R. : Pour moi, la génération qui a précédé - et dont je fais partie - a été très active pendant 10 et même 15 ans, que ce soit au niveau social, syndical, artistique... C'est une génération qui a fait éclater de nombreux cadres, parce qu'elle était aux prises avec des cadres comme la religion, une pensée politique et des valeurs familiales rigides, presque dogmatiques. Selon moi, ma génération était davantage en réaction. Ça me choque donc un peu quand j'entends dire que les jeunes d'aujourd'hui sont amorphes. Nous, nous avons bougé parce qu'il y avait des choses à faire bouger. Nous avons tellement fait éclater les choses que la jeunesse actuelle doit d'abord ramasser les morceaux, retrouver des valeurs plus solides. Extérieurement, les jeunes semblent peut-être plus passifs, mais je suis loin d'être certain qu'ils le soient.

P. G. : Le qualificatif amorphe qu'on attribue à ma génération ne s'applique pas du tout au milieu dans lequel j'évolue. Les gens qui m'entourent sont très actifs. C'est une question de temps avant que l'on voit les jeunes s'affirmer davantage. Il y a quelque chose qui commence à bouger, un ferment de nouveauté sur le point de jaillir.

Quel est, à votre avis, le problème numéro un des jeunes?

P. G. : Je pense que c'est une question de restructuration de valeurs. Nous nous retrouvons aujourd'hui entre deux systèmes de valeurs. Mais je sens qu'un changement important va se produire bientôt. Ma génération est en train de se rendre compte que, si elle veut faire sa place, il va falloir qu'elle se donne ses propres institutions, ses propres moyens.

B. R. : Je suis d'accord, il y a actuellement un mouvement qui s'amorce. De plus en plus de jeunes entrepreneurs extrêmement performants et créatifs se lancent en affaires. C'est entre autres pour ça que je crois en cette génération. Mais le problème majeur de la jeunesse, c'est l'accès au travail. Une chose m'a particulièrement frappé dans le sondage, c'est que 59 p. 100 des jeunes gagnent moins de 15 000 $ par année, c'est presque les deux tiers. Ce chiffre-là en dit long sur les difficultés qu'ils connaissent. Je ne suis pas étonné qu'il y ait un certain manque d'espoir, du découragement, dans une société qui leur donne si peu de chances. Le travail demeure encore la voie pour se réaliser. Le problème, c'est que les jeunes n'y ont pas accès. Et quand un individu n'a pas accès à quelque chose d'aussi fondamental, il est difficile pour de se construire une identité.

C. C. : Moi aussi, je crois que la situation économique est notre plus grave problème. On nous a dit de nous scolariser, que ça nous donnerait de meilleures chances de nous trouver un emploi. Vous seriez étonné de savoir combien de biologistes avec une maîtrise ou un doctorat en poche ne travaillent pas ou sont surscolarisés pour l'emploi qu'ils occupent. L'accès à du travail, c'est la possibilité de se réaliser, mais c'est aussi la chance de survivre. L'argent ne fait peut-être pas le bonheur, mais il aide. Il aide à acquérir de l'autonomie, à faire des projets, à penser à l'avenir.

J. A. : Le défi principal des jeunes est de se trouver une place dans une société où beaucoup de choses sont devenues précaires, instables et incertaines. Comment arriver à se situer là-dedans, comment faire son projet de vie, dans un contexte où l'avenir est incertain? Le défi est de faire face à cette incertitude et de vivre sa vie malgré cette incertitude.

SD : Notre problème, c'est le manque d'idéologie. Nous ne savons plus quelle direction prendre. Nous n'avons plus de cadres de référence. J'étudie en éducation et, normalement, je devrais enseigner au secondaire dans quelques années. Mon rôle, comme enseignante, est justement de transmettre des valeurs aux jeunes. Mais avec les compressions dans l'éducation, je suis loin d'être certaine que je vais pouvoir jouer ce rôle. Pour ma part, je crois qu'il sera difficile de me réaliser dans mon travail. Alors je vais devoir me réaliser ailleurs.