Léon Sanche est l'un des chercheurs les plus cotés au Canada. Inventeur et dompteur d'électrons, c'est dans le sous-sol de la Faculté de médecine qu'il cherche à comprendre le comportement et l'effet des radiations et qu'il jongle avec les concepts de la physique afin de mettre en lumière les principes fondamentaux qui gouvernent ces particules.

Principes fondamentaux de la radiothérapie

Un physicien apporte un éclairage nouveau

par Bruno Levesque

Entrer dans le monde de Léon Sanche a quelque chose d'impressionnant. D'abord, il y a la notoriété du chercheur, qui est reconnu à travers le monde comme un des chefs de file en sciences des radiations. Puis, il y a les locaux, situés dans un sombre corridor du sous-sol de la Faculté de médecine. Ils contiennent une instrumentation qui semble sortie tout droit d'un film de science-fiction. Le vocabulaire utilisé par Léon Sanche déconcerte aussi. Il utilise couramment des termes comme <<cyclotron>>, <<hypervide>> et des expressions telles <<marquage au carbone>>, <<substance radiopharmaceutique>> et <<caméras à positrons>>, qui sont plutôt nébuleux pour les profanes. Enfin, il y a l'objet de ses recherches qui recèle une part de mystère en même temps qu'il fait peur : Léon Sanche étudie les radiations, et qui dit radiations dit cancer...

Les connaissances élémentaires d'abord

Mais que vient faire un physicien dans la lutte contre le cancer ? La réponse est à la fois simple et complexe. Laissons d'abord le principal intéressé s'exprimer : <<Rappelez-vous des Américains, quand ils ont décidé d'aller sur la lune. Ils ont réussi assez rapidement. Pourquoi ? Pas seulement parce qu'ils avaient de l'argent, mais aussi parce que les principes physiques en cause dans une telle entreprise étaient connus des scientifiques. Les Américains semblent cependant avoir conclu que, lorsqu'ils mettaient les efforts et l'argent nécessaires, ils arrivaient à leurs fins. Un peu plus tard, ils ont donc décidé de s'attaquer au cancer. Ils ont mis sur pied un vaste programme de lutte contre le cancer dans lequel ils ont mis encore plus d'argent que dans le programme Apollo. Cette fois-là, ils n'ont pas réussi, tout simplement parce que la communauté scientifique n'a pas toutes les connaissances fondamentales concernant le cancer.>>

Cette citation illustre bien comment Léon Sanche conçoit la recherche scientifique. Pour lui, il est indubitable que les connaissances fondamentales sont à la base de tout progrès. Dans le cas des sciences des radiations, les scientifiques n'ont pas encore acquis l'ensemble de cette connaissance fondamentale. L'équipe de chercheurs qu'il dirige a donc pour objectif la découverte de principes fondamentaux qui, lorsqu'ils seront connus, permettront à celles et ceux dont le travail consiste à mettre au point une thérapie contre le cancer d'en améliorer grandement l'efficacité.

Des particules secondaires capitales

L'un des traitements les plus utilisés contre le cancer est la radiothérapie. Lors de l'irradiation, des particules possédant une très haute énergie sont en quelque sorte lancées vers les tissus malades. Ce qui se passe dans un premier temps après l'interaction de ces particules avec la matière biologique est bien connu, du moins en recherche fondamentale. Par contre, la façon dont les particules secondaires qui sont générées par ces particules primaires (ce qui se passe entre 10 -15 et 10 -9 secondes après l'irradiation) interagissent avec le tissu biologique l'est beaucoup moins. Pourtant, les recherches ont démontré que ce sont ces particules secondaires qui causent les transformations chimiques dans les tissus irradiés et, donc, qui peuvent modifier une cellule ou tout simplement la tuer.

Une grande partie des efforts du Groupe de recherche en sciences des radiations que dirige Léon Sanche est donc consacrée à la compréhension du comportement de ces particules secondaires. Pour sa part, Léon Sanche travaille surtout sur les particules secondaires les plus abondantes : les électrons de basse énergie. <<Les particules de très haute énergie libérées lors de l'irradiation génèrent une grande quantité d'électrons de basse énergie qui, eux, vont transformer les cellules, explique le physicien. Alors, si nous arrivons à comprendre ce qui se passe, nous parviendrons sans doute à mieux canaliser l'effet des radiations, à rendre leur action davantage néfaste pour les cellules cancéreuses tout en protégeant mieux le reste du corps>>, explique le chercheur.

Depuis son arrivée à l'Université de Sherbrooke en 1972, Léon Sanche et son équipe ont ni plus ni moins développé un nouveau domaine de recherche. Pour étudier l'effet de ces électrons sur différentes substances, comme les molécules d'oxygène, ou des molécules beaucoup complexes, comme les bases d'ADN, ils ont développé une instrumentation et une technologie à nulle autre pareille. Cette instrumentation leur permet d'obtenir une mince couche de molécules sous forme solide dans un système à hypervide, c'est-à-dire dans une atmosphère mille milliards (10 -12) de fois moins dense que l'atmosphère terrestre. La mince couche de molécules est par la suite bombardée par des électrons dont l'énergie est précisément contrôlée, ce qui permet à Léon Sanche et son équipe d'observer ce qui se passe quand les électrons entrent en contact avec la couche de molécules et de dégager des principes de leurs observations. <<Mon travail consiste à essayer de comprendre ce qui se passe, comment ces électrons de basse énergie interagissent dans la cellule et dans les molécules biologiques de façon générale, pour en tirer des lois générales de physique qui vont guider d'autres chercheurs dans le choix de substances radiosensibilatrices ou radioprotectrices>>, résume le chercheur.

Une équipe multidisciplinaire

Les recherches qu'effectue Léon Sanche s'imbriquent dans celles de toute l'équipe de recherche du Département de médecine nucléaire et radiobiologie, connue sous l'appellation Groupe CRM en sciences des radiations. De fait, trois professeurs, dont Léon Sanche, ont effectivement reçu une subvention du programme de subventions de groupes du Conseil de recherches médicales (CRM) du Canada en 1997-1998.

Mais l'ensemble du corps professoral du Département participe pleinement aux recherches menées dans l'un ou l'autre des laboratoires du Département de médecine nucléaire et de radiobiologie à l'intérieur d'un programme de recherche concerté visant une meilleure compréhension de l'ensemble des transformations provoquées dans la matière par l'absorption de l'énergie d'un rayonnement et l'utilisation de ces connaissances pour des applications biomédicales et biotechnologiques.

Les chercheurs se penchent sur tous les phénomènes reliés aux sciences des radiations, depuis l'étude des processus physicochimiques fondamentaux jusqu'à la mise au point de nouvelles substances radiopharmaceutiques et de nouvelles méthodes d'imagerie, en passant par l'étude de l'ADN et de sa réaction aux radiations. Léon Sanche explique que la philosophie du groupe se reflète dans une suite chronologique de recherches : <<Une fois que les recherches faites dans mon laboratoire ont donné une bonne idée de comment les particules secondaires interagissent avec les cellules, les chimistes peuvent prendre le relais et voir les réactions chimiques provoquées par ces particules et analyser ce qui se passe au niveau cellulaire. Après coup, les radiobiologistes tentent de comprendre comment la cellule réagit à ces réactions chimiques.>>

Pour coordonner les efforts complémentaires de tous ces scientifiques et s'assurer que cette philosophie est respectée, l'équipe de chercheurs du Département de médecine nucléaire et radiobiologie compte, en Léon Sanche, sur un chercheur dont la réputation dépasse largement les frontières québécoises. Le CRM l'a d'ailleurs reconnu, lui décernant le titre de chercheur émérite, un honneur qui n'échoit qu'aux meilleurs au Canada. Autre exemple de cette réputation, ce témoignage de John Polanyi, professeur à l'Université de Toronto et gagnant du prix Nobel de chimie en 1986 : << Léon Sanche est un scientifique sérieux, original, qui a un fin esprit critique et dont les idées ne manquent jamais de nous impressionner. L'Université de Sherbrooke doit à mon avis s'enorgueillir de posséder un atout aussi inestimable.>>

Le principal intéressé demeure humble et ne se semble pas troublé outre mesure par de tels honneurs. Ses recherches constituent l'essentiel de ses préoccupations et elles retrouvent rapidement leur place au coeur de ses propos. Ce qu'il aime le plus dans son travail, dit-il, c'est la partie création. Il adore concevoir un appareil et puis le voir fonctionner pour la première fois dans son laboratoire : <<Les appareils que j'invente sont uniques, précise-t-il. Ce sont mes créations. Alors quand elles fonctionnent et qu'elles produisent de nouveaux résultats, surtout des résultats imprévus, ce sont les moments les plus intenses que me procurent mon travail.>> Souhaitons que Léon Sanche connaisse suffisamment de ces moments exceptionnels pour le motiver à poursuivre ses recherches pendant de nombreuses années. Car le cancer, lui, n'arrête malheureusement pas.