TETES CHERCHEUSES

Éthique, affaires et théologie, voilà des termes qui, à première vue, peuvent sembler contradictoires. Qu'ont en commun la théologie et les affaires? Comment conjuguer des soucis éthiques avec la recherche du profit, ce qui constitue le fondement des entreprises commerciales?

Michel Dion et l'éthique des affaires en Asie

par Gilles Pelloille et Bruno Levesque

Michel Dion, professeur à la Faculté de théologie, d'éthique et de philosophie, s'intéresse aux questions éthiques depuis plusieurs années déjà et on lui doit de nombreux articles à ce sujet, notamment à propos de l'éthique dans l'administration publique et dans les entreprises. Le chercheur définit ainsi son domaine de recherche : <<L'éthique est une discipline qui tente d'identifier les valeurs telles l'honnêteté, la justice, etc., qui peuvent mener à un meilleur comportement des individus. L'éthique n'est pas une affaire de jugement et de condamnation, c'est davantage analytique. L'éthique étudie les situations, tente de voir les valeurs en cause pour dégager de quelle manière on devrait agir dans telle ou telle situation. Dans certains cas, des valeurs éthiques peuvent se retrouver en conflit avec d'autres, par exemple la rentabilité. Le chercheur en éthique tentera alors d'identifier laquelle de ces valeurs prédominera quand viendra le temps d'agir.>>

Le chercheur explique que ces questions sont d'autant plus délicates que les valeurs éthiques ne se suffisent pas à elles-mêmes, qu'elles prêtent énormément à interprétation. Pour les appliquer dans le concret, par exemple dans une entreprise, il faut adopter des normes de comportement qui définissent comment agir face aux fournisseurs, aux gouvernements, aux compétiteurs, au personnel et au public en général.

La notion de corruption, par exemple, est éminemment culturelle. Ce qui est acceptable dans un pays ne l'est pas du tout dans l'autre. La perception de tout ce qui touche le harcèlement sexuel, la discrimination, les conflits d'intérêt, la santé et la sécurité au travail, l'environnement, etc., varie d'une religion à l'autre et d'une culture à l'autre. Une entreprise doit-elle appliquer les normes de son code d'éthique et les lois en vigueur dans son pays ou alors suivre les lois et les coutumes du pays où elle fait affaire? Certaines entreprises croient que, pour survivre, elles doivent suivre les lois du marché. D'autres acceptent de passer outre à certaines règles, mais demeurent inflexibles sur d'autres points. Ce sont des priorités éthiques que les entreprises se fixent elles-mêmes.

Michel Dion donne l'exemple d'une entreprise qui a décidé de refuser toute corruption et qui ne verse aucun pot-de-vin à qui que ce soit. Quels sont les effets à long terme de cette décision? Il est plus que probable que l'entreprise ne se développera pas aussi rapidement, d'où des pertes d'emplois. <<Est-il plus éthique de mettre des familles au chômage simplement parce qu'on a décidé que son entreprise n'acceptait pas la corruption?>>, demande le chercheur. Voilà le dilemme.

En Asie du Sud-Est

Pour 1998 et 1999, les recherches de Michel Dion le conduiront en Asie du Sud-Est. Une subvention de 219 316 $ provenant de l'Agence canadienne de développement international (ACDI) lui a été versée pour diriger un projet de recherche en Asie du Sud-Est pour établir un lien entre l'éthique des affaires, les droits humains et la religion. Au cours des deux prochaines années, le chercheur sherbrookois supervisera les quatre équipes localisées respectivement en Thaïlande, aux Philippines, en Malaisie et en Indonésie.

Baptisé en anglais Southeast Asia Canada Consortium for Trade and Human Rights, ces groupes de recherche tentent dans un premier temps de connaître la perception qu'ont les gens d'affaires des droits de la personne. Pour cette partie, les quatre équipes mises sur pied par Michel Dion interviewent les dirigeants de 25 entreprises, afin de voir l'influence de la religion et de la culture nationale sur la perception qu'ils ont des droits humains et de connaître jusqu'à quel point ils sont favorables à la protection de ceux-ci. <<Nous pensons qu'en reliant ainsi les droits humains et l'aspect religieux, nous risquons davantage d'amener les chefs d'entreprises à prendre le parti des droits humains, estime Michel Dion. Pendant la première année, nous allons essayer de les rendre plus sensibles à ces questions. Mais comme la situation est différente d'un pays à l'autre, il faut tenir compte de la culture et rester très respectueux de celle-ci dans nos démarches.>>

Le chercheur s'empresse d'ajouter qu'il ne faut pas confondre éthique et étiquette. <<Il n'est pas tout de savoir présenter ou recevoir une carte d'affaire. L'éthique est un domaine beaucoup plus large que l'étiquette. Il existe beaucoup de livres portant sur l'étiquette qui expliquent quoi faire et ne pas faire, mais il faut aller au-delà. Il faut connaître les valeurs et les croyances de nos partenaires d'affaires, afin de mieux les connaître et de les respecter davantage. Les chances de réussite augmentent si les gens se préoccupent de cela et diminuent si on en fait fi.>>

Après avoir identifié les gens d'affaires susceptibles de s'engager au niveau des droits humains dans leur pays, le groupe de recherche établira, en 1999, des comités réunissant des gens d'affaires pour la défense des droits humains dans chacun des quatre pays. Il concevra aussi des bulletins d'information qui seront distribués parmi les dirigeants d'entreprises. De plus, Michel Dion, en compagnie de Gilles Saint-Pierre, professeur à la Faculté d'administration de l'Université de Sherbrooke et directeur de l'Institut d'entrepreneuriat, et de Roderick Macdonald, professeur à l'École des sciences de la gestion de l'Université du Québec à Montréal, donnera des séminaires de formation sur les droits de la personne.

<<Nous espérons recruter un certain nombre de gens d'affaires influents afin qu'ils recrutent à leur tour d'autres gens d'affaires de façon à créer une sorte de conseil du monde des affaires pour les droits humains, explique le chercheur. Il s'agit bien sûr d'un travail à long terme. Essayer de modifier le monde des affaires afin qu'il y ait un plus grand respect des droits humains ne se fait pas en quelques mois.>>

L'idée de créer le projet de recherche a germé en 1996, quand le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique a subventionné les recherches de Michel Dion pour une somme de 14 000 $. Cette subvention, étalée sur deux ans, a permis le développement de la première équipe de recherche située en Thaïlande.