par Odile Lamy
Avant de réaliser des documentaires qui retracent la vie et la
carrière de nombreuses personnalités québécoises ou qui font revivre les époques
enflammées, Pierre Brochu a suivi un parcours assez inhabituel. Contrairement au commun
des mortels qui se trouve un emploi grâce à leur formation, lui a fait des études à
cause du travail !
Cinéphile dans l'âme et très attiré par le septième art depuis un court métrage
qu'il avait réalisé en secondaire III, Pierre Brochu abandonne ses études en
administration et, en 1973 dès que son âge le lui permet, ouvre avec des associés
Imageries, une maison de production située à Sherbrooke. " Mais là, je me
suis retrouvé dans une drôle de situation lorsque j'ai commencé à gagner ma vie
de cinéma sans avoir étudier dans ce domaine, se rappelle Pierre Brochu. Je faisais,
entre autres, des documentaires pour Radio-Québec qui exigeait un
baccalauréat. " Le cinéaste autodidacte entreprend donc un baccalauréat en
communication à l'UQAM
sans suivre de cours d'audiovisuel, les
professeurs étant des caméramans qu'il embauchait ! " Ensuite, je me
suis mis à donner des cours de production audiovisuelle, poursuit Pierre Brochu, ce qui,
normalement, nécessite une maîtrise. " Alors il fait une maîtrise en études
littéraires à l'Université de Sherbrooke, de 1980 à 1983, tout en travaillant à
temps plein pour sa maison de production.
Le vent dans les voiles avec Olivier
Fort de sa courte mais bénéfique formation en administration, Pierre
Brochu commence sa carrière de cinéaste par des documentaires à caractère économique
ou didactique pour l'Université de Sherbrooke, Radio-Québec et le ministère de
l'Éducation. " Peu de scénaristes et de réalisateurs pouvaient lire un
bilan, expliquer les flux économiques ou comprendre la Loi de l'offre et de la
demande, précise-t-il. Quand Radio-Québec avait quelque chose à produire sur un dossier
comme l'amiante ou les facteurs de localisation industrielle, j'étais
appelé. "
S'étant séparé de ses associés d'Imageries et ayant plein de projets de
films en tête dont les producteurs ne voulaient pas, Pierre Brochu redémarre seul, en
1981, une nouvelle compagnie à Montréal, Poly-Productions. Déterminé et tenace, il
décide de produire et de vendre lui-même aux diffuseurs un documentaire à saveur
culturelle : le portrait du comédien disparu Olivier Guimond. Cette production de
120 minutes en qui personne ne croyait au départ a déjà été diffusée sept fois sur
le petit écran, recueillant encore plus d'un million de cotes d'écoute
l'année dernière à TVA, à la septième diffusion pourtant !
Le succès inespéré d'Olivier a ouvert la voie à toute une série de
biographies célébrant les carrières d'artistes québécois : Clémence
Desrochers, Jean-Guy Moreau, Dominique Michel, Jean Duceppe, Ginette Reno, Denise
Filiatrault et Marc Favreau. Pierre Brochu a même fait le portrait d'un lutteur
professionnel, Yvon Robert, premier athlète canadien-français à avoir remporté un
championnat mondial. Il a également signé de véritables documentaires patrimoines avec
la trilogie Le vent des années 60, Les enfants d'un siècle fou et Connaître
la suite, reflet de notre société à différentes époques. Et grâce aux nouvelles
chaînes spécialisées, comme Canal D, Pierre Brochu peut à présent ressortir des
sujets longtemps conservés dans un tiroir faute de diffuseurs intéressés. Plusieurs
politiciens, tels que Daniel Johnson père, Réal Caouette, Camilien Houde, vont bientôt
revivre sous les images du spécialiste des films de montage.
Par souci d'ouverture internationale, Poly-Productions se tourne, depuis cinq ans,
vers le documentaire animalier et étranger. Un spectaculaire voyage au cur de
l'univers caché de nos derniers géants, Rencontres avec les baleines du
Saint-Laurent, a été vendu dans une quarantaine de pays. Poly-Productions collabore
aussi aux volets internationaux des émissions La semaine verte et Second regard,
diffusées à Radio-Canada, par la production de documentaires tournés au Vietnam, au
Cambodge, en Côte d'Ivoire, en Angola.
Projets ou chimères ?
Admiratif devant les personnes passionnées et passionnantes, Pierre
Brochu ne manque jamais de sujets de portraits. Qu'ils naissent du quotidien, de
lectures, d'une question, d'une rencontre ou d'un événement fortuits, les
projets fourmillent. Mais, hélas, tous ne se concrétisent pas, comme le regrette le
documentariste : " En général, seulement un avant-projet sur dix se rend
à l'étape de production. "
Plusieurs facteurs, dont le financement et le marché de diffusion, sont à l'origine
de ces fréquents avortements. Financés à 80 p. 100 par quatre ou cinq
investisseurs et à 20 p. 100 par les diffuseurs, les documentaires restent
toujours à la merci d'un quelconque avatar financier. Ainsi, une série de 26
demi-heures sur le XXe siècle en marche avec Radio-Canada a échoué l'an
dernier à l'ultime étape.
Les refus de projets dépendent aussi fortement de la grille horaire des diffuseurs et de
leurs besoins. " Plus nous touchons à un sujet universel, moins les diffuseurs
québécois sont intéressés ", constate Pierre Brochu, qui vendra donc moins
facilement à Radio-Canada un documentaire sur les baleines qu'un portrait de
Dominique Michel
qui ne peut être réalisé par National Geographic !
Patience et longueur de temps
Si Pierre Brochu déplore de passer plus de temps à la quête de
financement qu'à la réalisation proprement dite, il reconnaît néanmoins que la
recherche documentaire représente une partie très longue et minutieuse, voire ardue
lorsque les documents audiovisuels sont peu indexés ou mal répertoriés. Dénicher des
images dans ces conditions équivaut à un vrai travail de bénédictin, car il faut
souvent visionner tout ce qui a été fait sur le sujet avant de trouver la perle rare.
Pour le portrait de Jean Duceppe, Pierre Brochu a dû examiner 40 épisodes de Terre
humaine pour en retirer seulement 90 secondes !
Dans le cas de portraits de personnes qui ont vécu il y a fort longtemps, la recherche
devient encore plus acrobatique, puisque les archives sont carrément inexistantes et les
contemporains peu nombreux pour témoigner. Ces difficultés n'arrêtent pourtant pas
l'infatigable chercheur de trésors qui prépare une série sur des Québécois
méconnus et marginaux pour leur époque, comme Éva Tanguay devenue millionnaire grâce
à ses strip-teases à New York dans les années 1910 ou encore ce Québécois
ingénieur en chef pendant les campagnes de Napoléon Bonaparte.
Pour dépoussiérer les merveilles enfouies dans les archives afin de réunir une
collection d'extraits représentatifs des personnalités qu'il dépeint, Pierre
Brochu s'entoure de collaborateurs. Avec ses recherchistes, il écume tout ce que la
presse écrite, la radio, le petit et le grand écran ont conservé. " Quand
j'ai un dossier précis, j'embauche un recherchiste très pointu sur le sujet,
mentionne le chasseur d'images. Pour mon projet de séries sur la chanson française,
j'ai fait appel à Élisabeth Gagnon, animatrice d'émissions radiophoniques sur
les musiques du monde et véritable encyclopédie vivante. "
Si les productions de Pierre Brochu exigent d'innombrables heures de recherche, elles
requièrent aussi de longs et patients mois de tournage et de montage. Pour le
documentaire sur les baleines, l'équipe de tournage a passé quatre mois sur un
bateau à attendre que les baleines daignent se manifester ! Mais le plus difficile
pour un documentariste tant épris pour son métier demeure le montage. Chaque fois que
Pierre Brochu coupe les mètres et les mètres de pellicule accumulés pour arriver dans
le temps imparti par les diffuseurs, il a l'impression de
" s'arracher le cur " !
Une chasse aux trésors doublement fructueuse
À la fois producteur, réalisateur et scénariste selon les contrats,
Pierre Brochu se distingue au niveau national et international. Nombre de ses
documentaires ont été mis en nomination, plusieurs ont reçu des prix (Gémeaux, Félix,
etc.) et les critiques élogieuses abondent. Mais toutes ces récompenses laissent de
marbre le modeste cinéaste. Est-ce son perfectionnisme qui l'empêche de
reconnaître son travail à sa juste valeur ?
Peu importe, la chasse aux trésors ne profite pas qu'au traqueur. Dans ses
créations télévisuelles préparées avec beaucoup de persévérance et de passion,
Pierre Brochu rend hommage aux personnalités qui ont occupé ou qui occupent encore une
place importante sur la scène québécoise. De plus, grâce à ses sujets inédits, il
donne la parole aux oubliés tout en brossant un portrait de la vie sociale de leur
époque. Par contre, ses films de montage peuvent parfois susciter des débats, comme Les
enfants d'un siècle fou qui a été étiqueté de documentaire rose sur les
années 70 par les personnes qui ne se sont pas retrouvées dans ce film, notamment les
féministes et les protagonistes de la Crise d'octobre. Qu'il est donc difficile
de plaire à tout le monde ! En tout cas, les voyages au cur de
l'intimité des gens permettent à Pierre Brochu d'assouvir sa soif
d'apprendre et sa curiosité tout en donnant un sens à l'uvre de nos
artistes, de nos athlètes et de nos politiciens.