Paul Toutant, ancien étudiant au baccalauréat en arts de l'Université de Sherbrooke, cuvée 1970, baigne depuis près de vingt ans dans le milieu culturel québécois. Ses chroniques culturelles au Montréal ce soir de Radio-Canada l'ont imposé comme l'un des journalistes les plus simples et accessibles de sa génération. On lui attribue même le mérite d'avoir été l'un des premiers à soutenir l'intégration de la culture dans les bulletins de nouvelles.

La culture comme nécessité

par Catherine Schlager

Si Paul Toutant se définit comme le moins politique de tous les journalistes, il n'en demeure pas moins que ce sont souvent des événements à caractère politique survenus au cours des vingt dernières années qui ont balisé les moments forts de sa carrière.

Ainsi, l'élection de René Lévesque lui permettra d'entrer à la station Radio-Canada de Montréal, un gros trou ayant été créé dans la salle des nouvelles par l'embauche de plusieurs journalistes par le gouvernement péquiste. De même, la mort de Pierre Laporte lui fournira l'occasion d'affronter le premier gros événement de sa jeune carrière à la station de télévision locale. «Je lisais les nouvelles à la station de télévision CHLT de Sherbrooke. Un beau jour, nous avons appris la mort du ministre Pierre Laporte, se souvient Paul Toutant. C'était trop gros, il fallait le sortir. Nous avons décidé d'interrompre Soirée canadienne, l'une des émissions les plus populaires à cette époque, pour diffuser la nouvelle. Nous savions que nous avions pris la bonne décision. Il y avait à Sherbrooke une ouverture qu'il n'y avait pas à Montréal. Il y avait moins de contrôle sur tout. Mais on prenait nos responsabilités. C'est ce qui m'a permis d'apprendre. »

Apprendre sans contraintes

Ses débuts, il les fait en terre sherbrookoise alors qu'il est encore sur les bancs de l'Université de Sherbrooke et qu'on lui offre d'animer une émission sur les ondes de la station de radio CHLT. Intitulée Les poilus du microphone, l'émission marque déjà l'attachement du jeune Toutant pour la culture québécoise. «On avait 17 ou 18 ans et on faisait déjà de la radio. On nous avait donné le contrôle des ondes puisqu'on nous faisait confiance. On a déjà diffusé uniquement de la musique québécoise pendant plus de douze heures ! » évoque Paul Toutant en riant.

En parallèle, il forme, en compagnie de quelques copains, un groupe qui pratique un type d'humour se situant aisément entre celui des Cyniques et de Rock et belles oreilles. Quelques spectacles sont organisés à L'Antre II, lieu de rencontre des étudiants de l'Université de Sherbrooke, puis retransmis sur les ondes de la radio CHLT. «On riait sans cesse des politiciens. Lorsque le spectacle était diffusé à la radio, c'était carrément le festival de la cloche. Il fallait sans cesse mettre des bips sonores pour ne pas entendre les sacres que l'on prononçait ! C'était une époque très éclatée marquée par les contestations étudiantes. Nous faisions partie d'une génération qui s'exprimait beaucoup. L'Université de Sherbrooke a été pour moi le lieu de toutes les expériences. C'est là que j'ai rencontré ma femme qui étudiait en droit, que je me suis marié, et surtout que j'ai rencontré des gens de toutes les régions du Québec avec qui j'ai gardé aujourd'hui quelques amitiés. »

En 1969, âgé de tout juste vingt ans, Paul Toutant fait ses premières armes comme journaliste à la télévision de CHLT, aujourd'hui devenue Télé 7. Il y côtoie le journaliste bien connu Marcel Gagnon qui y travaille toujours. Les deux comparses ne craignent pas l'aventure, de sorte qu'ils n'hésitent pas une seconde à s'embarquer à destination de la France dans le but bien avoué de fréquenter l'Université de Louvre à Paris où l'on retrouve l'une des écoles de journalisme les plus réputées. « Ils n'ont jamais cru que nous étions sérieux, se souvient-il en songeant aux réactions des professeurs et des autres étudiants. Nous avions tous deux les cheveux longs, bref, nous ne ressemblions pas à deux gars qui veulent être journalistes. Nous n'avions pas l'air d'avoir
d'avenir ! »

Séjour au Canada anglais

Convaincu qu'il fera carrière en tant que journaliste, Paul Toutant s'exile à Toronto où il occupe un poste de journaliste à la télévision de Radio-Canada. Il y couvre notamment des événements ayant trait à l'éducation. Entre 1973 et 1975, il réalise quantité de reportages et travaille même au pupitre. Il y apprend énormément sur le métier. Peu à peu, une question lui hante l'esprit : Est-ce qu'on s'assimile ou est-ce que l'on revient ? La seconde option prend évidemment le dessus, de sorte qu'il est de retour au Québec en 1975. Il effectue ensuite un court séjour à la Presse canadienne pour finalement revenir à ses premières amours en travaillant pour la radio internationale de Radio-Canada.

En 1976, lorsque René Lévesque remporte ses élections, la salle des nouvelles de la télévision de Radio-Canada devient rapidement déserte, de sorte que Paul Toutant y déniche bien vite un boulot de journaliste. Il y couvre les sujets les plus divers. Un beau jour, il prend conscience du fait que la culture devrait être intégrée aux bulletins de nouvelles. Téméraire comme pas un, il risque sa peau et convainc ses patrons de la nécessité de présenter des reportages d'ordre culturel. «On me disait : « Tu ne seras plus considéré comme un vrai journaliste ». Eh oui, je ne serai peut-être jamais correspondant à Paris, blague-t-il. Mais une fois que tu as compris que tu ne ferais pas partie des grands de ce monde, il n'y a pas de problème ! Je leur ai fait comprendre que les gens voulaient entendre parler de culture. »

Lorsqu'il explique les fondements du métier de chroniqueur artistique, Paul Toutant insiste sur le fait que celui-ci se doit d'être honnête, d'avoir une vision élargie de l'art, tout en faisant connaître et aimer les artistes au public qui regardent le Montréal ce soir sur les ondes de la télévision nationale. «Il faut que le public décode et comprenne ce que tu as à dire. Il est essentiel de toujours faire appel à la même grille de perception. Et tu ne peux pas seulement dire j'aime ou j'aime pas. Il faut constamment doser ses propos puisque la télévision possède un gros pouvoir. Lorsque je parle d'une pièce de théâtre, les réactions sont presque instantanées dans les billetteries. »

Relation de confiance

À l'écouter parler de ce métier qui semble si passionnant, on se doute bien que Paul Toutant s'amuse énormément. Il avoue humblement avoir une bonne relation avec les gens du milieu après vingt années passées à les côtoyer quotidiennement. « Lorsque je rencontre Clémence Desrochers ou Diane Dufresne, on se tombe littéralement dans les bras l'un de l'autre. Avec les artistes, ce qui est important est d'établir le contact humain. J'ai déjà écrasé la cigarette de Léo Ferré en entrevue afin d'établir ce contact humain. Je n'essaie jamais de coincer un artiste puisque j'ai beaucoup de respect pour eux. Lorsque Jean-Louis Roux a démissionné comme lieutenant-gouverneur du Québec, tout le monde lui courait après pour avoir une entrevue. C'est moi qui ai obtenu la seule qu'il a accordée. »

Si le métier de chroniqueur culturel demeure hautement gratifiant, Paul Toutant affirme toutefois avoir vécu certains moments plus difficiles. À cet égard, il évoque ses démêlés avec la réalisatrice Micheline Lanctôt qui avait, à l'époque, accusé Toutant d'avoir contribué à l'échec de son film La vie d'un héros. «Je ne pouvais tout de même pas dire que j'avais aimé le film lorsque ce n'était pas le cas. De toute façon, les gens sont eux-mêmes capables de se forger une opinion. Après cette histoire, j'ai arrêté pendant trois ans de faire de la critique. C'est le côté un peu plate du métier. C'est difficile de nouer des amitiés avec les artistes puisque tu as nécessairement moins de recul. J'ai également déjà été traîné en cours par Raël parce qu'il n'avait pas aimé ce que j'avais dit sur lui. »

À cinquante ans et des poussières, Paul Toutant raffole toujours autant de ce métier qui lui a permis de vivre des instants extraordinaires. S'il avoue commercer à songer tranquillement à la retraite, des événements déterminants tels que la prestation de Gerry Boulet au bar l'Inspecteur Épingle, tout juste avant son entrée à l'hôpital, ainsi que la création d'une chanson de Charlebois sur les rives du lac Brompton, lui rappellent qu'il a réellement le métier dans la peau.