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Portrait de diplômé

Jean Lemire - 25 ans à bord du bateau de tous les Québécois

Le Sedna IV en mission dans l'Antarctique
Le Sedna IV en mission dans l'Antarctique
Photo : Jean Lemire

Est-ce que notre planète va si mal? Est-ce que les petits gestes que nous posons au quotidien aident vraiment? Après 25 ans de carrière, Jean Lemire a une réponse, qu’il nous partage habilement dans son nouveau livre L’Odyssée des illusions, publié aux éditions La Presse. Son ouvrage recense l’ensemble de ses missions et ses constats. C’est un cri du cœur que Jean Lemire lance : la planète va toujours s’en sortir, c’est ceux qui vivent dessus qui ont un problème. « Les extinctions massives sont un symbole que la cohabitation entre les espèces ne va pas bien. Une seule espèce prend trop de ressources pour elle-même, et ça fait mourir les autres. Ça ne va pas très bien. » Jean Lemire veut maintenant nous faire réaliser qu’il y a un énorme prix à payer pour nos mauvaises habitudes, et qu’il faut passer à l’action rapidement. Pour lui, il est certain que les petits gestes comptent. Mais maintenant, il faut effectuer un virage et ce dernier doit être radical. Favoriser les énergies renouvelables, réduire le gaspillage, établir une meilleure cohabitation avec la nature : il est temps que les changements soient de grande envergure. Et pour lui, ce sont nous, les jeunes de ma génération, qui doivent y croire et mener ces changements.

Un contact privilégié

L'Odyssée des illusions, nouveau livre de Jean Lemire, publié aux éditions La Presse.
L'Odyssée des illusions, nouveau livre de Jean Lemire, publié aux éditions La Presse.
Photo : Jean Lemire

Jean Lemire a marqué mon enfance. Je me rappelle encore très bien quand j’étais à l’école primaire et que j’ai vu son impressionnant bateau, le Sedna IV alors accosté au quai de Cap-aux-Meules. Je me souviens aussi avoir visionné Le dernier continent, un film réalisé par l’explorateur en 2007. Du plus loin que je me souvienne, c’était la première fois que j’étais exposée concrètement aux conséquences inquiétantes du réchauffement climatique. J’ai vite réalisé que la beauté de la nature n’a d’égal que sa grande fragilité.

J’ai eu l’honneur de discuter avec Jean Lemire au téléphone. Je me sens privilégiée, car je considère qu’il est une grande figure pour notre province, et dans mon cas, il l’est tout autant pour ma région natale, les Îles-de-la-Madeleine. Diplômé en biologie en 1987, il a reçu le titre de Grand Ambassadeur de l’Université de Sherbrooke en 2007, remis aux diplômés de grande envergure qui connaissent une carrière exceptionnelle, qui contribuent de façon significative au mieux-être de la société et qui participent activement au rayonnement et au développement de l’Université de Sherbrooke. Il a également remporté plusieurs prix et reconnaissances, notamment la Médaille d’or de la Société Géographique Royale du Canada en 2004, quatre Gémeaux et deux Gemini pour le film Mission Arctique en 2004-2005, le prix Personnalité de l’année de La Presse / Radio-Canada dans la catégorie Sciences humaines, Sciences pures et technologies en 2006, puis celui de l’Officier de l’Ordre du Canada en 2007.

J’ai été surprise d’apprendre que Jean Lemire, originaire de Drummondville, n’a vu la mer pour la première fois qu’à 19 ans, aux Îles Mingan. Ses collègues et lui sont sortis en mer, au large dans l’objectif d’apercevoir certains oiseaux qui le passionnaient. À cette occasion, il a vu une baleine bleue pour la première fois : « Ça a changé ma vie », m’a-t-il avoué. Voir la grâce de la nature, constater toute son immensité, être happé par cette beauté… Jean Lemire allait dès lors consacrer sa vie à la découverte du monde en navigant sur les mers.

Aux Îles-de-la-Madeleine, il n’y a pas d’université. Après mes études collégiales, je devais choisir ma nouvelle ville d’accueil. J’ai été agréablement surprise de voir que Jean Lemire a choisi l’Université de Sherbrooke, des dizaines d’années plus tôt, pour les mêmes raisons que moi. Aujourd’hui comme hier, la réputation d’excellence de l’UdeS et de ses programmes d’études, en plus de la proximité de la ville avec la nature attirent des milliers d’étudiants chaque année. Pour lui,  étudier dans une université à l’échelle humaine faisait en sorte que tout le monde était au même diapason. Les étudiants voulaient tous apprendre et partager. Près de 30 ans plus tard, je ressens cette même ambiance amicale, voire familiale, qui anime toujours le campus.

Travailler au bien commun

Photo : Jean Lemire

Jean Lemire est un explorateur passionné et engagé. Ce qui le fait vibrer le plus au cours de ses voyages, c’est le contact avec la nature. « Je suis très chanceux d’aller dans les endroits les plus exceptionnels de la planète en bateau. Le bateau, en fait, il donne du temps. Il donne une vision différente, et c’est un privilège d’aller dans des endroits qui ne sont autrement pas accessibles. »

Jean Lemire et son équipage, sur l'île d'Anuta.
Jean Lemire et son équipage, sur l'île d'Anuta.
Photo : Jean Lemire

Je lui ai demandé quel était son plus grand coup de cœur de toutes ses missions, et c’est sans hésitation qu’il m’a partagé une partie de son aventure à l’île d’Anuta, située dans l’archipel de Santa Cruz dans l’Océan Pacifique. « Sur l’île, on compte une population d’à peine 300 personnes, complètement coupée du reste du monde. Il n’y a pas de système monétaire et tout le monde travaille au bien commun. » Jean Lemire et son équipe ont pu bénéficier d’un contact exceptionnel avec les animaux, en plus de faire de précieuses rencontres. « C’était une leçon de vie. On est resté 10 jours, et à la fin, les 300 se sont réunis, ils nous ont costumés, et ils ont pleuré. Il y avait beaucoup d’émotions. »  C’est amusant, car, même à l’autre bout du fil, sans le voir, j’ai senti par sa façon de me partager son histoire que, de toutes ses aventures, ce contact humain et ce retour à l’essentiel constituent effectivement un grand moment dans sa vie. Il est persuadé aujourd’hui que l’humanité se doit de concentrer ses efforts pour le bien commun : notre environnement.

La prochaine mission du Sedna IV : « Le bateau de tous les Québécois »

Photo : Jean Lemire

Après avoir fait le tour du monde, Jean Lemire a toujours en tête un projet pour son bateau. Il souhaite que le prochain voyage se fasse sur le Saint-Laurent. Ce chef de mission veut rapporter des images qui changent, des images de ce que l’on ne voit pas de nos cours d’eau, de nos traditions. Le Sedna IV deviendrait alors un outil de sensibilisation et d’éducation afin de promouvoir nos racines et nos cultures parce que, comme il dit, « tout passe par le Saint-Laurent. » Peut-être alors, aurais-je la chance de revoir ce fascinant navire, qui a vécu de magnifiques aventures et qui a certainement marqué plusieurs d’entre nous, chacun à notre façon.