Ce que les personnes âgées veulent devenir
Quand la démence frappe, elle nous vole souvent notre mémoire. Mais le système actuel nous prend aussi parfois notre dignité, notre humanité… notre futur. Et ça, pour Florence Guillet, c’est à la fois source de révolte et de motivation.
L’infirmière de formation a des tonnes d’exemples, issus de son parcours professionnel comme personnel.
« Ma belle-mère a eu une démence très avancée », explique posément Florence, qui l’a accompagnée pendant 3 ans, jusqu’à son décès en novembre 2020. « Mon chum dit tout le temps qu’elle avait du guts. C’était une femme affirmée, avec une vie riche et une vision bien à elle de son vieillissement. »
Mais, pendant ses consultations, certains médecins me parlaient à moi, pas du tout à elle. Ce n’est pas parce que tu as une démence que tu n’entends pas tout. Tu n’es pas un meuble. Tu es une personne.
Florence Guillet
L’aidante naturelle se rappelle plusieurs conversations crève-cœur avec celle qu’elle surnommait Wilh. Parfois lucide, sa belle-mère lui demandait alors : « Florence, c’est quoi, cette maladie où je perds complètement le contrôle de ma vie? » À la douleur de la maladie s’ajoutait la souffrance de n’être ni écoutée ni entendue.
« On sentait toute sa détresse », conclut Florence, la voix maintenant moins assurée.
Pendant la fraction de seconde où elle émerge de ses souvenirs, Florence Guillet irradie la solidité tranquille des gens qui non seulement ne craignent pas de douter, mais qui embrassent les remises en question, dans tout ce qu’elles ont de confrontant – et d’enrichissant.
D’ailleurs, ce qui fait vaciller sa voix, ce n’est pas (que) la tristesse. C’est aussi, surtout, l’indignation.
On peut modifier nos approches pour que les personnes âgées soient vraiment les actrices de leur propre vie. On doit tenir compte de leur parcours, de ce qu’elles veulent devenir plus tard.
L’idée que des personnes âgées veulent « devenir quelque chose plus tard » ne devrait pas nous étonner. Et pourtant…
Pourtant, elle sous-entend une petite révolution : une vision du monde loin de l’âgisme insidieux qui teinte notre société – de nos perceptions individuelles à nos politiques publiques.
Des révolutions, Florence souhaite en mener plein. Elle s’est donné les moyens de ses ambitions : « J’ai cherché un programme spécialisé en gérontologie avec une approche globale, pas seulement tournée vers les soins. »
Elle a trouvé formation à son pied à l’Université de Sherbrooke, avec les deux microprogrammes de 2e cycle en gérontologie, soutien-conseil et intervention.
De la gérontologie sociale à la pratique professionnelle… à la vie personnelle
Participation sociale et agentivité des personnes âgées, surtout de celles atteintes de démence, réalité des proches aidants et des préposées aux bénéficiaires, âgisme : la formation a comblé les attentes de Florence sur les contextes et les problématiques du vieillissement.
Elle a aussi bouleversé la vision que l’infirmière a de sa propre pratique. Plusieurs interventions ou personnes l’ont marquée pendant son parcours. Ainsi, le mot d’ordre d’un des membres du corps enseignant, entendu en tout début de cursus, la suit encore maintenant. « Si ça peut aider et que c’est sans danger, pourquoi ne pas l’essayer? »
Là encore, Florence a de nombreux exemples. Le personnel d’un service en CHSLD se met en pyjama afin de faciliter l’heure du coucher pour les résidents et les résidentes. Une préposée aux bénéficiaires utilise la musique et la danse pour tisser un lien avec une patiente, au-delà des frontières culturelles…
« Oui, il y a des cadres de référence, des protocoles et des règles. On peut très bien les respecter tout en faisant preuve de créativité », ajoute-t-elle.
Régler un problème qui paraît gros, avec une approche très simple, rapide, qui coûte peu ou pas d’argent, ça se peut.
De petites révolutions, donc. Mais de celles qui comptent le plus, parce qu’elles nous font nous sentir humains. Et l’humain, c’est aussi ce que Florence retire de son cheminement.
Maintenant, je réfléchis plus et mieux à la manière dont je fais les choses ou dont je les transmets. J’examine mes interactions… Ça, ç’a vraiment été une révélation dans les microprogrammes : apprendre à regarder mes collègues autrement.
De son propre aveu, Florence a enchaîné les « sauts dans le vide » pendant sa vie : retour aux études, oui, mais aussi immigration France-Québec, transfert de l’urgence aux services de psychiatrie gériatrique, passage du réseau public au monde communautaire…
Le prochain? Florence a envie d’enseigner. À bien y penser, c’est une suite logique à sa soif de comprendre, à ses remises en question et à son histoire d’amour avec les autres humains.
Pour moi, enseigner, c’est échanger, s’enrichir de la pratique, de ce que les autres ont à t’apporter… Et peut-être, toi aussi, transmettre ta propre expérience. C’est un partage. Tout le monde apprend.
Pour faciliter un peu ce saut à venir, Florence s’inscrira au tout nouveau cheminement de type cours offert à la maîtrise en gérontologie, qui débute à l’automne 2022. Grâce à la reconnaissance des crédits obtenus pendant ses microprogrammes, elle pourra rapidement s’attaquer à la préparation de son essai.
Le sujet se forme d’ailleurs déjà depuis un bon moment, dans son esprit.
Je pense beaucoup au fardeau, souvent invisible ou invisibilisé, qui pèse sur les épaules des proches aidants. Qui pèse aussi, beaucoup, sur les femmes, pour plusieurs facteurs socioculturels. Ce poids-là devrait être un argument dans la priorisation de l’accès aux soins. Il ne l’est pas. Pas encore.
Inspirée par les femmes fortes de sa vie, dont sa belle-mère mais également sa grand-mère, Florence refuse de réduire ses rêves. À petite, moyenne ou grande échelle, elle vise à « semer des graines qui donneront un jour de beaux arbres matures, solides », pour que les personnes âgées « retrouvent le droit de choisir ».
Finalement, la plus grande révolution de Florence serait de nous permettre de devenir… nous. À n'importe quel âge.