Nouvelle publication | Sous la direction de Sophie Abdela et Pascal Bastien
Enfermements : pratiques, expériences et parcours de détention (XVIe-XIXe siècles)
« Vivre l’enfermement ». C’est le titre que portaient les journées d’étude (Montréal, 12 au 14 mai 2022) qui ont donné lieu à la présente publication. Titre maladroit, certes, mais qui affichait clairement les couleurs de cette initiative de recherche.
Il ne s’agissait pas de prétendre qu’une vie ordinaire soit possible en prison, au monastère ou au lazaret. Il ne s’agissait pas non plus de penser un enfermement romantique où les murs, les contraintes, les structures et le pouvoir en général seraient constamment déjoués, dépassés. Ces murs et ces contraintes sont bien réels, et les occurrences de résistance et d’agentivité évoqués dans les différentes contributions de ce numéro ne cessent, en fait, de nous le démontrer.
Ce titre évoquait plutôt la possibilité pour les enfermés de ne pas simplement subir leur détention, de ne pas seulement tenter d’y survivre non plus. Il visait justement à ouvrir la voie à l’exploration des façons dont le pouvoir se négocie, se réaménage et s’agence sur le terrain.
Ces actes de colloque opèrent donc une jonction entre les questions plus traditionnelles qui lient l’enfermement aux pouvoirs institutionnels et judiciaires, et les interrogations plus récentes sur les rôles réels des acteurs et l’histoire qu’il est véritablement possible d’en faire. Ils nourrissent toutefois la discussion en faisant varier les espaces (les contributions traitent tant de la France que de la Russie, de l’Italie et de la Belgique), les types d’institutions (geôles ordinaires certes, mais aussi lazarets, îles-prisons et maisons de justice) et les clientèles (prisonniers, militaires, nobles, condamnés à mort, femmes et malades).
Une telle approche vise à complexifier l’histoire des enfermements en portant une attention plus soutenue à ce qui se passe de l’autre côté des seuils des établissements carcéraux. Ce pari permet de mieux saisir le rôle joué par les différents acteurs. Non plus ici seulement les procureurs, les lieutenants généraux ou les grands administrateurs étatiques, mais aussi ceux qui habitent les murs de ces institutions : prisonniers et prisonnières, bien sûr, mais aussi leur famille, leur réseau, ou encore le personnel de gestion, les associations charitables, les petits juges, les commissaires, etc.
Il permet aussi de mieux comprendre combien les enfermements sont adaptables et flexibles. Passer le seuil des établissements d’enfermement, c’est aussi voir apparaître les inévitables distorsions entre le discours et la pratique, les innombrables accommodements, négociations qui font que la réalité carcérale échappe toujours peu ou prou au législateur. C’est précisément là un autre avantage : mieux saisir les conséquences concrètes des transformations juridiques ou politiques qui façonnent les enfermements. Peut-être peut-on même, à l’inverse, saisir comment les réalités des différents terrains carcéraux peuvent elles aussi mener à des transformations juridiques et politiques. Tenter de comprendre comment on « vivait » les enfermements, c’est donc aussi les explorer à nouveaux frais et les redéployer. La diversité des approches, des sources et des sujets qui qualifie les contributions du présent volume participe activement à ce nécessaire redéploiement.
À propos de la direction de l'ouvrage
Sophie Abdela est professeure au Département d’histoire de l’Université de Sherbrooke. Ses recherches portent sur les prisons ordinaires de Paris au XVIIIe siècle, en s’intéressant plus particulièrement au caractère urbain de la geôle, à la perméabilité des établissements et aux formes de relations sociales qui s’y construisent. Ses travaux actuels visent à dresser une « écologie carcérale » et à comprendre comment la prison pouvait s’insérer dans les dynamiques urbaines environnantes.
Pascal Bastien a été formé par la lecture et la critique des archives judiciaires de l’époque moderne: il s’est, dans ce cadre, spécialisé dans l’histoire du droit, de la culture juridique et des pratiques judiciaires au dix-huitième siècle. Son intérêt pour les échanges interdisciplinaires, ainsi que le dialogue constant qu’il souhaite entretenir entre les différents espaces et temps historiques de la discipline, ont cependant ouvert ses perspectives de recherche vers de nombreux objets: entre rituels, images, paroles et pratiques, ses recherches portent largement sur les liens et les médiations culturelles entre les pouvoirs et les populations. Les travaux qu’il dirige se concentrent actuellement autour de trois axes principaux : l’histoire du monde judiciaire, l’histoire de Paris et l’histoire des pratiques d’écriture.