Rencontre avec Karl Thibault, coordonnateur de la recherche à l’Institut quantique de l’UdeS
Après avoir terminé son doctorat en physique, Karl Thibault s’est lancé dans le domaine de la gestion de la recherche. Bien qu’il ne pratique plus la science directement, il évolue dans le milieu de la recherche comme coordonnateur de l’entrepreneuriat et du programme scientifique, à l’Institut quantique de l’Université de Sherbrooke.
Au quotidien, cet ancien diplômé de l’UdeS assure le lien entre l’Institut quantique (IQ) et les startups et initiatives étudiantes Q2 et DiPhUS. Son poste l’amène à collaborer avec des organismes externes tels que des incubateurs et écosystèmes quantiques en France et aux États-Unis et à organiser les réunions des comités d’animation et de vulgarisation scientifique de l’IQ. Il gère également l’organisation de plusieurs événements internes tels que le colloque annuel, la retraite annuelle et les 5 à 8 du comité social.
Quelle formation avez-vous suivie pour travailler dans ce type de milieu?
Un doctorat en physique. Toutefois, pendant mes huit années aux études supérieures (maîtrise + doctorat), j’ai participé à l’organisation de nombreuses conférences étudiantes auxquelles j’avais aussi participé auparavant, ainsi qu’été président des Jeux de la Physique en 2014. J’ai aussi participé activement à la vie de mon groupe de recherche en organisant nos réunions de groupe, des dîners mensuels, et été responsable de l’horaire du Journal Club en informatique quantique du Département de physique. Ce sont, entre autres, ces compétences en gestion et en relations humaines qui me permettent d’être un bon candidat pour ce genre de poste.
Est-ce que vous pensiez pouvoir pratiquer cet emploi en suivant cette formation?
À la fin de mon baccalauréat en physique, je ne connaissais pas vraiment les emplois possibles. Je savais qu’il y en avait plusieurs — une tonne en fait ! —, mais je ne savais pas trop vers où je voulais aller, comme la plupart de mes pairs à ce moment. J’ai donc décidé de suivre la voie facile : rester à l’université et continuer à la maîtrise. Il faut dire que j’avais bien aimé mon stage préalable dans le groupe de recherche dans lequel j’ai finalement choisi de poursuivre mes études supérieures. Cependant, au moment de décider de poursuivre au doctorat, je savais que je ne continuerais pas dans le milieu universitaire par la suite, mais il n’était pas clair du tout pour moi quelle voie j’allais suivre.
Comment avez-vous entendu parler de ce milieu de pratique non traditionnel après votre formation?
À l’automne 2018, l’IQ a lancé une initiative où ils ont laissé huit étudiants, dont je faisais partie, suivre un cours en entrepreneuriat à l’Accélérateur entrepreneurial Desjardins de l’UdeS. Nous avions comme projet de déterminer comment favoriser l’entrepreneuriat au sein de l’Institut. Celui-ci nous a alors engagés pour effectuer ce mandat. Nous avons suivi le cours de l’AED dans ce contexte. Puis, on a fait un peu ce que vous faites en ce moment : des entrevues avec des gens pour déterminer pourquoi l’entrepreneuriat n’était pas présent et si c’était une voie qu’ils considéraient et autres questions du genre.
De là est né le poste que j’ai en ce moment. De telles positions sont assez rares, mais elles existent et je me considère assez chanceux d’avoir été disponible au bon moment. Bien que j’aie quand même été en « double emploi » pendant plus de six mois.
Est-ce que des formations d’appoints ont été nécessaires pour occuper ce poste à la suite de vos études dans le domaine?
Non, mais j’ai participé à des activités parascolaires pendant mes études qui m’ont permis d’être qualifié pour ce poste.
Quelles sont les conditions de travail?
- Plusieurs semaines de vacances dès la première année;
- 35 heures par semaine (même si je fais largement plus parce que j’aime mon emploi);
- Un horaire flexible de 8 h 30 à 17 h;
- Une paie décente.
C’est certain que comparé au privé, le salaire est vraiment moins élevé, mais je préfère avoir un impact sur la qualité de la vie et de la recherche des scientifiques à l’IQ que sur un chiffre d’affaires d’une entreprise en haute technologie.
Quelle est la dynamique dans votre milieu de travail?
Je travaille à l’Université, alors il ne sera pas trop difficile d’imaginer la dynamique pour ceux et celles qui vont lire ces lignes ! Mais elle est assez différente de ce que je vivais lorsque j’étais étudiant en fait.
En tant qu’employé, peut-être particulièrement parce que j’ai un doctorat, mes relations avec les professeurs ont changées. Bien sûr, il y a encore une certaine hiérarchie, je les considère en quelque sorte comme mes supérieurs, mais il n’y a plus vraiment de relation d’autorité. Je travaille avec eux et pour eux, non « sous » eux contrairement à mon temps aux études supérieures. Maintenant, plusieurs membres du personnel professoral diront que cette relation d’autorité n’est pas quelque chose qu’ils mettent en place, ou même qu’ils désirent. Je serais assez persuadé de dire que, malgré cela, pratiquement toute la communauté étudiante la vive de cette façon…
Qu’est-ce que vous préférez dans votre emploi?
Ce que j’aime le plus, c’est le sentiment que mes actions ont un impact concret sur la vie de nos membres.
Le sentiment que mes actions ont un impact concret sur la vie de nos membres. Après avoir été huit ans aux études supérieures, où je travaillais pour mes propres recherches (et mon superviseur), c’est un changement très rafraîchissant. Le simple sourire d’une étudiante lors d’une activité Horizon IQ, par exemple, ou le remerciement d’un ancien collègue après un événement que j’ai organisé me donnent envie de continuer à plancher sur mon travail. Ces motivations n’existaient pas pendant mon doctorat. J’ai aussi l’occasion de travailler sur des projets vraiment stimulants intellectuellement et pertinents pour la société, tels qu’une démarche de consultation publique permettant de vulgariser pour une science quantique éthique.
Qu’est-ce que vous aimez moins de votre emploi?
J’aime beaucoup travailler en « travail profond », c’est-à-dire être concentré pendant plusieurs heures sur un texte ou un projet en particulier. Mon poste fait toutefois en sorte que je dois presque toujours être disponible, rendant ce genre de travail de moins en moins fréquent. Aussi, plusieurs tâches reliées aux « métriques » de notre institut sont plutôt ennuyeuses, mais tout type de travail aura des tâches qu’on aime moins.
À quoi ressemble votre équipe de travail?
L’équipe de développement de l’IQ est maintenant composée de six membres. Toutefois, j’interagis aussi beaucoup avec les membres de l’Institut en général, surtout ceux qui participent aux comité dont je fais partie.
Êtes-vous souvent en contact avec vos collègues?
Bien sûr ! J’interagis plusieurs fois par jour avec mon directeur et mes collègues sur différentes questions. Par exemple, lors de l’organisation d’un événement interne de l’IQ, mon collègue en communication m’aide énormément sur les aspects où il est expert et vice versa.
Quelles compétences liées à votre formation initiale avez-vous pu transférer dans votre emploi actuel?
C’est certain que mon expérience et mon savoir-faire technique ne sont pas utiles directement dans mon nouveau travail, mais ces connaissances me permettent de comprendre la réalité des membres de notre institut. De plus, la recherche fondamentale est un milieu assez unique. La façon de penser des gens qui en font partie peut être difficile à saisir pour quelqu’un de l’extérieur. Je crois que les gens qui vont aussi loin dans ce domaine ont rarement les compétences et l’envie de faire le type de travail que j’ai choisi.
Qu’est-ce que la formation vous a amené dans votre travail et quels sont les avantages d’avoir suivi cette formation?
Ce qui est cool en sciences, c’est un peu la liberté que tu as de pouvoir choisir ton projet et de travailler à l’avancement de la connaissance humaine.
Ce qui est cool en sciences, c’est un peu la liberté que tu as de pouvoir choisir ton projet et de travailler à l’avancement de la connaissance humaine. C’est aussi le fait d’être vraiment autonome dans notre travail. Ça mène souvent à certaines difficultés à définir ton projet, à être motivé, à trouver une raison… On se le fait souvent demander, dans quel but tu fais ça. Nous nous le demandons souvent nous-mêmes aussi, quel est le but de notre doctorat.
C’est ce qui est bien aussi, le fait d’être autonome, je le retrouve dans mon emploi en ce moment. J’ai appris, durant mon doctorat, à bien gérer cela et à développer des méthodes de travail efficaces.
Qu’est-ce qui vous attire dans cet emploi?
La direction de l’IQ, depuis son lancement, met un accent clair sur l’autonomisation de sa communauté étudiante. En tant qu’ancien étudiant de ce milieu, je crois sincèrement que c’est non seulement la façon la plus efficace, mais aussi inclusive d’assurer que l’IQ est un environnement de recherche productif, sain et créatif. Contribuer à cet objectif est significatif à mes yeux et me motive chaque jour à travailler.
Referiez-vous le même parcours de formation en sachant que vous travailleriez dans ce type d’environnement? Pourquoi?
C’est certain. Comprendre la réalité d’un membre de la communauté aux études supérieures est vraiment difficile sans l’avoir vécu soi-même.
Que conseillez-vous aux étudiants pour favoriser leur insertion professionnelle?
Ce que je vous conseille, c’est de ne pas avoir peur de prendre les occasions qui s’offrent à vous. Je sais que lorsque l’on est aux études, on se dit souvent qu’on n’est peut-être pas à la hauteur, qu’on n’est peut-être pas rendu là… Ce que je peux vous dire, c’est que ça va toujours être bénéfique. Si tu as le goût de le faire et que tu as une occasion devant toi, n’aie pas peur et prends-la. À la limite, tu vas arrêter d’avoir peur d’échouer. C’est comme ça qu’on s’améliore et qu’on apprend.
Si tu as le goût de le faire et que tu as une occasion devant toi, n’aie pas peur et prends-la. À la limite, tu vas arrêter d’avoir peur d’échouer.
Je crois qu’en tant qu’institut, c’est notre rôle de montrer à notre communauté étudiante les différentes carrières possibles à la suite à leurs études. « Participez à des initiatives parascolaires! Développez vos compétences transversales (communication, travail d’équipe, leadership, etc.)! » mais, encore une fois, c’est le rôle de l’université de fournir un environnement où ce développement personnel est possible. Pour plusieurs membres de notre communauté étudiante, c’est impensable de mettre de nombreuses heures sur un projet parascolaire, de réaliser leur doctorat, et en plus de trouver le temps pour se garder en forme (physique et mentale), voir leurs amis, etc. Que ce soit parce que la culture générale les pousse à travailler un nombre trop élevé d’heures sur leur projet de recherche, ou une autre raison tout aussi valable, c’est à nous, les gestionnaires à l’UdeS, de créer un environnement où ce type de développement personnel émerge naturellement.