La géomatique au secours de la forêt boréale
Connaissez-vous les éricacées? Il s'agit d'une famille de plantes dont font partie les rhododendrons, le bleuet et le kalmia. Or, pour l'industrie forestière, les éricacées peuvent parfois constituer un véritable casse-tête : dans certaines circonstances, ces plantes envahissent les parterres de coupe et empêchent la régénération des forêts d'épinettes. Les biologistes tentent d'élucider le phénomène depuis plusieurs années, mais voilà que les géomaticiens sont appelés en renfort. Serait-il possible d'analyser le paysage en vue de créer des outils géomatiques pour éviter de voir les épinettes perdre du terrain?
C'est le défi auquel travaille depuis quelques années Richard Fournier, professeur au Département de géomatique appliquée de la Faculté des lettres et sciences humaines, de concert avec Robert Bradley, professeur au Département de biologie de la Faculté des sciences, ainsi que des chercheurs du ministère québécois des Ressources naturelles et de la Faune.
«La problématique de l'envahissement par les éricacées – dont le kalmia – touche des pessières d'épinettes noires, dit Richard Fournier. Dans certaines situations, les éricacées deviennent des plantes assez agressives qui accaparent les nutriments et saisissent la lumière disponible, ce qui empêche les semis d'arbres de pousser. La forêt devient alors non productive.»
Le biologiste Robert Bradley souligne de son côté que ce phénomène est souvent une conséquence de pratiques sylvicoles comme les coupes forestières partielles, dont les éclaircies précommerciales et commerciales, ainsi que les coupes avec protection de la régénération et des sols. Cette pratique, promue par le gouvernement du Québec depuis 1994, incite les entreprises forestières à couper certaines tiges, tout en laissaient un certain nombre d'arbres en place.
«Le kalmia est une plante de fin de succession, qui s'installe dans le sous-bois des forêts matures, dit Rober Bradley. La plante peut être présente durant des années avant de proliférer. Or, les coupes avec protection de la régénération et des sols, qui visent à protéger les sols et la régénération naturelle, n'aident certainement pas. Au contraire, elles fournissent l'occasion aux éricacées déjà présentes de s'étendre encore plus, en les exposant davantage à la lumière et en leur faisant profiter de la présence de débris ligneux au sol.»
Pour Robert Bradley, les coupes partielles – mieux adaptées aux forêts du sud du Québec – sont moins pertinentes en forêt boréale. «Le problème des éricacées est mieux géré lorsqu'on effectue des coupes à blanc, qu'on brûle les débris ligneux et la couche d'humus au sol, et qu'on scarifie le site», mentionne-t-il.
La géomatique pour prévoir l'envahissement
L'envahissement des pessières par les éricacées constitue un problème important et touche des secteurs de la forêt boréale allant des régions de la Côte-Nord et du Saguenay--Lac-Saint-Jean en passant par l'Abitibi. Il est également bien documenté en Colombie-Britannique et à Terre-Neuve.
Jusqu'à récemment, cette problématique avait été surtout abordée par des biologistes. L'intervention de la géomatique date d'environ cinq ans, alors qu'il est apparu pertinent de lier les données biologiques, et d'y ajouter l'analyse de la cartographie et du paysage, en vue de mieux cerner l'ampleur et la localisation du problème au Québec.
Le projet mené par Richard Fournier a été divisé en trois étapes. La première a consisté à établir et à raffiner des techniques adaptées pour cartographier la forêt à partir de méthodes satellitaires. Il s'agissait de proposer une méthode pratique qui puisse être reproduite aisément par la suite, selon les besoins futurs. Le second volet de la recherche visait à dresser un bilan cartographique permettant de voir l'évolution du phénomène depuis les années 70.
Les deux premières phases de recherche étant complétées, la troisième phase des travaux consiste à développer un système d'information géographique comme modèle spatial de prévision de l'envahissement par les éricacées.
«En plus des variables explicatives au niveau de la station, il nous faut trouver des variables qui concernent le paysage et qui sont disponibles au niveau des cartes, dit Richard Fournier. Il peut s'agir du type de sol, du relief, de l'ensoleillement, de la proximité des cours d'eau. Il nous faudra voir ensuite comment ces variables contribuent à expliquer le problème et à mettre en place un outil de suivi et de prévision de la distribution spatiale des éricacées en lien avec la régénération de l'épinette.»
Cet outil de prévision sera amélioré par l'utilisation de l'imagerie satellitaire et s'avérera très utile pour les intervenants du milieu forestier. «À la fin du projet, l'industrie forestière et le ministère des Ressources naturelles et de la Faune pourront identifier des sites problématiques et juger des prescriptions sylvicoles les mieux adaptées pour réduire le problème d'envahissement par les éricacées», ajoute le professeur Fournier.
«Un projet comme celui-là démontre bien que lorsqu'on veut traiter d'un problème aussi généralisé spatialement que celui-là, il est très profitable d'utiliser les outils géomatiques et satellitaires. Cela permet de comprendre un phénomène dans son ensemble et de l'analyser sur des paysages étendus. Il est ensuite possible de faire une synthèse et de reproduire des modèles spatiaux que l'on pourra appliquer par la suite», conclut le géomaticien.