Une nouvelle voie pour soulager la douleur osseuse liée au cancer du sein : l'approche innovante des pepducines
La douleur osseuse constitue un phénomène touchant plus de la moitié des femmes atteintes d'un cancer du sein métastatique, les métastases osseuses provoquant des douleurs chroniques intenses pour lesquelles les traitements actuellement disponibles offrent une efficacité très limitée. En empruntant une voie d’accès moins fréquentée, l’équipe du professeur Philippe Sarret a contribué à l’avancement de la compréhension d’une famille de récepteurs reconnue pour être hautement impliquée dans ce type de douleur.
Encore en 2024, le cancer du sein demeure l’un des cancers les plus répandus chez les femmes au Canada. En outre, les statistiques récentes nous apprennent qu’entre 30 et 50% des femmes qui reçoivent un diagnostic de cancer du sein développent ensuite des métastases. Figurant parmi les différents types de métastases potentiels (poumons, foie, ganglions, etc.), les métastases osseuses et les douleurs qui y sont associées préoccupent la communauté de recherche en pharmacologie. L’efficacité limitée des traitements contre la douleur osseuse questionne : comment concevoir des traitements plus ciblés, alors que la famille de récepteurs visée est reconnue pour engendrer des problèmes de spécificité?
Une famille de récepteurs qui donne du fil à retordre
Les chimiokines constituent une famille de petites protéines interagissant avec leur cible, des récepteurs couplés aux protéines G (RCPG), dont la structure générale ressemble à un serpentin. Les chimiokines ont plusieurs cibles potentielles avec lesquelles elles peuvent interagir, soit une famille de récepteurs des chimiokines comptant 43 récepteurs connus chez l’être humain. En plus d’être nombreux, ces récepteurs ont des structures extrêmement similaires, d’où le défi quand vient le temps de cibler précisément l’un de ces récepteurs avec une molécule thérapeutique.
Dans la douleur osseuse, le couple composé du récepteur CCR2 et de la protéine CCL2 est connu pour son implication dans le développement de la douleur osseuse, dans le remodelage osseux et dans la croissance tumorale (et l’inflammation associée).
Or, les tentatives de blocage pharmacologique de ce couple protéine et récepteur ont toujours mené à des résultats mitigés.
(Sur) prendre la douleur à revers
La problématique entourant la spécificité des traitements est monnaie courante pour les thérapies visant des familles de RCPG, elle ne se limite donc pas à CCR2-CCL2. Malgré cette problématique, les RCPG demeurent des cibles pharmacologiques intéressantes, puisque le tiers des médicaments commercialisés à l'heure actuelle ont ces récepteurs pour cible. Un point commun de presque toutes ces thérapies est leur design extracellulaire, c’est-à-dire que le médicament vient se fixer au RCPG à partir de l’extérieur de la cellule. Dans le cadre de leur recherche, l’équipe du professeur Sarret a pris le pari d’investiguer une autre voie d’interaction qui pourrait permettre d’offrir plus de spécificité à d’éventuels traitements contre la douleur liée aux métastases osseuses dans le cancer du sein.
Pour ce faire, ils ont d’abord créé une molécule que l’on appelle « pepducine », cette dernière ayant pour cible le récepteur CCR2. L’appellation pepducine renvoie à un peptide mimant structurellement l’une des boucles intracellulaires du récepteur ciblé, peptide que l’on couple ensuite à un lipide qui rend possible la pénétration par les membranes cellulaires. L’idée de départ était donc de concevoir une pepducine mimant la boucle d’entrée du récepteur CCR2 pour tenter d'inhiber le récepteur dans un design d’action intracellulaire.
Une porte ouverte sur des traitements plus efficaces?
Les résultats publiés dans l’article Discovery of a CCR2-targeting pepducin therapy for chronic pain en 2024 démontrent que par un mécanisme de basculement, la pepducine produite par l’équipe de recherche parvient à pénétrer la membrane de la cellule puis à interagir avec le récepteur CCR2, empêchant ainsi la chimiokine ciblée (CCL2) de produire son action délétère.
Dans le cadre de cette recherche, le mécanisme testé s'est avéré efficace tant au niveau fonctionnel en in vitro que pour soulager la douleur dans des modèles in vivo. Ces résultats viennent donc confirmer à la fois l’efficacité de cette porte d’entrée (méthode) et l’implication du système chimiokinergique dans ce type de douleur.
La découverte de cette nouvelle façon de cibler plus spécifiquement le récepteur CCR2 ouvre sans contredit une porte sur des pistes innovantes dans le développement de molécules analgésiques pour mieux traiter la douleur liée aux métastases osseuses dans le cancer du sein.
Informations complémentaires
Pour lire l’article complet, une collaboration d'Élora Midavaine, Rebecca L Brouillette, Elizabeth Théberge, Christine E Mona, Sakeen W Kashem, Jérôme Côté, Vera Zeugin, Élie Besserer-Offroy, Jean-Michel Longpré, Éric Marsault et Philippe Sarret
Le professeur Philippe Sarret est également directeur scientifique de l’Institut de pharmacologie de Sherbrooke (IPS) depuis 2013, directeur du Neuropôle et du Thème Neurosciences et douleur de l’Université de Sherbrooke.Le programme de recherche du professeur Philippe Sarret met l’accent sur la découverte de nouvelles classes d’analgésiques non morphiniques pour une prise en charge plus efficace et plus personnalisée de la douleur chronique. Ce programme vise notamment à mieux comprendre le mode de fonctionnement d’une famille de récepteurs membranaires, les récepteurs couplés aux protéines G (RCPG), dans la maîtrise de la douleur.