Enseignement de l'histoire du Québec et du Canada
Refléter la diversité du passé dans la société québécoise contemporaine
Nous vivons dans une société pluraliste en tous genres où de plus en plus d’importance et de place sont données à cette diversité. Bien que la société québécoise se qualifie comme étant inclusive, la professeure Sabrina Moisan s’est questionnée sur la façon dont cela se reflète dans l’enseignement de l’histoire, plus spécifiquement sur l’histoire du Québec et du Canada enseignée au secondaire et à l’université.
L’histoire scolaire, étant encore ancrée dans une version traditionnelle centrée sur la trame politique qui suit l’élite politique masculine et francophone, ne reflète pas toute la diversité du passé et laisse faussement croire à l’existence d’une société plutôt homogène. Or, pour être vraiment pertinente, l’histoire enseignée doit permettre de comprendre la diversité du passé autant que du présent.
L’histoire perd de son utilité et peut même être nuisible pour le vivre-ensemble dans la société contemporaine, si elle est centrée uniquement sur l’expérience du groupe majoritaire. Pour lutter contre la polarisation et promouvoir une pensée complexe, il est nécessaire d’envisager les phénomènes à l’aide de la multiperspectivité.
Sabrina Moisan, professeure à la Faculté d’éducation et spécialiste de la didactique de l’histoire
Agir pour trouver des pistes de solution et sortir d'une impasse
Son projet de recherche La pluralité des expériences historiques dans le passé national et son enseignement : représentations des historiens, des enseignants et des futurs enseignants du secondaire s’est élaboré à la suite des débats très polarisés qui se sont tenus en lien avec le programme d’histoire du Québec et du Canada. Elle cherchait à identifier les obstacles et, surtout, à trouver des voies de passage pour l’enseignement d’une histoire du Québec et du Canada qui soit plus inclusive et plurielle.
Rappelons que deux camps aux positions très fermes s’étaient créés dans le débat public, rendant ainsi impossible toute forme de dialogue.
D’une part se trouvait la position plus nationaliste et conservatrice, qui voulait un programme d’histoire centré sur l’expérience canadienne-française, sans déroger de la trame politique traditionnelle. D’autre part, il y avait le côté des perspectives multiples, qui voulait une histoire plus inclusive, qui donnerait peut-être un portrait plus juste de la diversité des expériences historiques.
« Il y avait également un enjeu sociologique qui est l’inégalité d’accès qu’ont les différents groupes à la représentation de soi dans les discours ou les récits collectifs. Comment se représente-t-on les diversités dans le passé et le présent? Quelles expériences sont privilégiées ou négligées? Pourquoi celles-là et pas d’autres? », souligne-t-elle.
Alors, quelles sont les possibilités et les contraintes pour construire des représentations du passé qui soient plus inclusives?
Les enseignantes et enseignants au cœur de la réponse
Dans le but de voir les nuances pouvant se dégager de ce débat social et avoir un portrait plus juste des postures adoptées, la professeure Moisan et son équipe ont interrogé les actrices et acteurs sur le terrain : des enseignantes et enseignants au secondaire et à l’université qui donnent le cours d’histoire du Québec et du Canada, chacun à leur niveau.
Je cherche à voir ce qui est et ce qui pourrait être, pour faire avancer les connaissances scientifiques à l’égard de la multiperspectivité, mais aussi pour améliorer les pratiques de formation de nos étudiantes et étudiants en enseignement.
Professeure Sabrina Moisan
Malgré le fait que les enseignantes et enseignants au secondaire sont contraints par un cadre ministériel et n’ont pas beaucoup d’espace pour innover, ils trouvent quand même des pistes d’action pour faire plus de place à l’inclusion, car ils enseignent aux élèves issus de la diversité. Ils ont envie de leur fournir un cours d’histoire qui soit pertinent afin qu’elles et ils puissent se retrouver dans cette histoire.
À l’université, ce sont des spécialistes de l’histoire du Québec et du Canada qui connaissent l’histoire de la diversité, qui connaissent les perspectives féministes, autochtones et antiracistes. Ces personnes n’ont pas de programme qui dicte quoi faire ni quels objectifs poursuivre. Elles sont libres de construire un cours synthèse de l’histoire du Québec et du Canada en choisissant ce qu’elles vont y inclure ou non. Toutefois, les cours donnés à l’université semblent eux aussi largement appuyés sur la trame narrative politique traditionnelle, bien que l’approche soit définitivement plus critique et inclusive.
Bien que leur contexte d’enseignement soit très différent, il se dégage une certaine tendance à vouloir faire une histoire inclusive, autant au secondaire qu’à l’université.
Des retombées concrètes pour le vivre-ensemble
Ce projet permet de voir qu’il y a des groupes complètement absents de la représentation de la diversité alors que d’autres sont présents, mais de façon très ambiguë et imprécise. Cela permet de mesurer l’ampleur de l’inégalité d’accès à la représentation de soi des différents groupes qui composent la société, et ce, malgré une volonté réelle de la part des enseignantes et enseignants du secondaire et de l’université de faire mieux à cet égard.
Parallèlement, il permet aussi d’imaginer de nouvelles configurations de ces représentations des différents groupes. « J’ai recensé des exemples concrets de leçons et de grilles de lecture du passé et ça donne des pistes. Ça permet de se dire : bon on a du travail sur ce sujet-là et sur celui-ci, etc. Ça permet d’imaginer de nouvelles façons de faire, à la fois pour la société et pour la communauté scientifique », mentionne la professeure Moisan.
Ses conseils pour les étudiantes et étudiants en recherche
Pour la professeure Moisan, l’enseignement de l’histoire est un outil absolument formidable pour réfléchir à la société sur la longue durée. Les interactions qu’elle a avec ses étudiantes et étudiants sont précieuses, car elles soulèvent d’autres questions de recherche qui permettent de mieux comprendre la société dans laquelle nous vivons.
Le message qu’elle souhaite leur transmettre? « Cultivez votre curiosité et votre imagination. Faites preuve d’empathie envers les autres et vous-mêmes (car la recherche est un chemin sinueux et parfois difficile). Soyez rigoureuses et rigoureux, mais ne vous enfermez pas dans les codes de la recherche qui peuvent êtes paralysants ou stériles », dit-elle les yeux brillants.