Sommets Vol. XVI No 2 - Printemps 2003

SOCIÉTÉ

Un lieu qui leur ressemble, un lieu qui les rassemble

par Sylvie Couture

Le Tazmahal? Les ados connaissent fort bien ce temple de la planche à roulettes, du vélo BMX et du patin à roues alignées de la rue Berri à Montréal qui a dû fermer ses portes en mars 2001 pour faire place à la nouvelle Bibliothèque nationale du Québec. Dehors! les sports de la rue, la musique de la rue, les arts de la rue, les jeunes de la rue...

 


Michel Comeau
Directeur du Tazmahal
Baccalauréat général 1977

 

 

Wow!" Michel Comeau ajoute à cette exclamation une expression d'émerveillement pour imiter les jeunes qui entraient pour la première fois au Taz. Il se limite au langage non verbal pour traduire le mélange de crainte et de stupéfaction de leurs parents. Son visage en dit beaucoup... Imaginez simplement un local de 6700 mètres carrés dont les murs couverts de graffitis vibrent dans un boucan musical ponctué du fracas des roulettes sur les modules de bois, sans oublier les Oh! et les Ah!, signes d'admiration, d'encouragement ou, parfois, de douleurs passagères. "L'ambiance, la musique, le décor, tout était à l'image des jeunes, rappelle le directeur et cofondateur du Taz. C'était un lieu qui leur ressemblait. Notre défi consistait à leur offrir les activités et l'environnement social qu'ils souhaitaient, tout en maintenant un encadrement discret et sécuritaire. Les jeunes étaient contents, leurs parents aussi."

En 1996, le Taz ouvre ses portes dans l'ancien Palais du commerce, à Montréal. Il connaît aussitôt un succès éclatant auprès des jeunes, des écoles, du milieu et des parents. Chaque année, quelque 55 000 personnes vont y faire quelques tours de piste, y affronter une rampe verticale ou une demi-lune, y user les genoux et le fond de leurs culottes. Même sans subvention, le Taz réussit à leur offrir des équipements sportifs de calibre international. Plus encore, sa contribution communautaire et sociale est vite reconnue et saluée par les organismes d'intervention jeunesse, les gouvernements, le milieu scolaire et même les médias.

Après l'annonce en août 1998 de la démolition du Palais du commerce pour faire place à la Bibliothèque nationale du Québec, il s'ensuit une kyrielle de démarches administratives et politiques pour maintenir le Taz en vie. Les solutions tardent, même si la Ville de Montréal offre le bâtiment de l'ancien incinérateur de la rue des Carrières. Le Taz ferme ses portes en mars 2001. Les gouvernements annoncent finalement des subventions pour les rénovations, mais les études environnementales s'ajoutent aux complications. Le Taz est toujours fermé. L'urgence se fait-elle sentir? "C'était urgent il y a trois ans, s'insurge Michel Comeau. On devait faire les rénovations dans le nouveau site avant même de fermer l'ancien. On rêvait!" Convaincu du bien-fondé de son projet, il compte bien aller jusqu'au bout de ce rêve.

Gestionnaire de rêves

Le parcours de Michel Comeau est d'ailleurs parsemé de rêves. "Étudiant dans les années 1970, j'étais déjà en marge des tendances en administration, car je m'intéressais davantage aux PME et aux coopératives qu'à la grande entreprise. Je voulais mieux comprendre les systèmes économiques pour en faire bénéficier les gens et je savais que j'aurais besoin de développer mon côté public pour défendre mes projets. J'ai donc complété ma formation par de la philo et du théâtre", lance-t-il tout sourire. Puis il ajoute : "Dans ma carrière, j'ai toujours été guidé par le cœur, et non par le fric. Tout ça a fait de moi un gestionnaire assez particulier."

Comédien, metteur en scène, directeur de la production, directeur artistique et bien sûr gestionnaire, il travaille une dizaine d'années dans des coopératives de théâtre avant de sauter la clôture pour devenir agent de développement économique et culturel au ministère des Affaires culturelles du Québec. "Comme le milieu culturel aura toujours besoin de subventions pour survivre, je voulais non seulement comprendre comment ça marchait au ministère, mais également y amener le point de vue de quelqu'un du milieu."

Il y reste quatre ans avant d'être pressenti par le Cirque du soleil qui cherchait justement un gestionnaire bien particulier : "Quelqu'un qui comprend la création, qui est capable de gérer le rêve et de l'appliquer à la réalité, cette horrible confrontation qui tue parfois l'artiste." Pendant près de cinq ans, il assume la gestion des ressources humaines et financières du secteur de la création, tout en s'occupant du volet artistique et de l'entraînement des athlètes afin qu'ils deviennent des artistes de scène. C'est aussi au Cirque du soleil qu'il découvre le patin à roues alignées et tombe amoureux d'une maître patineuse issue du monde de la danse moderne. "C'est vrai qu'il se passe des choses extraordinaires au cirque."

Comme sur des roulettes

Tous deux quittent le cirque et fondent une école de patinage à roues alignées avec l'objectif de monter des spectacles avec des professionnels et des élèves talentueux. Pendant qu'ils répètent leurs numéros, quelques jeunes viennent leur parler de leur désir d'avoir un skatepark. Le Taz commence alors à prendre forme. "Mais les banques n'ont pas voulu nous financer. Nous avons donc réduit le budget prévu et investi notre argent." Et beaucoup d'énergie...

De fil en aiguille, de bouche à oreille, le Taz devient un lieu de rassemblement. Les ados y apportent leurs propres CD. Les artistes de la rue y trouvent des murs "légaux" pour réaliser leurs graffitis. "Des œuvres fantastiques!" Les skaters y pratiquent leur sport en toute sécurité. "Les parents veulent savoir où sont leurs enfants, souligne Michel Comeau. Dans la rue, c'est la drogue, la prostitution, les risques d'accidents. Au Taz, il n'y a pas de drogue, pas d'alcool, pas de taxage. L'équipement de protection est obligatoire, et les jeunes s'activent dans un milieu sécuritaire malgré que le skate soit un sport d'action comportant certains risques." Dans leur petit coin bien à eux, encadrés par d'autres jeunes qui se passionnent pour leur sport et sont souvent des modèles, les ados se donnent des objectifs, se dépassent, persévèrent, tombent et se relèvent.

Au Taz, tout va comme sur des roulettes. "Travailler avec des ados, ça peut être l'enfer. Mais si on répond vraiment à leurs besoins, au-delà de ce qu'ils rêvent, on n'aura pas de problèmes. Au Taz, les jeunes étaient continuellement stimulés et se sentaient impliqués. On investissait continuellement, on faisait de nouveaux modules, on changeait le skateboard tous les trois mois. On voulait que le Taz soit le meilleur skatepark à Montréal, et même au monde..." Avec son école, son terrain de planche à roulettes et son roulodôme, le Taz diversifie ses activités et ses sources de revenus et réussit son pari. Même les parents en profitent pour prendre un cours ou pour tout simplement patiner en attendant leurs enfants. "Le Taz s'adresse à tous les ados ...de 7 à 70 ans."

Faire du street

Le Taz est fermé depuis plus de deux ans. "C'est tough, confie Michel Comeau. Nous attendons les résultats des analyses environnementales et nous souhaitons que les gouvernements tiennent leurs promesses afin que nous puissions ouvrir nos portes le plus rapidement possible et offrir encore plus de services aux kids."

Le skate, c'est plus que des roulettes. C'est une culture musicale qui vient du mouvement hip-hop associé à la musique de la rue. Il détient son propre code vestimentaire caractérisé par la chute du fond de culotte, son propre langage truffé de mots anglais et ses propres règles que les adultes ne peuvent pas toujours comprendre mais doivent apprendre à respecter.

En attendant, les kids de Michel Comeau font du street et rêvent encore d'un lieu qui leur ressemble et qui les rassemble.

www.taz.ca

 

Vox pop

Pourquoi devrait-on encourager le sport?

Pour nous permettre d'oublier le quotidien, de nous faire plaisir et de rechercher des défis à notre mesure. Pour apprendre à évaluer les risques, à socialiser, à voyager et à côtoyer des gens qui partagent une même passion. Bref, pour nous amuser.

M. Comeau

 

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