Vampire : mythe ou réalité?
Il ne fait pas que couler du sang; il fait aussi couler de l’encre… Le vampire est un personnage fascinant dont la popularité ne se dément pas, tant en littérature qu’au cinéma. On n’a qu’à penser aux romans comme Les chroniques des vampires d’Anne Rice ou encore aux séries télévisuelles telles que True Blood et Vampire Diaries.
Dès le 18e siècle, la figure notable du vampire apparaît dans la littérature. On retrouve des œuvres marquantes, comme La Fiancée de Corinthe de Goethe en 1797, puis Carmilla de Joseph Sheridan LeFanu en 1872, sans oublier le célèbre roman Dracula de Bram Stocker en 1897.
Mais d’où est né cet engouement? Parmi les documents précurseurs de l’imagerie actuelle du vampire, on retrouve un ouvrage de l’abbé Augustin Calmet paru en 1746 : Dissertations sur les apparitions des anges, des démons et des esprits, et sur les revenants et vampires de Hongrie, de Bohême, de Moravie et de Silésie. Le professeur Nicholas Dion, spécialiste en histoire de la littérature française des 17e et 18e siècles, mène d’ailleurs une recherche sur l’émergence de la figure du vampire en France, à partir de cette œuvre.
Pourquoi l’abbé Augustin Calmet s’est-il intéressé aux vampires?
Dès la fin du 17e siècle, des rumeurs se répandent en Europe occidentale : des personnes seraient revenues à la vie pour terroriser ou tuer des villageois en Istrie (Croatie), Hongrie, Moravie et Serbie. C’était une véritable folie à l’époque. Les gens déterraient les cadavres pour les brûler ou leur couper la tête!
Plusieurs théologiens allemands se penchent alors sur la question : s’agit-il de fantômes? De revenants? De démons? L’abbé Calmet prend le relais dans un traité qui aborde le sujet de manière plus large. Pour lui, l’important est de trancher la question en la replaçant dans un cadre catholique : est-ce que le diable a le pouvoir de ressusciter les morts? Est-ce Dieu qui crée les vampires? Est-ce le résultat de la sorcellerie?
À cette époque, la figure du vampirisme est-elle la même qu’actuellement?
Plusieurs traits sont déjà présents, parfois de manière explicite, parfois de manière latente. Leur caractéristique la plus célèbre, par exemple, qui est de sucer le sang de leurs victimes, est souvent mentionnée, mais on trouve peu de détails sur l’acte lui-même. Ainsi, aucune mention de canines protubérantes, et encore moins rétractables!
En fait, ce qui intrigue Calmet, c’est que les prétendus vampires sont retrouvés dans leur tombe « plein de sang », c’est-à-dire qu’il n’y a pas de rigor mortis et, qu’au contraire, leur sang est vermeil, fluide et si abondant qu’il sort parfois par leurs orifices (les yeux, les oreilles, etc.). Or, l’absence de rigor mortis est perçue à l’époque en France comme un signe de sainteté, la preuve que Dieu protège même le cadavre du saint. On comprend alors pourquoi ces manifestations dérangent Calmet, qui n’a pourtant aucun problème à admettre l’existence de fantômes incorporels.
Autre différence majeure : certains récits se déroulent pendant le jour. Autrement dit, les premiers vampires ne brûlaient pas tous au soleil. Il s’agit là d’un lieu commun des récits d’apparition : lorsque l’histoire se déroule la nuit, on peut toujours objecter que le témoin a mal vu, qu’il était plus ou moins réveillé ou que ses perceptions étaient altérées. Lorsque l’on voit un vampire en plein jour, ce genre d’arguments est plus difficile à soutenir et la preuve semble plus solide.
Il faut préciser que comme Calmet procède en colligeant les récits de diverses sources, et même parfois plusieurs versions différentes d’une même histoire, ses vampires constituent un groupe plutôt hétéroclite. Une bonne partie de l’ouvrage consiste en un chapelet de citations introduites et présentées de manière plus ou moins explicite, d’où l’intérêt littéraire d’en faire une édition critique.
De quelle manière son ouvrage inspire-t-il les futurs auteurs?
La postérité de Calmet est plutôt difficile à cerner, tant les vampires qui apparaissent sous la plume de Polidori ou Stoker sont différents de leurs ancêtres. De plus, la version de 1751 se termine par une réfutation catégorique : Calmet ne croit pas aux vampires. Du moins, il ne croit pas qu’il s’agit de morts revenus à la vie.
Calmet est surtout important pour deux raisons. Tout d’abord, c’est le premier à écrire un long traité sur la question en français. Par ailleurs, son influence est peut-être moins littéraire qu’historique. On sait qu’il a correspondu avec Marie-Thérèse d’Autriche, reine de la Hongrie et de la Bohème à l’époque, et qu’il l’aurait peut-être influencée dans sa décision d’interdire en 1755 l’exhumation des personnes mortes soupçonnées d’être des vampires.