Juristes et chercheurs réfléchissent sur la place des victimes en droit criminel
Elle subit des gestes de violence conjugale épisodiquement depuis des mois. Un soir, elle a cru au pire. Son réflexe a été de composer le 911. La police a arrêté son mari. Quelques semaines ont passé et la justice a suivi son cours. Or, la victime fait volte-face : son témoignage est crucial, mais elle ne veut plus aller en cour, voir son mari condamné, priver les enfants de leur père, et risquer de sombrer dans la pauvreté. Des histoires comme celles-là, les procureurs aux poursuites criminelles et pénales en côtoient souvent. Comment mieux aider les femmes victimes d’actes criminels à obtenir justice? Un panel composé d’une professeure, d’une étudiante et d’une procureure en a discuté sous différents angles, le 3 septembre, lors d’un colloque multidisciplinaire tenu à l’occasion du lancement du nouveau programme de 2e cycle en pratique du droit criminel et pénal de la Faculté de droit.
Protection et confiance
Procureure aux poursuites criminelles et pénales, Joanny Houde-St-Pierre a bien illustré cette réalité des femmes qui se sentent incapables de s’engager dans des procédures criminelles contre un conjoint violent. «Plusieurs victimes vivent sous le joug de leur conjoint, que ce soit économiquement ou socialement, dit-elle. Souvent, on constate qu’elles ont porté plainte dans le seul but que la violence cesse. Mais après coup, la peur d’enclencher un processus qui peut avoir des conséquences sur leur famille les empêche d’aller plus loin.»
Tout en évoquant certaines réticences vécues par les plaignantes, l’avocate diplômée de l’UdeS a expliqué que son objectif au quotidien est double : d’une part il est d’assurer la protection des personnes impliquées, et d’autre part, d’amener les victimes à conserver leur confiance envers le processus criminel. Différentes approches sont ensuite envisagées pour que les procédures puissent avoir lieu.
Le droit évolue, mais les défis demeurent
La professeure Marie-Pierre Robert a de son côté présenté une brève synthèse de l’évolution de la place des femmes victimes dans le droit criminel canadien au cours des dernières décennies, plus particulièrement en matière de violence sexuelle. Plusieurs améliorations ont été apportées tant par des modifications au Code criminel que par la jurisprudence. Ainsi, les infractions de nature sexuelle sont mieux définies aujourd’hui, alors que jusqu’au début des années 1980, par exemple, des accusations de viol n’étaient considérées qu’en dehors de la vie conjugale, et les victimes devaient porter une plainte spontanée au moment des faits. Certains mythes et stéréotypes à l’égard des femmes sont aussi moins présents dans l’analyse de la preuve et les droits de la plaignante sont mieux encadrés.
«Il y a davantage de restrictions quant aux questions sur la vie sexuelle antérieure de la plaignante qui autrefois était parfois évoquée pour soulever des doutes. Aussi, l’accès au dossier personnel d’une plaignante – un journal intime, par exemple – est plus limité et doit être autorisé par un juge», dit-elle.
Malgré cela, a poursuivi Marie-Pierre Robert, des défis sont toujours présents pour encourager les victimes à participer au processus judiciaire. Elle a résumé «l’affaire NS», impliquant une plaignante musulmane qui accusait un oncle et un cousin d’agression sexuelle. L’affaire s’est rendue en Cour suprême du Canada, parce que la plaignante exigeait de témoigner en portant le voile intégral, ce à quoi s’opposait la défense, invoquant le droit des accusés à une défense pleine et entière. «Ici, deux droits fondamentaux étaient en opposition, celui de la liberté de religion (de la victime) et le droit à un procès équitable pour les accusés, dit la professeure. La Cour suprême a refusé de hiérarchiser les droits et a plutôt rendu un jugement qui appelle à évaluer ces situations au cas par cas.»
L’exemple de la Cour pénale internationale
Pour favoriser l’accès à la justice pour les victimes, des solutions peuvent-elles être inspirées par l’expérience internationale? Une piste a été présentée par Sarah Koenig, étudiante à la maîtrise. Celle-ci a présenté le fonctionnement de la Cour pénale internationale qui a donné une voix importante aux victimes, à l’occasion des procès pour crimes de guerre, survenus notamment au Congo. Ainsi, des mécanismes ont été prévus pour une participation des victimes «à presque tous les stades de la procédure, et ce, jusqu’aux réparations. Elle participe au stade de l’enquête sur la situation, à l’audience de confirmation des charges et au procès», dit-elle.
Cette approche a engendré plusieurs bénéfices. L’implication des plaignantes les aiderait à se sortir de leur statut de victimes et les amènerait à dépasser l’esprit de vengeance, tout en contribuant à la manifestation de la vérité dans une optique de réconciliation nationale.
Y aurait-il lieu d’importer cette idée pour améliorer l’accès à la justice chez nous? La question est venue du professeur Simon Roy, co-organisateur du colloque. La professeure Robert a répondu de manière prudente à cette question à la fin de la rencontre : «Ce que nous apprend cette expérience de la Cour pénale internationale, c’est qu’on peut faire beaucoup plus, mais qu’il faut composer avec les limites, comme le temps de la cour et les moyens dont elle dispose. En droit canadien, l’idée que la victime puisse avoir son propre avocat est déjà discutée; la possibilité pour la victime d’avoir accès à davantage d’information, qu’elle puisse intervenir à un titre différent, qui soit complémentaire à celle de la couronne, ce sont des questions complexes qu’on peut se poser. Sans donner d’opinion, ce que ça nous dit, c’est qu’on peut envisager les choses différemment», a-t-elle conclu.