Accueil des réfugiés : guérir les blessures invisibles
On n’y pense pas, mais chaque jour des milliers de personnes doivent quitter leur pays pour chercher un refuge ailleurs. Certains vont fuir la guerre ou des conflits civils, d’autres sont confrontés à l’oppression politique ou vivent dans des conditions où leur simple subsistance est incertaine. Quitter ou fuir n’étouffe pas toute la souffrance accumulée. Bien au contraire… Comment faire face aux défis inhérents à la migration lorsque ceux-ci sont jumelés à des traumatismes importants auxquels les personnes immigrantes ou réfugiées ont pu être exposées? Encore plus, comment celles-ci peuvent-elles bien s’intégrer lorsque l’aide offerte ne tient pas compte des variables culturelles?
Chaque année, la Ville de Sherbrooke accueille entre 800 et 1000 réfugiés. De ce nombre, environ 60 % ont été exposés de façon directe ou indirecte à des traumatismes sévères tels que la torture physique et psychologique, des agressions physiques et sexuelles et la disparition ou la mort violente de proches.
À première vue, on pourrait croire qu’une multitude de services en soutien psychologique sont offerts dans nos institutions de santé publiques pour accompagner cette clientèle. Malgré les difficultés rencontrées à l’arrivée et les séquelles psychologiques présentes, les personnes immigrantes et réfugiées utilisent peu les services d’aide psychologique offerts par les institutions. «Est-ce parce qu’elles connaissent peu les services ou tout simplement parce que nos méthodes traditionnelles d’intervention ne leur conviennent tout simplement pas?» s’interroge Maryse Benoit, professeure au Département de psychologie de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Sherbrooke.
Un projet qui donne du sens
En collaboration avec des intervenants du CSSS-IUSG de Sherbrooke et une équipe de recherche, la professeure Benoit travaille au développement d’un programme d’intervention adapté aux besoins de la clientèle immigrante et réfugiée. Pour apprivoiser l’émotion sans entrer directement dans les détails du traumatisme, l’intervention se fait en groupe et propose différentes techniques d’expression non verbale telles que la thérapie par l’art.
«Pour un Occidental, la thérapie conventionnelle qui encourage la prise de contact et l’expression verbale des émotions répond souvent très bien aux besoins de traitement des traumatismes, dit-elle. Mais pour un Cambodgien pour qui il est mal vu dans sa culture d’évoquer en dehors de la famille ce qui est personnel ou pour un Africain pour qui l’expression des émotions passe souvent par le corps et le mouvement (danse), la thérapie conventionnelle peut être dénuée de sens. D’ailleurs, pour plusieurs cultures, le dévoilement d’une souffrance personnelle est tabou, encore plus dans un rapport “un à un”. Si nous ajoutons à cela la honte et l’intensité des émotions que ces personnes peuvent ressentir face aux sévices qu’elles ont subis, les exposer à nouveau à leurs souvenirs pourrait avoir un effet re-traumatisant.»
Un métissage d’approches pour exprimer son vécu
C’est à la suite d’un besoin identifié par une intervenante dans le quartier Ascot à Sherbrooke qu’un projet-pilote a été mis en place en 2010 avec une dizaine de femmes africaines qui ont vécu des traumatismes dans des camps de réfugiés.
«Pour rejoindre la réalité de ces femmes, nous avons utilisé différentes techniques d’intervention et des outils comme l’art-thérapie pour s’exprimer autrement, le génogramme pour retrouver ses repères familiaux et identitaires, ainsi que la psychoéducation pour normaliser son expérience et pratiquer des techniques de régulation émotionnelle (relaxation, respiration, etc.), dit la professeure Benoit. Leurs réponses très positives à l’art-thérapie nous a amenés à revoir notre intervention en ajoutant davantage d’activités en ce sens.»
L’art : une entrée remarquable sur les émotions
«L’art est effectivement une porte d’entrée intéressante sur les émotions. Il permet à une personne de s’exprimer sans avoir à mettre des mots, sans avoir à parler de ce qu’elle a subi; c’est par le biais de la création que le vécu est exprimé. Le participant peut exprimer symboliquement l’horreur et la souffrance tout en maintenant une distance sécurisante avec son expérience», explique la professeure.
«Même si au départ les participantes pouvaient trouver infantile de dessiner rapidement, elles se sont senties interpelées», ajoute-t-elle. Pour des personnes en perte de repères identitaires, l’art peut aider à créer un pont entre leur culture d’origine et la culture d’accueil. L’art permet aussi un langage alternatif qui peut pallier les barrières linguistiques et fournir un tout autre canal de communication. «Après tout, l’art, c’est international, cela transcende toutes les cultures», dit la chercheuse.
Le génogramme est aussi un outil précieux pour intervenir auprès de réfugiés. Utilisé comme un arbre généalogique, il permet au participant d’établir son réseau d’appartenance familiale et de se positionner dans cette structure. Ceci peut aider une personne qui a perdu tous ses repères à reprendre contact avec son histoire, avec et au-delà des traumatismes vécus. Souvent sans nouvelles de ses proches et sans souvenirs auxquels se rattacher (photos, etc.), une personne peut, grâce au génogramme, se raconter, se voir dans le temps, recréer le fil avec le passé.
Bref, cette variété d’interventions offre un éventail plus large de possibilités d’expression qui permet de répondre plus facilement aux variables culturelles ainsi qu’aux besoins et aux modes d’expression de chaque personne.
Des résultats positifs à partager
Face aux retombées positives de cette intervention ainsi qu’à la nécessité d’offrir des services adaptés, la professeure Maryse Benoit et son équipe de recherche travaillent depuis mars à documenter le processus d’intervention auprès de la clientèle réfugiée. «Nous voulons étendre ce type d’intervention et nous souhaitons aussi outiller les intervenants dans leur travail auprès de cette clientèle, mentionne la professeure. C’est pourquoi nous avons créé un deuxième groupe de participantes issues de diverses nationalités. Le défi était de taille compte tenu de la barrière linguistique, mais l’intervention a porté fruit. Nous préparons également une intervention auprès d’un groupe d’hommes réfugiés.
«Pour le moment, nous ne pouvons pas encore dire quel est l’impact réel sur l’intégration de ces femmes dans leur nouveau milieu de vie; c’est ce que nous tentons de documenter, dit la professeure. Mais l’impact sur leur bien-être est positif. Les participantes nous ont dit avoir apprécié l’effet sécurisant du groupe pour partager leur vécu. Des liens informels d’entraide se sont même créés. Certaines participantes nous ont aussi mentionné une diminution de symptômes de stress post-traumatique comme l’insomnie, les cauchemars, etc.»
Les chercheurs ont aussi noté que depuis leur expérience, ces femmes se sentaient plus encadrées et épaulées dans leur intégration à la société d’accueil et qu’elles avaient une plus grande ouverture à utiliser les services de santé disponibles.
Pour une ville comme Sherbrooke qui reçoit près de 40 % du nombre total de réfugiés accueillis par le Québec, ce projet de recherche contribue grandement à faire face aux défis que représente l’immigration pour la communauté.