Faire de l’écrit un levier à l’apprentissage
Le professeure Christiane Blaser, de la Faculté d’éducation, scrute le rapport à l’écrit des futurs enseignants et enseignantes
À l’école, la transmission de la connaissance repose principalement sur la lecture et l’écriture. Les élèves qui peinent à rédiger ou à comprendre les textes qu’ils ont à lire risquent, bien souvent, de voir leur réussite scolaire compromise. Partant de ce constat, la professeure Christiane Blaser et ses collaborateurs mènent des recherches pour mieux connaître le rapport à l’écrit des futurs enseignants et enseignantes au secondaire. Selon elle, plusieurs d’entre eux auraient avantage à reconnaître et à mieux comprendre comment l’écrit favorise la transmission du savoir, quelle que soit la discipline enseignée. Elle propose d’outiller ces personnes pour qu’elles puissent faire de l’écrit un levier à l’apprentissage, et non un frein.
Au delà de la classe de français
Christiane Blaser enseigne aux futurs enseignants du secondaire. L’un de ses cours a pour titre Communication écrite à l'école et réussite scolaire. La professeure constate que, dans les écoles secondaires, l’apprentissage de la langue est encore l’apanage des profs de français. «Ceux qui enseignent dans les autres disciplines se sentent moins investis d’un rôle où ils doivent apprendre à leurs élèves à lire et à produire des écrits spécifiques à leurs disciplines respectives, dit-elle. Ils tiennent pour acquis que l’élève sait écrire ou qu’il doit l’apprendre en classe de français.»
Aussi, la réussite globale des élèves est souvent associée à leur aisance avec la langue, et ce, dès le primaire. «Très jeunes, les écoliers qui ont de la facilité à lire et à écrire sont perçus comme de "bons" élèves; comme s’ils avaient un talent particulier ou un don», dit Christiane Blaser. En revanche, pour les élèves qui ont moins d’aisance – réelle ou perçue – à lire et à écrire, la scolarité peut devenir une véritable galère puisque ces difficultés se répercutent dans l’ensemble des cours. «Un jeune qui est convaincu d’être nul en français sera peu disposé à rédiger une dissertation en histoire ou à décrire une réaction chimique», dit-elle.
Christiane Blaser rappelle que les enseignantes et enseignants de toutes les disciplines devraient jouer un rôle pour faire de l’écrit un moyen de construire des connaissances. «Pourtant, on constate que les enseignants des autres disciplines sont un peu démunis lorsqu’ils doivent encadrer des élèves à produire des écrits disciplinaires et à leur donner des consignes précises pour réaliser cette tâche», explique-t-elle.
«Pour moi, écrire c’est…»
Dans le cadre de la recherche Le rapport à l'écrit des enseignants : un levier essentiel dans le développement de la compétence à écrire des élèves, la professeure Blaser collabore avec ses collègues Chantale Beaucher, Olivier Dezutter et Frédéric Saussez, de la Faculté d’éducation, ainsi que Mathieu Bouhon, de l’Université catholique de Louvain-la-Neuve en Belgique. La consultation des chercheurs s’est effectuée auprès de quelques centaines d’étudiantes et d’étudiants en formation à l’enseignement.
L’analyse s’effectuait auprès de deux groupes d’étudiants universitaires. D’une part, ceux qui poursuivent un baccalauréat en enseignement au secondaire ou en enseignement de l’anglais langue seconde (BES-BEALS), et d’autre part, ceux qui étudient au baccalauréat en enseignement professionnel (BEP).
D’abord, un questionnaire détaillé leur a été soumis et les amenaient à préciser comment s’intègre l’écrit dans leur parcours. Les étudiants devaient dès le départ compléter l’expression «Pour moi, écrire c’est…» en y ajoutant cinq mots ou courtes expressions. Ensuite, ils avaient à répondre à une série de questions liées aux écrits qu’ils ont eu à produire à l’université. D’autres parties du sondage les amenaient à estimer certains sentiments ressentis dans le geste d’écrire : c’était «agréable»; «difficile»; «libérateur»; «angoissant», etc. Finalement, une série de questions portaient sur la nature du savoir dans le champ disciplinaire des étudiantes et étudiants. Ce questionnaire a été administré à différents moments de la formation des maîtres, afin de voir comment se modifie le rapport à l’écrit des étudiants.
Globalement, un élément retient l’attention de Christiane Blaser. Beaucoup d’étudiants semblent peu conscients de l’importance de l’écrit sur le plan «épistémique», c’est-à-dire jusqu’à quel point l’écrit est l’un des moyens essentiels à la construction de la connaissance. Autre élément marquant : le témoignage de certains étudiants du BEP a montré à quel point les difficultés en français pouvaient avoir une incidence majeure sur le parcours scolaire des élèves et leur vie professionnelle par la suite.
Des sondages révélateurs
Au cours de l’étude, il est apparu que le rapport à l’écrit des étudiants du BEP était sensiblement différent de celui de leurs condisciples du BES. Les étudiants du BEP sont généralement des personnes qui ont choisi d’étudier dans un cheminement professionnel au secondaire pour exercer un métier, comme la plomberie ou la coiffure, par exemple. Ils sont plus tard devenus enseignants dans des programmes secondaires professionnels et ont choisi de faire un baccalauréat en enseignement.
«Les questionnaires et les entrevues réalisées auprès des étudiants au BEP montrent que, pour plusieurs d’entre eux, le rapport à l’écrit était difficile à l’école, explique la professeure. Le français n’était pas leur matière forte, et ils avaient des difficultés de grammaire et de syntaxe. Lire et écrire dans les autres cours n’était pas naturel et, pour plusieurs, ce facteur aurait été déterminant dans leur choix de carrière. Ils n’avaient pas le sentiment que leur place était à l’école. Étant maintenant à l’université, ils découvrent de nouvelles façons de s’approprier la langue. Ils voient que, finalement, ils ne sont pas si mauvais à l’écrit et qu’ils peuvent y trouver leur compte pour bonifier leur enseignement.»
Outiller les personnes enseignantes
Les résultats définitifs de cette recherche seront disponibles d’ici l’an prochain. Mais déjà, pour Christiane Blaser, on trouve dans l’étude de bonnes indications sur l’importance d’outiller les futurs enseignants pour les amener à mieux accompagner leurs élèves afin que l’écrit favorise l’appropriation des connaissances.
«Des recherches préalables que j’ai faites dans le cadre de mon doctorat ont permis de montrer que plus un enseignant se sent à l’aise dans son rapport à l’écrit, plus il va être en mesure d’encadrer les écrits dans sa classe et de favoriser ainsi l’appropriation des apprentissages des élèves, dit Christiane Blaser. Quand on est soi-même un scripteur habile, on l’a expérimenté, on le sait : l’écriture permet de se distancier de sa propre pensée pour mieux la structurer, voire la critiquer, et pour décortiquer les concepts qui nous sont présentés afin de mieux se les approprier. Toutefois, pour comprendre cette fonction essentielle de l’écriture, il est nécessaire d’avoir éprouvé la sensation d’apprendre grâce à l’écrit, et cela plusieurs fois durant sa scolarité; or ce n’est pas en copiant des lignes d’un manuel qu’on expérimente cela. Ainsi, sachant l’influence de l’écriture dans l’appropriation des savoirs, essayons d’agir sur la construction et le développement du rapport à l’écrit durant la formation des maîtres; tentons de rendre nos futurs enseignants conscients du rôle de l’écrit dans l’apprentissage», propose-t-elle.
Christiane Blaser ajoute qu’une meilleure appropriation des écrits doit s’opérer en fonction des spécificités de chacune des disciplines afin que l’apprentissage du français devienne réellement une responsabilité partagée de l’ensemble du corps enseignant, comme le prône la réforme de l’éducation.