Une étude menée pour l'Union des écrivaines et des écrivains québécois
Littérature québécoise : où en est l'égalité hommes-femmes?
Sur 805 manuscrits reçus par neufs éditeurs québécois en 2018, près de la moitié (48,9 %) ont été soumis par des femmes, mais ces mêmes éditeurs n’ont publié que 37 % de manuscrits signés par des femmes en 2017-2018.
Et bien que les écrivaines aient obtenu 57 % des bourses à la création des conseils des arts du Canada et du Québec en 2017-2018, celles-ci ont dû se contenter de montants moins élevés : 6 627 $ pour les femmes contre 9 419 $ pour les hommes en moyenne au Conseil des arts et des lettres du Québec, 13 163 $ pour les femmes contre 17 005 $ pour les hommes en moyenne au Conseil des arts du Canada.
Ces données proviennent d’une recherche inédite menée pour le Comité Égalité hommes-femmes de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) par la doctorante en études littéraires et culturelles, Charlotte Comtois, supervisée par Isabelle Boisclair, professeure à l’Université de Sherbrooke. Cette étude a reçu l’appui financier du Réseau québécois en études féministes (RéQEF).
Un boys club
Le Comité Égalité hommes-femmes de l’UNEQ a vu le jour en 2016. Son mandat est de se pencher sur les inégalités entre les hommes et les femmes dans le secteur du livre. Ces inégalités étant le produit de rapports sociaux dans un secteur d’activité historiquement dominé par les hommes, elles ont forgé, sur un long terme, un biais de perception avantageant les hommes et ce qui est considéré comme masculin par la culture, tout en dévaluant les femmes et ce qui est considéré comme féminin. On peut alors parler de la perpétuation d’un boys club au sein duquel les femmes doivent se tailler une place.
À ce propos, une étude menée en 2008 avait démontré que 54 % des personnes travaillant dans l’édition québécoise sont des femmes, mais qu’elles n’occupaient des fonctions de cadre que pour 11 % d’entre elles, contre 22 % pour les hommes.
Égales au départ, défavorisées à l’arrivée
L’étude réalisée pour le Comité Égalité hommes-femmes de l’UNEQ permet de constater – outre la discrimination subie par les femmes à l’étape de la sélection éditoriale, dans l’octroi de bourses et de prix littéraires – un biais de perception lors de la réception critique des œuvres. À partir des critiques littéraires publiées entre septembre 2017 et mai 2018 dans Le Devoir, La Presse+ ainsi que les revues Lettres québécoises et Nuit blanche, on constate que les femmes voient leurs ouvrages recensés dans une proportion 20 % moins élevée que les hommes. Une analyse qualitative démontre également que les hommes sont nettement favorisés : par exemple, pour commenter leurs œuvres, les critiques utilisent encore souvent un lexique stéréotypé du féminin (« sensible », « juste », « délicat »).
En somme, si les femmes soumettent environ la moitié des manuscrits (en phase avec leur poids proportionnel dans la population), la publication, après sélection des manuscrits, brise cette égalité. Tous genres confondus, les chiffres indiquent qu’une proportion plus grande de textes soumis par des hommes sera retenue pour publication.
Puis la discrimination se poursuit à l’étape des demandes de bourses à la création, car plus un individu publie, meilleures sont ses chances d’obtenir des bourses qui lui permettront de publier davantage. Et le même phénomène se répète en regard des prix littéraires.
Enfin, les œuvres des femmes sont nettement moins recensées que celles des hommes, la différence de traitement perdurant sous la plume des critiques : alors que les hommes critiques offrent une visibilité plus importante aux œuvres de leurs pairs (63,8 % des articles écrits par un homme), les femmes critiques sont beaucoup plus équitables (46,2 % des articles concernent des œuvres écrites par des femmes, et 47,9 %, des œuvres écrites par des hommes).