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Recherche interdisciplinaire

L’Everest pour faire perdre de l’altitude à l’âgisme

Une des quatre participantes aînées lors d'un entraînement d'équipe à Orford le 20 octobre
Une des quatre participantes aînées lors d'un entraînement d'équipe à Orford le 20 octobre
Photo : Fournie

Vieillir, et alors? Arrêtons d’en faire une montagne! C’est le message que veut transmettre une équipe de recherche dans le cadre d’une étude interdisciplinaire inédite qui la mènera à la rencontre du plus haut sommet du monde avec quatre aînées.

Promouvoir une vision positive du vieillissement : tel est l’objectif de cette recherche-action qui s’intéresse aux aptitudes physiques et cognitives des personnes vieillissantes, mais aussi – et surtout – à leur capacité d’adaptation aux expériences nouvelles et aux défis.

La société a tendance à surprotéger les personnes vieillissantes. C’est fait avec bienveillance, mais le message que ça envoie, c’est que, quand on vieillit, on n’est plus capable de rien. Avec ce projet, nous voulons provoquer un changement d’attitude.

Eléonor Riesco, chercheuse principale

Eléonor Riesco est professeure à la Faculté des sciences de l’activité physique de l’UdeS. Elle est également chercheuse au Centre de recherche sur le vieillissement du CIUSSSS de l’Estrie - CHUS et en assure la codirection.
Eléonor Riesco est professeure à la Faculté des sciences de l’activité physique de l’UdeS. Elle est également chercheuse au Centre de recherche sur le vieillissement du CIUSSSS de l’Estrie - CHUS et en assure la codirection.
Photo : Mathieu Lanthier - UdeS

Accompagnée de personnes spécialistes issues de différents domaines, l'équipe s’envolera ainsi vers le Népal le 1er novembre prochain dans l’objectif d’atteindre le camp de base de l’Everest situé à 5364 mètres d’altitude, avec quatre aînées de plus de 65 ans, afin d’évaluer leur résilience sur les plans physiologique, psychologique, social et culturel.

Elles font régulièrement de la randonnée, mais ce ne sont pas des athlètes. Nous voulions des personnes qui se situent dans la normale statistique.

Benoît Côté, cochercheur

Le groupe sera accompagné de deux médecins spécialisés en réponse physiologique à la haute altitude, d’un infirmier et d’un sherpa népalais.

Une étude de haute voltige

Durant les dix jours d’ascension, l’état physiologique des quatre participantes sera mesuré à l’aide d’appareils et de tests. Les données qui seront relevées comprennent entre autres l’activité cardiaque, la capacité pulmonaire et les fonctions cognitives. Pour se préparer, les participantes ont suivi un entraînement qui, en excluant l’effet d’hypoxie ressenti en haute montagne, est plus exigeant que ce qui les attend à l’Everest.

La vie de groupe et le dépaysement seront aussi documentés pour mesurer la capacité d’adaptation culturelle des quatre participantes. Celles-ci participeront à trois entrevues individuelles et auront l’occasion d’enregistrer un journal de bord audio tous les jours.

L'investissement de l'équipe de recherche est tel que celle-ci va jusqu'à participer aux entraînements, qui comprennent notamment des randonnées. Sur la photo, le professeur Benoît Côté et une participante aînée.
L'investissement de l'équipe de recherche est tel que celle-ci va jusqu'à participer aux entraînements, qui comprennent notamment des randonnées. Sur la photo, le professeur Benoît Côté et une participante aînée.
Photo : Fournie

« Le volet expérientiel de l’étude comporte une rencontre interculturelle à 3600 mètres d’altitude, animée par Tashi Sherpa, une précieuse collaboratrice, et quatre personnes aînées népalaises, explique le professeur Côté. Nous voulons faire une activité de coconstruction, comme cuisiner un repas. L’idée est d’aller à la rencontre de l’autre. »

L’instigatrice du projet, la professeure Riesco, explique comment l’adaptation culturelle est devenue le point central de l’étude : « Au début, Benoît devait simplement nous offrir une formation avant le départ sur l’adaptation culturelle. Puis, au fil de nos échanges, j’ai compris que le plus important, c’est le récit que feront les participantes de cette expérience. Les données physiologiques viennent finalement appuyer la preuve que les personnes aînées peuvent s'adapter sur tous les plans. »

C’est d’ailleurs ainsi que le professeur Côté s’est greffé à l’expédition. « Nos expertises forment une belle complémentarité. C’est un beau projet. Et de pouvoir vaincre des préjugés, je trouve ça très important. »

Par ailleurs, l’équipe est bien consciente que le projet se veut exploratoire et qu’elle devra jongler avec l’inconnu. « Notre plus grande menace demeure le mal aigu des montagnes », fait savoir la chercheuse, en précisant que cette condition n’est pas liée à l’âge. « Les participantes ne sont pas plus à risque que nous. »

Parce que la vie ne s’arrête pas à 65 ans

En plus de documenter l’effet de la haute altitude sur des personnes aînées, cette étude servira d’outil pour contrer l’âgisme.

Une personne âgée, ce n’est pas juste une personne vulnérable. On veut montrer qu'il y a autre chose.

Benoît Côté, cochercheur

Benoît Côté est professeur au Département de psychologie à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’UdeS. Il est psychologue des relations humaines et spécialiste de la psychologie interculturelle.
Benoît Côté est professeur au Département de psychologie à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’UdeS. Il est psychologue des relations humaines et spécialiste de la psychologie interculturelle.
Photo : UdeS

La professeure Riesco souhaite pour sa part amorcer un changement dans le mode de pensée des personnes vieillissantes : « Les préjugés sur le vieillissement affectent la perspective de la personne aînée, ce qu’elle fait, comment elle se sent et comment elle se perçoit. Avec le temps, elle intériorise ces préjugés et croit ce que la société dit qu’elle est. »

Bien que le voyage leur fera vivre de multiples inconforts, en raison notamment du froid et de la raréfaction de l’oxygène, les participantes se considèrent chanceuses de pouvoir vivre cette expérience.

J’ai toujours aimé l’Everest, j’ai beaucoup lu sur le sujet! Mais j’avais l’impression que c’était irréalisable comme projet. De pouvoir y aller, c’est comme un rêve! Ce sera mon pèlerinage.

Jocelyne

Jocelyne, une participante aînée qui prendra part à l'expédition en novembre
Jocelyne, une participante aînée qui prendra part à l'expédition en novembre
Photo : Fournie

L’Everest, c’est gros, mais nous serons bien entourées, alors je sais que ce sera sécuritaire. J’y fêterai d’ailleurs mon anniversaire. Mes petits-enfants me trouvent super cool!

Réjeanne

Suivant un programme d’entraînement depuis le mois de juin, les participantes sentent déjà une transformation s’opérer en elles. « De voir comment l’équipe croit en nous, ça nous donne une assurance que nous ne pensions pas avoir », confie Jocelyne.

Balado et conférences

Le retour au bercail ne signera pas la fin du projet, au contraire : les données récoltées serviront de base pour élaborer divers outils de sensibilisation. « On réfléchit à la possibilité de faire un balado, mais aussi des conférences dans les écoles, parce que les préjugés sur le vieillissement sont ancrés dès le plus jeune âge », explique la professeure Riesco.

Ce volet pourra être mieux défini une fois l’expédition terminée le 22 novembre.

L’étude Expédition en haute altitude : quand vieillir rime avec dépassement de soi, dirigée par Eléonor Riesco, a vu naître des collaborations essentielles, dont celle de Caroline Francoeur (LIPPA) et Jacinthe Richard (cochercheuse citoyenne; Association du Québec à Compostelle), qui ont aidé au recrutement des participantes ainsi qu’à bâtir le projet, et Tashi Sherpa, responsable de l’animation culturelle durant l’expédition.

L’étude compte aussi sur la contribution de cochercheuses et cochercheurs : Benoît Côté, qui s'occupe du volet culturelle du projet; Mélanie Levasseur, pour son expertise en participation sociale; Warner Mampuya, qui a réalisé tous les tests à l’effort; Andrée-Anne Parent (UQAR), physiologiste de l’exercice se spécialisant dans la réponse à l’effort en contexte extrême; les médecins Marie-Kristelle Ross et Rob Casserley, qui coordonnent toute la logistique liée à l’ascension; et Félix-Antoine Savoie (UQAR et axe « géroscience » au CdRV), expert en neuroscience.

L’équipe a également été soutenue par le kinésiologue Hugo Parent-Roberge, qui agit aussi à titre de coordonnateur pour la Chaire de recherche pour un vieillissement.