Marketing et développement durable
Rester écolo en pleine inflation, une question de coûts et bénéfices
Inflation, relents de pandémie, risques de récession, en pareil contexte économique, nos bonnes intentions écoresponsables ont-elles pris le bord? Cette sobriété forcée qui nous fait courir les aubaines et restreindre les achats a-t-elle une bonne ou une mauvaise influence sur nos comportements de consommation responsable?
La professeure Caroline Boivin enseigne le « marketing vert » à l’École de gestion de l’UdeS et collabore à l’Observatoire de la consommation responsable depuis sa création à l’UdeS en 2010. Elle est aussi coauteure du Baromètre de la consommation responsable, qui dresse chaque année le portrait de la consommation responsable au Québec et des tendances à surveiller. La spécialiste nous explique qu’en matière de consommation responsable, les comportements sont souvent dictés par une recherche d’équilibre entre les bénéfices pour la planète et les bénéfices plus personnels.
« On a souvent l’impression que les motivations qui sont derrière la consommation responsable doivent être nobles. Qu’il faut le faire pour les bonnes raisons, pour l’environnement, qu’il faut s’oublier et penser à la planète, au bien commun. Mais dans les faits, les différents comportements qu’on pourrait qualifier de responsables peuvent être motivés par des bénéfices personnels. »
Bon pour la planète, bon pour moi, bon pour mon portefeuille
Pour un ménage à faible revenu, on conçoit facilement que la planète n’est peut-être pas la première préoccupation présentement. Mais pour Caroline Boivin, si on réussit à mettre en valeur des bénéfices personnels, comme la santé et les économies potentielles, on a beaucoup plus de chance que le comportement responsable soit adopté. « Par exemple, si on veut réduire l’achat de viande rouge, il y a des substituts de viande qui sont plus chers que la viande rouge, mais il y a aussi d’autres choix comme les légumineuses, qui coûtent moins cher. Donc, dans une même catégorie, il y a des options qui font faire des économies et qui peuvent aussi être meilleures pour la santé. »
Il y a beaucoup de produits verts qui répondent à ces critères, selon la professeure Boivin.
Miser seulement sur la bonne conscience ne fait pas bouger les choses.
Certes il y a une petite partie de la population pour qui la santé de la planète est le premier critère de consommation ou de non-consommation, et heureusement il y a de plus en plus de gens dans cette catégorie. Toutefois, pour monsieur et madame Tout-le-monde, la mise en œuvre des principes écoresponsables n’est pas toujours simple. « Éliminer le plastique, acheter une voiture électrique, acheter en vrac, il faut être convaincu », reconnaît la professeure Boivin.
Mais quand on élimine les freins ou les obstacles et qu’on combine des bénéfices pour la planète avec ceux plus personnels, on a plus de chances que le comportement s’impose dans les habitudes des gens.
Donc, Professeure Boivin, l’inflation, c’est bon pour l’environnement?
« On peut condamner et dire que le manque d’argent n’est pas une bonne motivation. Moi, j’ai plutôt tendance à dire tant mieux s’il y a d’autres raisons. Personne n’est contre la vertu, contre l’environnement, contre le bien commun, sauf que souvent on n’est pas prêt à faire des compromis. Il y a des situations qui nous incitent davantage à poser des gestes que la seule motivation responsable. »
Ce qu’on espère, c’est qu’une fois qu’on a pris de nouvelles habitudes, elles vont rester.
Voir autrement le « méchant » marketing
Dans son cours de 2e cycle sur le marketing vert, la professeure Boivin enseigne à ses étudiantes et étudiants à comprendre les comportements des consommateurs, puis à utiliser les bonnes stratégies de mise en marché des produits pour les aider à adopter des comportements plus verts.
Comment travaillent les gens de marketing avec ce besoin des consommateurs de faire des économies? « Quand on parle de marketing, on a toujours l’impression qu’on parle d’inciter à faire des achats. La consommation, c’est aussi de réduire sa consommation, de consommer autrement, de se questionner sur ses réels besoins. »
Dans sa classe, Caroline Boivin ne fait pas la morale à ceux et celles qui n’ont pas trop la fibre verte. « Certains font de gros efforts, d’autres se rendent compte qu’ils n’ont pas eu cette éducation. Ils prennent conscience qu’il y a différentes manières d’ajuster leurs comportements, de trouver des solutions mitoyennes. »
La graine est semée.
Ces jeunes spécialistes de marketing observent les comportements et tentent de comprendre pourquoi les consommateurs en adoptent certains et d’autres pas. L’objectif de Caroline Boivin, c’est d’aider les entreprises dans la mise en marché de leurs produits verts. « Si on veut favoriser l’adoption de produits verts, il faut savoir quelles sont les cordes sensibles des gens. Enlevons nos lunettes roses et arrêtons de penser que les produits verts vont se vendre tout seuls. »
Il y a beaucoup de choses à faire pour les gens de marketing dans ce virage nécessaire.
En somme, former la relève en marketing, c’est aussi former des citoyens et citoyennes qui ont pris conscience de leurs comportements, des agents et agentes de multiplication qui aident les entreprises vertes ainsi que les entreprises traditionnelles qui veulent faire ce virage. « C’est comme ça que je vois la contribution du marketing. »
Ce que nous dit le Baromètre
Ce que nous apprend le Baromètre de la consommation responsable 2022, c’est que le niveau de consommation n’a pas tellement faibli malgré le contexte économique. « Si tout le monde avait réduit sa consommation, il n’y aurait pas autant d’inflation… », observe Caroline Boivin.
En progression durant la pandémie, la tendance à favoriser l’achat local et les petits commerces demeure, mais n’a pas poursuivi sa montée. Par ailleurs, beaucoup de personnes, surtout celles plus « stressées » financièrement, ont réduit les achats impulsifs et adopté de nouveaux comportements comme l’achat de biens d’occasion et la consommation collaborative.
En 2022, pour les Québécois et Québécoises, la consommation responsable consistait avant tout à mieux consommer : optimiser sa consommation pour éviter le gaspillage, les déchets et les emballages, et faire durer les biens en les réparant, en les réutilisant, en les partageant.
Qu’est-ce que c’est un produit vert?
C’est un produit qui, par rapport à un produit traditionnel ou comparable, aura un impact moindre sur l’environnement, pour de multiples raisons. Ce qui ne signifie pas que ce produit n’a aucun impact négatif sur l’environnement, qu’il ne peut pas être nocif, qu’on ne pourrait pas trouver quelque chose de mieux. Les véhicules électriques en sont un bon exemple en raison de leur utilisation de métaux rares, de la disposition des batteries, etc.
L’Observatoire de la consommation responsable
Fondé à l’École de gestion de l’UdeS en 2010 par la professeure Caroline Boivin (UdeS) et le professeur Fabien Durif (maintenant à l’École des sciences de la gestion de l'UQAM) et le professeur Jean Roy (UdeS), l’Observatoire de la consommation responsable est une cellule d’études et de veille stratégique axée sur la recherche-innovation et le transfert de connaissances dans le domaine de la consommation responsable. L’Observatoire publie chaque année le Baromètre de la consommation responsable, le résultat d’une enquête pour décrypter les attentes, les sensibilités et les comportements des citoyens en matière de consommation responsable et de responsabilité des marques et des organisations. Cette recherche permet de mesurer les comportements qui s’ancrent dans les habitudes et de suivre les nouvelles tendances de consommation.