Découverte en biologie
Lumière sur le mystère de l’immunité végétale
La bactérie Pseudomonas syringae fait des ravages dans diverses cultures, dont celle de la tomate. Et si, pour protéger les plantes et assurer notre sécurité alimentaire, il suffisait… d’ouvrir la lumière?
C’est ce que suggère une découverte surprenante réalisée par une équipe de recherche dirigée par le professeur Peter Moffett et faite en collaboration avec l’équipe de la professeure Isabelle Laforest-Lapointe, du Département de biologie.
Selon l’étude publiée dans la revue scientifique Nature Communications, exposer les végétaux à un éclairage continu pendant plus de 24 heures les protège contre certaines maladies.
On a découvert que la lumière constante active fortement le système immunitaire de la plante, ce qui lui permet de résister à la croissance bactérienne.
Charles Roussin-Léveillée, étudiant au doctorat et coauteur principal de l’article scientifique
Mais comment la lumière peut-elle agir comme bouclier contre les infections chez la plante?
Comme une bonne dose d’aspirine
Derrière le mécanisme nouvellement découvert se trouve une hormone bien connue en biologie végétale : l’acide salicylique, l’ingrédient de base de l’aspirine, qu’on retrouve aussi dans les traitements contre les verrues et les boutons ainsi que dans les médicaments topiques antidouleur.
L’acide salicylique est une hormone de défense produite par les plantes pour activer leur système immunitaire. On a découvert que la lumière augmente la production d’acide salicylique.
Gaële Lajeunesse, étudiante à la maîtrise et coautrice principale de l’article scientifique
L’étude révèle un fait encore plus étonnant pour l’équipe de recherche : lorsque l’action de l’acide salicylique est neutralisée chez la plante, la lumière constante n’a plus d’effet. « On sait depuis longtemps que l'acide salicylique active l'immunité », soutient le professeur Moffett, en précisant que la science n’avait cependant pas encore percé le mystère du fonctionnement de l’immunité végétale. « Nos travaux ont pu démontrer que l’acide salicylique empêche la fermeture des stomates », poursuit-il, en faisant référence aux pores microscopiques recouvrant la surface des feuilles.
L’intérieur des feuilles est ainsi aéré, et les pathogènes ne peuvent pas croître. Un peu comme quand on aère un sous-sol pour empêcher la croissance des moisissures.
Professeur Peter Moffett
Autrement dit, la plante se défend contre les bactéries en les laissant mourir de soif. « On ne savait pas que les plantes se défendaient comme ça!, ajoute Charles. Ça change vraiment notre façon de penser dans le domaine. »
Applicable dans les champs?
La lumière pour protéger les végétaux est une stratégie qui pourrait être utilisée en serre. L’application sur les terres agricoles n’est pas pour demain, tient à préciser le professeur Moffett : « Les agriculteurs ne peuvent pas installer des lumières dans leurs champs. Ce ne serait pas très pratique. En plus, la plupart des plantes ne tolèrent pas la lumière constante pendant longtemps. »
Nous cherchons donc à manipuler les stomates afin de reproduire le mécanisme en enlevant la lumière de l’équation.
Professeur Peter Moffett
En effet, les bactéries ont toutes besoin d’un environnement riche en eau pour se développer. Assécher les plantes en les forçant à garder leurs stomates ouverts est donc une stratégie qui pourrait être utilisée plus largement en agriculture.
En agriculture, 80 % des agents pathogènes bactériens et fongiques provoquent les mêmes symptômes que ceux que nous avons observés dans notre laboratoire avec la bactérie Pseudomonas syringae. Il est fort probable que le traitement à la lumière fonctionne aussi sur d’autres pathogènes connus.
Charles Roussin-Léveillée
En serre, les travaux de l’équipe de recherche font déjà l’objet d’applications concrètes en horticulture. « Nous avons commencé à explorer la possibilité d'appliquer nos connaissances sur des plantes commerciales "modèles" », poursuit le professeur Moffett tout en nous confiant l'un de ses plus grands rêves : mettre cette découverte à profit dans le secteur de l’agriculture dans l’espoir d’assurer la sécurité alimentaire et économique.
Cette découverte sur la lumière est d’autant plus incroyable qu’elle est le fruit de circonstances fortuites. Reculons de deux années pour bien comprendre.
Une panne de courant fructueuse
Dans une autre étude publiée en mars 2022, Gaële et Charles s’étaient penchés sur les mécanismes d’infection utilisés par la bactérie Pseudomonas syringae, qui s’attaque notamment à la tomate, à l’érable, au lilas, aux haricots et aux petits pois. L’article révélait que cette bactérie a la capacité de tromper les plantes en leur faisant croire qu’une période de sécheresse sévit, forçant celles-ci à retenir leur eau, ce qui crée un environnement idéal pour l’infection.
Au cours des mois qui ont suivi, le groupe poursuivait ses recherches sur Pseudomonas syringae en étudiant des plantes infectées lorsqu’une panne de courant est venue dérégler la minuterie de sa chambre de croissance. « Les lumières étaient restées allumées toute la nuit, relate Gaële. Le matin, nos plantes n’étaient pas malades. On ne comprenait pas. » Curieux de comprendre, le duo a recouvert les plants d’un morceau de tissu noir pour recréer une nuit artificielle. « En moins de quatre heures de noirceur, les plantes montraient des symptômes d’infection! », s’exclame Gaële, toujours aussi émerveillée par la découverte.
Ce résultat inattendu a incité l’équipe à revoir ses plans de recherche en se concentrant sur l’effet protecteur de la lumière. « Leur étude est vraiment rigoureuse, et les données, tellement convaincantes! », estime le professeur Peter Moffett. Charles, Gaële et deux stagiaires ont par exemple compté manuellement des centaines de stomates sur des images grossies au microscope pour valider leur hypothèse.
La curiosité, fondamentale en recherche
Le professeur Peter Moffett rappelle que, bien souvent, c’est en regardant de plus près une expérience qui n’a pas marché qu’on trouve quelque chose d’encore plus intéressant : « Pour reprendre une citation de Louis Pasteur, "la chance ne sourit qu’aux esprits bien préparés". Autrement dit, il faut être assez allumé pour saisir les occasions. »
Beaucoup de travail reste à faire avant qu’on puisse remplacer les pesticides par une solution plus écologique basée sur ces recherches. « Avec les virus, c’est l’inverse : plus il y a de lumière, plus ils font des ravages », souffle Charles, en révélant par la bande que les prochaines découvertes du groupe risquent d’en surprendre plus d’un.
Tant que la curiosité de cette équipe prometteuse restera allumée, la santé des plantes est entre bonnes mains.
Les personnes ayant participé à cette étude
- Gaële Lajeunesse, étudiante à la maîtrise en biologie et boursière du Programme de bourses d’études supérieures du Canada au niveau de la maîtrise du CRSNG
- Charles Roussin-Léveillée, doctorant en biologie, chargé de cours à la Faculté des sciences et récipiendaire d’une bourse d’excellence doctorale du FRQNT
- Sophie Boutin et Élodie Fortin, stagiaires au baccalauréat en biologie
- Peter Moffett, professeur au Département de biologie et directeur du Centre SÈVE
- Isabelle Laforest-Lapointe, professeure au Département de biologie et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écologie microbienne appliquée.
Cette étude a été rendue possible grâce à des sources de financement de diverses natures, entre autres des bourses d’excellence en recherche de l’UdeS, une subvention du Fonds de recherche du Québec et une autre du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada.