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Comment l’érable à sucre s’adapte au climat qui se réchauffe

Isabelle Laforest-Lapointe, professeure à la Faculté des sciences au Département de biologie
Isabelle Laforest-Lapointe, professeure à la Faculté des sciences au Département de biologie
Photo : Michel Caron - UdeS

Depuis plus de trois décennies, le changement climatique occupe une place centrale dans les débats de société. Nous comprenons que les variations à long terme des températures auront des impacts non seulement sur les êtres humains, mais également sur la flore. Nous constatons déjà une migration de certaines espèces végétales vers des régions plus au nord, où le climat est désormais plus chaud qu'auparavant. Cependant, la migration des arbres est plus lente qu’anticipée et notre capacité de prédire cette migration demeure ainsi limitée. Il devient donc crucial d'analyser les modifications en cours et à venir afin de mieux prédire et potentiellement soutenir nos forêts face à ces défis. C’est exactement ce que fait la professeure Isabelle Laforest-Lapointe en se penchant sur l’érable à sucre.

Une étude réalisée par la chercheuse et son équipe, publiée dans Nature Communications Biology, a démontré que plusieurs facteurs tels que l’acidité du sol, la présence de certains champignons et même la distance avec les arbres matures influencent la croissance de l’érable à sucre. Comme le décrit la professeure Isabelle Laforest-Lapointe : « Le but fondamental de nos recherches est d’aider à la compréhension de l’adaptation de l’érable à sucre dans le temps au changement climatique. »

Les arbres sont étroitement associés aux communautés microbiennes

À la manière des êtres humains qui forment une communauté, les arbres s'entourent d'une diversité de microorganismes appelée microbiote. Parmi cette communauté, on trouve notamment des champignons microscopiques dont font partie les mycorhizes, connus pour leur étroite association avec les racines des plantes, ainsi que différentes espèces de bactéries. Cette communauté peut jouer un rôle bénéfique pour l'arbre, l'aidant à assimiler des nutriments et à s'acclimater au stress, mais certains microorganismes peuvent également lui être préjudiciables en causant des maladies. La composition de ce microbiote peut varier en fonction de l'espèce de l'arbre et de sa localisation.

Le sol affecte la croissance des arbres

Tout jardinier amateur avisé aura déjà remarqué l'impact du sol sur la croissance des végétaux. Plusieurs éléments du vivant, appelés facteurs biotiques, et du non-vivant, appelés facteurs abiotiques, peuvent stimuler ou, au contraire, limiter leur développement. Parmi les facteurs abiotiques, les nutriments disponibles jouent un rôle crucial avec le pH du sol, car l’acidité du sol influence la capacité des plantes à assimiler certains nutriments. La disponibilité en calcium est également un indicateur clé de la fertilité du sol. Un sol riche en calcium favorise les échanges nutritifs avec les plantes. Le sol affecte non seulement les végétaux à sa surface, mais aussi la composition microbienne qui le colonise, et donc les microorganismes qui sont disponibles pour établir des partenariats avec les racines des plantes.

Le commencement d’un long projet

L’origine du projet remonte au doctorat de la professeure Isabelle Laforest-Lapointe, qui a dû choisir entre deux projets doctoraux. Avec son passé en écologie, elle opta pour l'étude de la dynamique des peuplements forestiers plutôt que celle de la génétique des arbres, préférant ne pas travailler avec l’ADN. Cependant, l’ADN n'avait pas dit son dernier mot. À l'arrivée de son codirecteur, son projet se transforma en l’étude des microorganismes présents dans les feuilles ou les arbres des peuplements forestiers, à travers leur ADN.

Je pensais choisir mon projet de doctorat, mais c'est le projet qui m'a choisie. C’est venu de mon intérêt pour la forêt en général. J’ai adoré travailler sur l’écologie microbienne, c’est devenu une passion pour moi. Quand je suis arrivée à Sherbrooke, j'ai dû choisir quel serait mon programme de recherche. J'ai décidé de me concentrer sur les interactions plante-microbe, c'est ainsi que j'ai démarré ma chaire de recherche du Canada. Je me suis dit que ce qui m’intéresse vraiment pour l’Estrie, c’est de travailler sur deux espèces qui ne sont pas des espèces modèles, à savoir l’érable à sucre et le pommier commun.

Professeure Isabelle Laforest-Lapointe

Le Laboratoire Laforest-Lapointe s'est penché sur l’identification des facteurs biotiques et abiotiques qui influent sur la croissance des érables. Leurs recherches ont révélé que parmi les facteurs abiotiques, le pH, la disponibilité en calcium et la distance entre les érables exercent une influence significative sur la communauté microbienne du sol environnant. Ils ont également constaté qu'un changement dans le pH du sol influence la composition de la communauté fongique, ce qui, à son tour, affecte la croissance des érables. Les interactions entre les facteurs abiotiques et biotiques sont multiples, se nourrissant mutuellement et créant ainsi des environnements uniques.

C’est surtout le calcium du sol et le pH qui semblent être très importants et qui semblent interagir avec les communautés de champignons. Le résultat que j’ai trouvé vraiment intéressant est de voir que la croissance des semis était plus importante à haute élévation, ce qui n’était pas quelque chose auquel je m’attendais.

Professeure Isabelle Laforest-Lapointe

L’érable à sucre, une richesse du Québec

Au Québec, nous avons la chance d’avoir de l'érable à sucre, qui nous offre chaque année le précieux sirop d'érable.
Au Québec, nous avons la chance d’avoir de l'érable à sucre, qui nous offre chaque année le précieux sirop d'érable.
Photo : Michel Caron - UdeS

La professeure Isabelle Laforest-Lapointe a choisi de consacrer une partie de ses recherches à l'étude de l'érable. Cette espèce, endémique au Québec et aux États-Unis, représente une source de revenus importante pour la province. Malgré cela, peu d'études ont été réalisées sur cette espèce, et encore moins sur la communauté microbienne présente dans le sol des érables à sucre.

Deux sites d’étude dans les Cantons-de-l'Est

Deux montagnes ont été sélectionnées pour étudier l'impact de l'élévation sur les érables : le mont Écho, près de Sutton, et le mont Saint-Joseph, situé dans le parc national du mont Mégantic. Cette étude des changements le long d'un gradient d'altitude est appelée méthode de substitution espace-temps. Couramment utilisée par les écologistes, cette approche permet d'analyser les processus écologiques sur une courte distance. Chaque palier d'élévation est considéré comme distinct de son précédent, ce qui s'avère utile pour examiner les interactions biotiques.

L’étude d’une communauté microbienne, un défi

Dans le passé, plusieurs recherches sur la communauté biotique du sol se sont concentrées sur les mycorhizes. Une importante base de données génétiques leur est consacrée, mais malgré ces efforts, dès que l'on souhaite étudier les microorganismes du sol incluant les champignons et les bactéries, les données d'identification disponibles sont nettement moins nombreuses que celles qu’on retrouve pour les microbes colonisant les êtres humains. L'étude de l'ensemble du microbiote des érables représente donc un défi de taille, mais qui s'avérera utile pour une meilleure compréhension de l'impact de ces microorganismes sur les érables et ainsi que sur notre capacité à prédire la distribution future de l’espèce. La microscopie et des analyses moléculaires ont été réalisées pour déterminer la composition de la terre et identifier les microorganismes présents.

La relation entre la forêt et l'être humain est profonde et complexe. Chaque jour, nous utilisons au moins un produit de la forêt, soit pour le papier, les matériaux de construction, ou notre alimentation. Les changements climatiques, en cours et à venir, perturbent et perturberont à long terme l'équilibre de la flore et de la faune forestières. Il devient donc crucial d'analyser les modifications en cours et à venir afin de mieux prédire et potentiellement soutenir nos forêts face à ces défis. Comprendre l'impact du sol et des microorganismes qu'il abrite sur la croissance de nos érables constitue un premier pas vers cette compréhension, une connaissance qui pourrait être étendue à d'autres espèces végétales à l'avenir et qui pourra aider à prédire la migration des végétaux vers de nouveaux horizons.

Une recherche qui s’élève à la puissance dix!
Ce n’est pas un hasard si l’Université de Sherbrooke se démarque en recherche. Son secret? Le mariage judicieux du partenariat, de la mutualisation et de l’interdisciplinarité, trois forces qui font sa renommée. Apprenez-en plus sur ce qui a propulsé l’UdeS 10e en recherche au Canada.