Gérer la complexité dans l’agilité et la bienveillance

Pandémie de Covid-19, pénurie de main-d’œuvre, population vieillissante, les défis des gestionnaires du réseau de la santé se sont multipliés au cours des dernières années et continueront d’être présents. Dans un tel contexte, la proactivité est essentielle. Il faut développer les capacités de tout le monde à rendre les organisations agiles et résilientes.

C’est le défi que souhaitent relever le CIUSSS de l’Estrie – CHUS et l’École de gestion, avec la création du Pôle de recherche en excellence managériale dans les services de santé (PREMSS). En joignant leurs efforts dans une démarche de recherche et de transfert, les deux partenaires entendent mettre à profit une collaboration étroite entre les milieux de la pratique et l’Université.

À la tête du nouveau Pôle, le professeur Pierre-Luc Fournier, spécialiste de la gestion en santé, ne cache pas son enthousiasme devant les défis pourtant bien réels d’une telle entreprise. Et le mot « excellence » ne lui fait pas peur.

On a le droit d’être ambitieux. Notre système de santé, c’est une richesse collective dont on est fier malgré les défis vécus ces dernières décennies. Il y a beaucoup de choses extrêmement intéressantes qui se font au CIUSSS de l’Estrie-CHUS et ailleurs dans le réseau.

Nous l’avons questionné sur les concepts qui seront au cœur des travaux de recherche du nouveau Pôle.

Un écosystème unique

L’une des particularités du réseau de la santé réside dans le fait que beaucoup de gestionnaires sont d’abord des cliniciens et des cliniciennes.

« Historiquement, les personnes devenues gestionnaires ont souvent été nommées sur la base de leurs compétences cliniques. Mais être bon clinicien et être bon gestionnaire, ce sont deux choses différentes. »

Ces personnes sont donc appelées à gérer dans le contexte possiblement le plus complexe qui existe parmi tous les types d'organisation.

Professeur Pierre-Luc Fournier, directeur du PREMSS

L’écosystème de la santé et des services sociaux est-il si différent d’un autre grand système de services publics au point d'être obligé de développer des façons de faire qui lui sont exclusives?

« Oui, à plusieurs égards. Il y a des réalités qui sont communes à d’autres types d’organisations, mais plusieurs caractéristiques font que l'écosystème d'un système public de santé et services sociaux comme le nôtre est assez unique en raison de l'aspect clinique et de la multiplicité des expertises qui sont nécessaires pour être en mesure d'offrir des soins et des services à la population. D’un point de vue managérial, on ne retrouve pas cette complexité dans un autre secteur d’activité. Juste le nombre de professions et de types d'emploi en santé et services sociaux, c'est assez impressionnant. »

C’est aussi un environnement où beaucoup d'intervenants ou de groupes d'influence sont impliqués dans les processus décisionnels : directions d’établissements, ministère, ordres professionnels, syndicats, associations médicales, etc.

Il y a une multiplicité de parties prenantes qui ont des rôles formels ou informels dans la gouvernance du système. C'est aussi fondamentalement politique. Les gouvernements changent, les priorités changent, ce qui rajoute un niveau de complexité.

Professeur Pierre-Luc Fournier, directeur du PREMSS

La qualité de vie au travail et la sécurité psychologique

Le professeur Fournier nous explique que l’un des concepts scientifiques particulièrement importants en gestion concernant la performance des équipes et des individus, c'est la sécurité psychologique au travail, qui inclut entre autres le droit à l'erreur. Par exemple, c’est le sentiment d'avoir le droit de partager son opinion, de soumettre des idées, peut-être de faire des erreurs – qui sont différentes des fautes professionnelles – sans avoir à craindre des répercussions.

Dans un contexte où les gens perçoivent que la sécurité psychologique est moins présente, ils seront moins engagés. S'ils sont moins engagés, ils sont moins performants, et l’accès, la qualité et la sécurité des soins en sont affectés.

Passer du vertical au transversal

Quant à l’organisation du travail, pour qu’elle fonctionne, les gestionnaires doivent être en mesure de développer une vision plus systémique puisque les organisations du réseau de la santé demeurent assez hiérarchiques et verticales.

On a différentes directions qui sont responsables de leurs offres de services et qui coordonnent leurs ressources. Dans ces grandes structures, on a tendance à travailler en silo. Mais le patient, lui, se promène de manière transversale dans l'organisation, d'un silo à l'autre.

Professeur Pierre-Luc Fournier, directeur du PREMSS

« Quand on ne coordonne pas de manière transversale, c'est là qu'on observe souvent des enjeux. Un gestionnaire doit pouvoir s'élever d'un niveau pour comprendre comment l'organisation du travail dans son secteur peut engendrer des problèmes qui sortent de son rayon d'action. »

Quant aux problèmes, il faut les résoudre collectivement. « On doit développer des compétences de résolution collective de problèmes. Comme ce n’est pas nécessairement inné pour tout le monde, c'est un des objectifs de recherche de bien identifier les compétences essentielles pour permettre aux gestionnaires de vraiment favoriser l'agilité, la résilience et l'engagement au sein des équipes. »

Miser sur la créativité et les connaissances des équipes

Dans un système de santé, les changements sont nombreux et constants. Pour faire avancer les choses, on doit s’éloigner du concept du ou de la gestionnaire héroïque qui prend tout à sa charge et est l'unique responsable de l'amélioration et de la résolution des problèmes.

« La personne gestionnaire doit être capable de mobiliser une équipe autour d'objectifs communs. On parle d'un leadership partagé, d'empowerment, de créativité collective. Parce qu’ultimement, si on veut améliorer les choses sur le terrain, ceux et celles qui ont probablement le plus d'informations et les meilleures idées, ce sont les gens qui ont les deux pieds dedans à tous les jours. »

Devenir gestionnaire en pleine crise

La crise pandémique a amené une panoplie de défis. Beaucoup de jeunes gestionnaires qui ont été nommés dans ce contexte particulier doivent aujourd'hui s'approprier leur rôle dans une nouvelle réalité.

C'est la jeune génération. Elle a été formée un peu différemment. Elle a grandi dans un monde un peu différent aussi. On observe tranquillement un changement au niveau de certains paradigmes de gestion. L'objectif, c'est qu’on puisse outiller ces personnes pour qu'elles continuent de progresser.

Professeur Pierre-Luc Fournier, directeur du PREMSS

Des défis d'innovation

Tous les systèmes de santé à travers le monde ont leurs défis. Celui qui intéresse particulièrement le professeur Fournier est le National Health Service (NHS) du Royaume-Uni, qui est inspirant à plusieurs égards, notamment en ce qui a trait à l’innovation.

« Il y a certains éléments qui sont les pierres d’assise des transformations organisationnelles en santé et services sociaux, notamment la mobilisation et l’implication du leadership clinique. »

En somme, on s’entend partout pour dire que si toutes les parties prenantes ne sont pas fondamentalement impliquées et qu’elles n’ont pas une place dans les démarches qui visent à transformer les organisations pour le mieux, les chances de succès sont certainement diminuées.

En tablant sur les compétences des gestionnaires, le PREMSS espère pouvoir contribuer à améliorer l’environnement de gestion dans le système de santé et services sociaux, puisqu’aux dires du professeur Fournier, c’est un facteur déterminant de la rétention et de la qualité de vie au travail du personnel.

Pour lui, les défis sont à la mesure des capacités d'innovation des deux organisations et de son équipe.

L'opportunité de contribuer à la mission de notre système de santé est stimulante et engageante pour mon équipe et pour moi.

Professeur Pierre-Luc Fournier, directeur du PREMSS

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Pourquoi créer ce pôle?
Les deux entités de ce tandem collaborent déjà en recherche depuis plusieurs années, en plus des projets de maitrise et de doctorat des personnes étudiantes de l’École de gestion. Ce Pôle permet de formaliser cette collaboration qui est dans la mission respective des deux organisations, le CIUSSS de l’Estrie-CHUS étant un établissement doté d'une mission universitaire.

La programmation de recherche visera à créer de nouvelles connaissances sur les compétences qui peuvent soutenir le dynamisme des organisations et des équipes, comme l'agilité et la résilience des équipes, des conditions essentielles à leur gestion dans le contexte actuel de pénurie de main-d'œuvre et d'augmentation de la demande en raison du vieillissement de la population. La recherche nourrira aussi le développement de différents programmes de formation offerts par l'École de gestion pour les gestionnaires du CIUSSS de l'Estrie – CHUS.